Politique culturelle

Le soutien des artistes français à l’international en mode saupoudrage

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 11 août 2020 - 1016 mots

Contraint par un budget limité et ces « figures imposées » que sont la Biennale de Venise ou les saisons culturelles, l’opérateur culturel éparpille son soutien aux artistes.

Pavillon de la France à la Biennale de Venise 2019. © Jean-Pierre Dalbéra
Pavillon de la France à la Biennale de Venise 2019.
© Jean-Pierre Dalbéra

Monde. En 2019, l’Institut français (IF) a consacré 1,3 million d’euros à la promotion de la scène française à l’étranger, à travers expositions, rencontres avec des commissaires ou participations aux manifestations internationales. Et, d’après le Département développement et coopération artistiques (DDCA), 450 artistes et professionnels du secteur ont été soutenus, un chiffre à première vue positif. Mais ces données cachent des disparités et un manque de stratégie.

En effet, le budget de 2019 inclut deux événements, la Biennale de Venise et les Rencontres de Bamako (Mali), une biennale africaine de photographie, qui se tiennent les années impaires : en 2018 et 2020 (prévisionnel), ce budget tombe à 550 000 euros. Venise et Bamako absorbent donc plus de la moitié du budget « arts plastiques » du DDCA. Ensuite les sommes allouées aux projets restent faibles, quelle que soit leur nature. De « 3 000 à 8 000 euros pour des projets en Europe et de 5 000 à 12 000 hors Europe », précise le DDCA. « À l’exception des programmes de résidences de l’Institut et des dispositifs à destination des critiques d’art qui prévoient l’attribution d’un soutien direct aux artistes, les aides sont versées à des partenaires, comme le rappelle Fabrice Rozié, directeur du DDCA, ce sont les galeries, les musées ou centres d’art en France ou à l’étranger, tout comme les biennales, portant ces projets, qui bénéficient de notre soutien. » Ainsi le programme « Monographie » permet-il à des lieux culturels à l’étranger de présenter une exposition personnelle d’un artiste français, en collaboration avec une galerie (Laure Prouvost à Toronto, Christian Boltanski à Shanghaï) : c’est le principal dispositif de l’IF, qui assure une grande visibilité aux artistes.

Mais que couvrent les sommes allouées par l’IF pour les expositions ? Le transport et la logistique, mais pas la production des œuvres, ce qui oblige les porteurs de projets à cumuler les soutiens financiers. Le DDCA précise d’ailleurs que « le réseau culturel [à l’étranger] peut participer au financement et à l’organisation de ces projets ». Entre la faiblesse des sommes allouées et la multiplicité des dispositifs d’aide, l’IF peine donc à concentrer ses moyens pour promouvoir la scène française, et ce malgré des succès relatifs. Parmi eux, les saisons culturelles, qui voient la France collaborer avec un pays pour mettre en valeur leurs scènes artistiques respectives. En 2019, « France-Roumanie » a permis selon le DDCA de présenter 169 artistes français et roumains. Marianne Derrien, commissaire indépendante, souligne cependant l’importance de ces saisons : « En 2015-2016, pour la saison “France-Corée”, le projet incluait des partenariats avec des entreprises et des universités. »

L’Afrique et l’Arabie saoudite

Les saisons culturelles révèlent cependant une vision largement dépendante des réseaux diplomatiques à l’étranger, ce que relevait déjà en 2013 un rapport de la Cour des comptes. La stratégie de la France reste ainsi ancrée dans une définition datée de la diplomatie d’influence. C’est le cas pour la priorité donnée depuis trois ans à l’Afrique par le DDCA, un continent où la scène française a pour l’instant peu de chances de percer en dehors du Maghreb : l’IF y soutient, outre les Rencontres de Bamako, la Biennale de Dakar, deux événements fragiles économiquement et qui jouent un rôle surtout pour les artistes africains et ceux de la diaspora. De même, relevons l’importance accordée à l’Arabie saoudite pour développer des résidences d’artistes, ainsi que l’explique Fanny Rolland, au pôle résidences de l’IF : « Nous accompagnons le réseau diplomatique français à l’étranger pour la mise en œuvre et la structuration de nouveaux projets de résidences à travers le dispositif de “La Fabrique des résidences”. » Rappelons que la France n’a pas d’Institut français en Arabie saoudite, et que le marché de l’art y est quasi inexistant : le choix de l’IF semble dicté par une stratégie diplomatique et politique. L’IF dispose pourtant de quatre postes spécialisés en arts plastiques à New York, Londres, Berlin et Pékin : « Nos experts y surveillent les tendances et font remonter des informations, ils connaissent parfaitement les scènes locales et les institutions culturelles », indique Fabrice Rozié. L’outil permet de promouvoir les artistes français dans des villes où le marché de l’art reste solide. Mais pourquoi ne pas généraliser ce type de « pôle d’expertise » ? Le DDCA songe ainsi à une stratégie plus régionale, en accord avec sa tutelle le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Reste la question de l’évaluation de l’efficacité des dispositifs. La Cour des comptes suggérait en 2013 d’étudier les retombées médiatiques des événements au niveau local. Selon Marie-Cécile Burnichon, directrice adjointe au DDCA, « six mois à deux ans après un “voyage Focus” (parcours de repérage de la scène française pour des curateurs étrangers), il y a une exposition d’un artiste français à l’étranger ». Il est en revanche plus difficile de connaître l’impact sur la carrière de l’artiste d’une exposition de Clément Cogitore à Bâle ou de Buren en Australie.

Le Cnap soutient les galeries françaises à l’international

Si l’Institut français n’intervient pas pour aider les galeries à exposer des artistes français dans les foires, le Cnap (Centre national des arts plastiques, ministère de la Culture) dispose, lui, de deux programmes dédiés. Marc Vaudey, chef du département de la Création artistique, précise qu’« un programme lancé depuis deux ans soutient les galeries qui nouent un partenariat avec une galerie étrangère. Pour l’instant, c’est la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois qui en a bénéficié. L’autre programme soutient les galeries dans des foires internationales, à condition d’exposer au moins 50 % d’artistes français ou de faire un solo show français ». En 2019, près de trente galeries ont pu grâce à cela participer à Frieze (Londres), à l’Armory Show (New York) ou à Art Brussels (Bruxelles), des foires importantes dans la carrière d’un artiste. Le montant des aides atteignait 137 000 euros en 2019. Le Cnap aide également à la mobilité internationale des artistes, pour un montant total variant entre 93 000 et 108 000 euros. Des moyens somme toute limités en regard du nombre important de places de marché.

 

Olympe Lemut

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°549 du 3 juillet 2020, avec le titre suivant : Promotion des artistes français à l’international : le saupoudrage de l’Institut français

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