Encore loin derrière les grands noms de l’expressionnisme abstrait américain, les tenants de l’envolée lyrique enregistrent de fortes progressions sur le marché depuis une quinzaine d’années.
Pour le public le moins averti, il était le peintre « le plus rapide du monde », un dandy dissimulé derrière une paire de belles bacchantes. Chantre d’une « abstraction qui n’est pas enfermée dans les règles, ou dans les dogmes », Georges Mathieu s’est éteint au mois de juin dernier. Il fut l’un des premiers à abandonner les froides lignes géométriques au profit de la chaleur du geste lyrique. La mort de Charles le Téméraire, Saint Georges terrassant le Dragon, Raymond de Turenne entrant dans Jérusalem. Georges Mathieu s’était fait une spécialité d’accoler des titres grandiloquents à ses compositions faites de tâches, de courbes et de griffonnages fulgurants. « C’était un immense créateur, un théoricien et un chef de file. Il a changé la façon de concevoir et de regarder la peinture, » insiste le marchand Franck Prazan, vibrant défenseur des peintres de la Nouvelle École de Paris.
Georges Mathieu était l’un des pères fondateurs de l’Abstraction lyrique. Et une des figures majeures de ces artistes qui ont plongé dans une peinture non figurative privilégiant le geste et la lumière. Sous l’Occupation, on les retrouve à la galerie Braun et chez Louis Carré. Après la Libération, ils seront pris en main par une brochette de nouvelles galeries. Colette Allendy montre Hartung, Wols, Mathieu et Bryen, tandis que Lydia Conti dévoile Soulages et Schneider. René Drouin abandonne ses cimaises à Bissière, Manessier et Fautrier ; Jeanne Bucher les siennes à Nicolas de Staël.
Pour ces artistes, libres et d’une totale indépendance d’esprit, l’instinct et la spontanéité doivent l’emporter sur la théorie. Leurs œuvres gagneront l’Europe puis le monde, vingt ans avant que New York ne décide d’imposer à la planète ses Pollock, Rothko et Newman.
La partie de bras de fer ayant tourné à l’avantage de l’expressionniste abstrait, nos lyriques ne jouent pas, aujourd’hui, dans la même cour que leurs camarades américains. Alors que Rothko flirte, aujourd’hui, avec les 60 millions d’euros, Fautrier ne dépasse pas les 3,2 millions. Quand Jackson Pollock franchit la barre des 15 millions d’euros, le record de George Mathieu dépasse à peine celle du million.
Leur « retard » sur le marché n’empêche pas bon nombre de ces artistes lyriques dont de Staël, Vieira da Silva, Soulages et Zao Wou-ki de jouir d’un rayonnement mondial. « Mathieu, Schneider et Atlan sont, en revanche, des artistes internationaux, mais pas mondiaux. Vous pouvez vendre un Zao Wou-Ki dans le monde entier, alors que vous aurez plus de mal avec Atlan », note Franck Prazan maniant avec talent l’art de la litote.
De Staël en tête
Un premier plateau a été atteint à la fin des années 1980, sur un marché extrêmement porteur mais très spéculatif. « Depuis 1997, la progression des prix a été soutenue et régulière. Les fondamentaux sont très différents de ceux qui ont prévalu dans les années 1980, poursuit Franck Prazan. Les achats sont aujourd’hui effectués par des collectionneurs et non plus par des spéculateurs. » Côté records, c’est Nicolas de Staël (6 millions d’euros) qui arrive aujourd’hui en tête talonné par Zao Wou-Ki (5,8 millions). Le duo a pris une bonne longueur d’avance sur Fautrier (2,5 millions) et Soulages (2,3 millions). Viennent ensuite Riopelle, Vieira da Silva et Mathieu qui dépassent tous le million d’euros.
Quid de Manessier et Bissière, ces grands coloristes, et de l’humaniste Bazaine pétri de poésie et de spiritualité ? « Ils ont joué un rôle central. Ils méritent tous trois d’être revisités », insiste le spécialiste de la Nouvelle École de Paris. Alors, qu’attendez-vous ? Un beau Manessier se négocie entre 50 000 et 300 000 euros, mais ses petits formats sont accessibles entre 3 000 et 10 000 euros. Pour un beau et grand Bazaine, comptez entre 30 000 et 180 000 euros.
Les œuvres sur papier sont nettement plus accessibles aux petits budgets. « Il y a parfois un rapport d’un à cinq », insiste Franck Prazan. Nombre de ces artistes sont de talentueux dessinateurs comme Hartung, grand technicien du papier et Zao Wou-Ki, excellent aquarelliste. Atlan a, lui, réalisé de jolis pastels qui partent à partir de 500 euros. Les plus beaux d’entre eux se négocient toutefois entre 15 000 et 30 000 euros.
Aux côtés d’Hartung et de Schneider, la jeune galeriste parisienne Diane de Polignac met, elle, l’accent sur la création d’Huguette Arthur-Bertrand disparue en 2005. « Une belle Abstraction lyrique qui prend sa source dans les année 1950. Elle a de solides convictions qu’aucune mode n’ébranle », écrivait d’elle Michel Ragon. Diane de Polignac propose notamment de charmantes encres de Chine à partir de 500 euros. « Ses œuvres tiennent parfaitement la route confrontées aux grands noms de l’Abstraction lyrique », lance la galeriste qui a découvert les créations d’Huguette Arthur-Bertrand lors de l’exposition « L’envolée lyrique », au Palais du Luxembourg en 2006.
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L’envol de l’Abstraction lyrique
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : L’envol de l’Abstraction lyrique