Aux Pays-Bas, trois musées de Rotterdam offrent la vision d’une Chine en pleine évolution. Entre architecture, arts plastiques et multimédia, les multiples voies de la résistance.
La scène artistique chinoise s’affirme aujourd’hui au niveau international. Elle révèle à l’étranger les images d’un pays en pleine mutation, habité de paradoxes… Pour les artistes, la sphère immatérielle du multimédia et celle matérielle de l’urbanisme deviennent les territoires de nouvelles résistances. Comment les Chinois créent-ils dans un monde où les libertés individuelles restent largement limitées par le contrôle de l’État ? Trois musées de Rotterdam – le Museum Boijmans van Beuningen, le Nederlands Architectuurintistuut et le Nederlands fotomuseum – s’associent pour répondre à ces questions. « Nous n’avons pas cherché à présenter un panorama de la création chinoise, mais à nous engager auprès de créateurs qui veulent changer les choses, soit dans un sens critique, soit dans un sens pragmatique », nous a déclaré la commissaire Linda Vlassenrood, avant de préciser que ces artistes « ne sont pas majoritaires… »
L’exposition au Museum Boijmans réunit des artistes qui explorent le multimédia, derrière Xu Zhen, figure tutélaire qui présente un campement d’expédition avec tentes, sacs de couchage, réchauds… À côté, un aquarium réfrigéré renfermerait la pointe d’une montagne que des explorateurs auraient rapportée de leur voyage… Sous un couvert ludique, la mise en scène fait écho aux récents démêlés politiques entre la Chine et la région autonome du Tibet. Le ton est donné. Entre la censure étatique et le désintérêt d’un public dépolitisé, les artistes n’ont d’autre choix que la critique en filigrane. Xing Danwen, par exemple, introduit des scènes dramatiques – meurtres, carambolages – dans les clichés qu’elle fait de maquettes servant habituellement aux projets urbanistiques. Quand discours politique rime avec subtilité… La photographie de Miao Xiaochun, qui fige une centaine de badauds attendant à un arrêt de bus, devient surréaliste lorsque l’on s’aperçoit qu’aucun des figurants ne s’adresse la parole, tandis qu’une publicité monumentale pour un téléphone portable les domine.
Litote, évocation, cynisme, les artistes chinois jouent à la perfection des armes intellectuelles. L’atmosphère hitchcockienne de la vidéo de Wang Jiangwei côtoie ainsi les situations tragi-comiques des photographies de Lu Chunsheng. Celles-ci mettent en scène des personnages de chair et de sang en lieu et place de statues représentant des personnages historiques. S’appropriant les symboles, les artistes donnent la parole à ceux qui ont oublié de la prendre. Dans sa vidéo, Yang Zhenzhong fait prononcer les 1 500 mots du discours du dirigeant Deng Xiaoping en faveur de l’économie capitaliste – prononcé après le massacre du 4 juin 1989 sur la place Tienanmen – par les 1 500 ouvriers d’une entreprise multinationale occidentale. Au-delà de la critique, certaines images trahissent parfois une fascination pour un pays en pleine expansion, comme les vidéos de Song Tao captant les audaces de l’architecture moderne. À travers cet idéal du « rêve chinois », l’artiste s’interroge pourtant : « Pouvons-nous penser et sentir à travers nos rêves ? » Romantique, Liang Yue n’en pose pas moins un œil distant sur la réalité urbaine. Ses prises de vue nous montrent une Chine entre aube et crépuscule, lorsque les contours de la ville se diffusent jusqu’à devenir abstraits. Entre échappée et fuite en avant, la réalité quotidienne prend parfois des teintes baudelairiennes…
- Commissaires : Christine de Baan, Jaap Guldemond, Linda Vlassenrood - Nombre d’artistes au Museum Boijmans Van Beuningen : 18 - Nombre d’architectes et cabinets d’architecture au Nederlands Architectuurinstituut : 25
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Le rêve chinois
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Abonnez-vous dès 1 €- Nouvelles réalités urbAines et Xu Zhen, jusqu’au 13 août, Museum Boijmans Van Beuningen, Museumpark 18-20, Rotterdam (Pays-Bas), tél. 31 104 419 400, www.boijmans.nl ; - ARCHITECTURE, jusqu’au 3 sept., Nederlands Architectuurinstituut, Museumpark 25, Rotterdam, tél. 31 104 401 200, www.nai.nl ; - Culture visuelle, jusqu’au 3 sept., Nederlands fotomuseum, Witte de Withstraat 63, Rotterdam, tél. 31 102 132 011, www.nederlandsfotomuseum.nl, tlj sauf lundi 11h-17h. Cat., éd. NAI Uitgevers/Publishers, Rotterdam, 416 p., 29,50 euros, 90-5662-500-4.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : Le rêve chinois