Le mythe romantique a porté jusqu’à nous l’image de l’artiste retiré dans sa tour d’ivoire, insensible au monde qui l’entoure, imperméable aux influences intellectuelles et esthétiques, porteur d’un message singulier et forcément incompris. Amedeo Modigliani, actif au moment où le monde s’embrase pour la première fois, mais qui poursuit, indifférent, ses recherches picturales – un face-à-face avec son modèle et, au fond, avec lui-même –, continue aujourd’hui encore à incarner cette icône. Loin de ce regard introspectif, la magistrale exposition Matisse-Picasso du Grand Palais se joue sur une partition toute différente. Ici, d’une œuvre à l’autre se noue un dialogue entre deux maîtres qui se suivent, se rejoignent et se dépassent, se surprennent et s’émulent. Picasso “le bandit embusqué”, pour reprendre les termes de Matisse, se nourrit des peintures de son aîné, et les digère avec une étonnante facilité d’assimilation. Matisse reste lui aussi attentif à l’œuvre de celui qu’il a considéré, jusqu’à la fin de sa vie, comme son seul interlocuteur. Loin de ce dialogue de maîtres, la grande exposition du Centre Pompidou consacrée à Max Beckmann met également en lumière le regard d’un artiste sur la peinture de ses pairs. Au fil d’un accrochage irréprochable, ses tableaux révèlent des inspirations à peine déguisées, de Ferdinand Hodler à Cézanne, de Marc Chagall à Robert Delaunay. Mais, au-delà de la forme, ce sont surtout les souffrances d’une époque qui sont ici mises en scène. Et c’est cela aussi, le regard des modernes.
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Le regard des modernes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Le regard des modernes