Quelques jours avant la chute du régime syrien, le savon d’Alep est entré dans la liste du patrimoine mondial immatériel.
Syrie. Le 3 décembre 2024, le Comité du patrimoine mondial a inscrit la fabrication du savon d’Alep sur la liste du patrimoine culturel immatériel. Ce savon artisanal mondialement connu est fabriqué avec les mêmes ingrédients depuis la fin de l’Antiquité (dont l’huile de baie de laurier), mais il n’était jusqu’à présent pas protégé par une appellation d’origine contrôlée. La guerre civile et les sanctions internationales ont en outre fortement réduit sa production depuis 2013. Son inscription par l’Unesco n’est que l’ultime étape d’une démarche de lobbying intense menée par le régime depuis une quinzaine d’années. Car si le pays comptait des biens inscrits sur la liste du Patrimoine matériel depuis les années 1980 (Alep, Palmyre), il n’en comptait aucun sur celle du Patrimoine immatériel. Plusieurs biens culturels syriens ont été inscrits au Patrimoine immatériel depuis 2018 : le soufflage du verre traditionnel en 2023 (qui bénéficie d’une sauvegarde urgente), la fabrication et la pratique de l‘oud (luth) en 2022, le style musical al-Qudoud al-Halabiya en 2021, la fauconnerie en 2021 (dossier présenté avec vingt autres pays dont la France), l’artisanat de la rose damascène en 2019 et le théâtre d’ombres traditionnel en 2018.
Pour obtenir ces résultats, le régime s’appuyait sur le Syria Trust for Development (STD), une soi-disant ONG fondée par Asma al-Assad, l’épouse du dictateur. Créé en 2001 mais actif à partir de 2007, le STD a progressivement noyauté le secteur associatif en Syrie et s’est imposé comme l’unique interlocuteur syrien des organismes internationaux et des agences des Nations unies. Plusieurs chercheurs soulignent le rôle joué par le STD dans l’écrasement de l’opposition populaire depuis 2011, puisqu’il contribue à détruire le tissu associatif et canalise les financements vers ses ONG affiliées. Le STD fait l’objet d’accusations de détournements de fonds depuis plusieurs années, car ses financements proviennent majoritairement des agences onusiennes qui n’en contrôlent pas l’usage. Asma al-Assad est elle-même sous le coup de sanctions européennes, notamment britanniques. Les Nations unies et l’Unesco en particulier ont continué à accréditer le STD, jusqu’à en faire un partenaire associé en 2020 et l’organisme centralisateur pour les dossiers des pays arabes liés au patrimoine.
Avec la chute du régime le 8 décembre, l’inscription du savon d’Alep prend un tour ironique puisque ce sont les nouvelles autorités syriennes qui vont en bénéficier. La production de ce savon reste cependant loin de ce qu’elle était avant la guerre, où elle avoisinait les 20 000 tonnes par an. De nombreux fabricants ont quitté Alep et la Syrie depuis 2011, pour ouvrir des ateliers en Turquie ou en France : cette inscription au Patrimoine immatériel, qui crée une appellation d’origine contrôlée, risque paradoxalement de compromettre leur activité. La lenteur de la reconstruction d’Alep après l’expulsion des djihadistes et des rebelles en 2018 a également joué un rôle dans la stagnation de la production en Syrie. Cette inscription in extremis qui devait constituer l’aboutissement du lobbying du STD vient d’une certaine façon couronner la défaite de Bachar al-Assad.
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Le savon d’Alep, un succès illusoire pour le dictateur déchu Bachar al-Assad
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Le savon d’Alep, un succès illusoire pour le dictateur déchu Bachar al-Assad