En région, les musées d’art contemporain, contraints à un budget limité, mettent l’accent sur la confrontation entre les œuvres et avec les artistes pour enrichir leurs collections.
Le fait n’est pas nouveau : les budgets dévolus aux acquisitions des musées dans le domaine de l’art contemporain se réduisent d’année en année. Si le Centre Pompidou continue de bénéficier d’une enveloppe globale d’environ 4 millions d’euros par an – un montant souvent dépassé par les dons qui lui sont faits chaque année –, il en va tout autrement passé le périphérique parisien. En région, les musées ne disposent en général que d’une centaine de milliers d’euros, les bonnes années, pour enrichir leurs collections, tandis que le marché de l’art continue de s’épanouir, et la cote des artistes de monter inexorablement. La gageure est de taille pour les directeurs et les conservateurs de musées qui doivent avancer avec l’histoire de l’art et élaborer des parcours construits et cohérents dans leurs collections avec des moyens très limités.
« Les grands musées doivent être dans l’Histoire », explique Thierry Raspail, directeur du Musée d’art contemporain de Lyon. « On laisse l’utopie du Musée Napoléon à Pompidou ! Dans l’économie provinciale, il fallait penser en termes de fragments plus qu’en termes de courants artistiques ». À Lyon, il y a quelques années, le musée pouvait se permettre d’acheter plusieurs œuvres à l’issue d’expositions temporaires. Aujourd’hui, le directeur préfère « considérer dans l’œuvre d’un artiste ce qui construit un langage au regard des œuvres déjà dans les collections » : il peut compter sur la Biennale de Lyon, qu’il a créée en 1991 pour confronter les œuvres et choisir ce qui fera sens dans ses collections. L’événement lyonnais est devenu le réservoir des acquisitions du musée. Là, Robert Kusmirowski et John Cage côtoient une installation du jeune artiste Benjamin Seror, originaire de Lyon, de quoi donner des idées aux équipes du musée « Nous ne sommes pas directement dans l’actualité internationale, ni même française, affirme le directeur, mais dans la création permanente. »
Chaque musée possède ses spécificités, souvent liées à la personnalité de son directeur. Selon Jean-Marc Prévost, nouveau directeur du Carré d’art-Musée d’art contemporain de Nîmes, « le renouvellement des directeurs infléchit forcément sur les perspectives d’acquisition. Il faut réfléchir en termes d’esprit de la collection. Dans un musée, c’est une décision individuelle, alors que dans un Frac [Fonds régional d’art contemporain], la décision est prise de manière collégiale par un comité », souligne le directeur qui a participé plusieurs fois à ces comités.
Dénicher des talents
La comparaison avec les Frac se révèle intéressante. La différence majeure réside dans la principale mission de ces institutions : soutenir la création. Volontairement défricheurs, les Frac font la part belle à la toute jeune création, même si la frontière reste poreuse. Aux Abattoirs de Toulouse, Olivier Michelon, nouveau venu à la tête du musée, est également directeur du Frac Midi-Pyrénées. « Même si les musées favorisent l’achat d’œuvres d’artistes aux carrières plus poussées que dans les Frac, les politiques d’acquisitions ne sont pas si dissociées que cela », explique-t-il. Parfois, un musée acquiert une œuvre d’un jeune créateur tout juste sorti des Beaux-Arts, tandis qu’un Frac portera son choix sur un artiste emblématique. Les artistes tiennent également une place primordiale dans l’enrichissement des collections. Que ce soit par des collaborations sur des expositions, des œuvres spécialement créées pour des musées spécifiques ou des dons aux institutions, le dialogue se doit d’être permanent. Pour Olivier Michelon, ancien directeur du Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart (Limousin), cet aspect est fondamental. À Rochechouart, avec un budget d’acquisition oscillant autour des 80 000 euros par an, le directeur a tissé des liens de confiance notamment avec les artistes Aurélien Froment ou Gustav Metzger qui a bénéficié de sa première exposition monographique en France. À l’issue de l’événement, le musée départemental a acquis en 2010 une œuvre : « ça ne coûtait presque rien, le plus dur a été de convaincre Metzger de la vendre ! », raconte le directeur. Rentrer dans les collections publiques reste intéressant pour les artistes. Selon lui, « les musées sont sans doute moins prescripteurs aujourd’hui que les grands collectionneurs privés. Mais les artistes sont attirés par la conservation et la diffusion sur le long terme », offerts par le caractère inaliénable des collections publiques.
Parier sur l’ingéniosité
Faire beaucoup avec peu : les directeurs et conservateurs se veulent volontaires et inventifs. Lorsque le musée ne peut réunir les fonds nécessaires à l’achat d’une œuvre emblématique, le mécénat peut pallier cette carence. Le CAPC (musée d’art contemporain) de Bordeaux, par exemple, avec un budget d’acquisition réduit au minimum et une régie municipale peu adaptée à l’obtention de crédits supplémentaires a forgé des liens forts avec l’Association des amis du CAPC, qui se charge de collecter des fonds auprès de mécènes privés afin de financer des acquisitions de prestige. En 2011, le musée a ainsi pu acquérir une peinture murale de Philippe Decrauzat et une monumentale peinture sur toile de Jim Shaw, un an et demi après sa rétrospective à Bordeaux. « Après une grande exposition, nous essayons de permettre au musée de garder une trace de ce passage, grâce à une sélection élaborée par Charlotte Laubard (directrice du CAPC) et son équipe » se félicite Jean-Marc Foubet, vice-président des Amis du CAPC.
Écrire un parcours cohérent, garder la mémoire du lieu, éviter les écueils du marché de l’art qui n’est pas forcément synonyme d’histoire de l’art : les défis sont multiples, les réponses apportées tout autant. Acquérir une œuvre historique ou plusieurs créations de jeunes artistes, la diversité de ces choix est la richesse essentielle des musées de province.
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L’équation contemporaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : L’équation contemporaine