Après des années de chantier, le nouveau Musée d’art moderne de Luxembourg a ouvert ses portes le 1er juillet. Marie-Claude Beaud en a fait un lieu habité par les artistes, quel que soit leur médium.
L'ouverture cet été du Mudam (Musée d’art moderne) à Luxembourg marque le terme d’une gestation difficile. Porté par une volonté politique nationale engagée dès la fin des années 1980, le nouveau musée d’art moderne construit par Ieoh Ming Pei aura mis plus de dix ans à sortir de terre, non sans querelles et autres controverses esthético-politiques. Le conservateur français Bernard Ceysson travailla à sa première configuration, jetant les bases de la collection. Depuis 2000, Marie-Claude Beaud conduit le projet – bâtiment, collection, programme culturel et d’exposition –, sous-tendu par l’exigence de transversalité des pratiques et la volonté d’ouverture au public : tous traits où l’on reconnaîtra la marque de la directrice de la maison.
« Be the Artists’ Guest »
Marie-Claude Beaud, à Grenoble à ses débuts, aux musées de Toulon entre 1978 et 1984, à la Fondation Cartier pour l’art contemporain dont elle engagea le projet parisien avec Jean Nouvel, à l’American Center à Paris et encore aux Arts déco, a veillé sur des collections diversifiées en conduisant des programmes originaux et accessibles. Elle a trouvé en arrivant à Luxembourg un bâtiment complexe et contrasté, monumental assurément, mais ni autoritaire, ni pesant, Pei sachant ménager la liberté de circulation du public. Bâti sur les vestiges d’un fort de Vauban, le bâtiment s’inscrit dans un environnement de parc urbain redessiné par le paysagiste parisien Michel Desvigne. Il tient de la forteresse, mais demeure très ouvert sur l’extérieur. Il présente une circulation intérieure – ponctuée par des escaliers remarquables –, entre des espaces de dimensions généreuses, irréguliers voire imprévisibles, les uns percés vers l’extérieur de larges verrières, d’autres fermés, deux autres encore, très grands et éclairés par le haut. Le tout produit un heureux effet de dédale, d’éclectisme (au point qu’il n’est pas facile de dénombrer de mémoire le nombre de salles), laissant cependant des temps morts dans l’accrochage, mais rendus conviviaux par l’échelle des lieux et les matériaux employés.
La directrice en a fait son affaire, élargissant la nature des œuvres présentées, croisant avec une belle et légitime indifférence aux réputées spécificités des médiums les domaines et les champs de pratique. Le parcours favorise la singularité des propositions, ambitieuses et le plus souvent inédites, de chaque artiste. C’est vraiment là la réussite du propos, dans le droit-fil du « concept » décliné sous forme de slogan par la communication du musée : « Be the Artists’ Guest ». Cette formule apparaîtrait un rien complaisante si elle ne reposait sur des choix d’œuvres exigeants et sur des invitations faites à des artistes capables d’habiter le musée – comme on dit d’un acteur qu’il habite un rôle. L’accompagnement de projet sur le long terme, la commande et la production (ou la coproduction) font le reste. Ce mode de fonctionnement permet d’accueillir des propositions de designers (Erwan et Ronan Bouroullec pour le café et la boutique, Konstantin Grcic, Martin Szekely), des interventions d’artistes pour l’aménagement (Tobias Putrih, Bert Theis, David Dubois), autant que des œuvres : projections vidéo (Pipilotti Rist, James Coleman), constructions ou installations (Wim Delvoye, Bruce Nauman) ; sculptures (Richard Deacon, Bill Woodrow) ; pièces et séries photographiques (Thomas Struth, Javier Vallhonrat, Valérie Belin, Charles Fréger) ; tableaux (Albert Oehlen, B. Wurtz) ; pièces réalisées in situ (Marc Couturier)… Et aussi, des dispositifs d’exposition : Gaylen Gerber occupe ainsi deux des grandes salles en associant des œuvres de la collection aux siennes au sein d’un accrochage construit à partir de collaborations et de combinaisons. Telle est « Eldorado », l’exposition inaugurale au titre un peu provocant en terre banquière, figure de l’attente et du plaisir, où les artistes ont été appelés à endosser les rôles de commissaire, de programmateur ou d’aménageur, rôles habituellement assumés par le musée. Mark Lewis conçoit un programme de films pour proposer son histoire du cinéma. François Boisrond peint sur place une série de tableaux en forme de making-off du musée pendant que la boutique est confiée à un créateur de mode (Maurizio Galante associé à un prescripteur de tendance). Trouvent leur place encore la gastronomie (la chef luxembourgeoise Léa Linster), la programmation sonore (Frédéric Sanchez), les nouvelles technologies (Éric Maillet ; Claude Closky, qui pilote le site Internet, avant-poste du musée depuis plusieurs années). L’effet d’accumulation en liste ici finirait par trahir le parti pris de l’exposition – et de l’institution –, qui parvient à une intégration de la variété des pratiques non pour les dissoudre dans un pandémonium de foire, mais pour leur restituer leur nécessité dans la vie de tous les jours. Ce principe leur fait tirer parti des lieux de manière convaincante. Le Mudam fera vite référence en termes d’accrochage et de collection, et plus encore quand il n’aura plus, comme à l’heure de son dévoilement, à faire ses preuves.
Bâtiment - Architecte : I. M. Pei - Superficie : 10 000 m2 dont 4 800 m2 de surface d’exposition - Budget : 88 millions d’euros Collection - Directrice : Marie-Claude Beaud - Nombre d’œuvres : 230, représentant plus de 200 artistes - Budget : 8 millions d’euros/an dont 2 sur recettes propres
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Le Mudam, enfin
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Abonnez-vous dès 1 €3, park Dräi Eechelen, Luxembourg, tél. 352 45 37 85 1, www.mudam.lu, tlj sauf mardi 11h-18h, 20h le mercredi. Exposition « Eldorado », jusqu’au 20 novembre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : Le Mudam, enfin