Marie-Claude Beaud

Directrice du Mudam

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 25 juin 2004 - 1327 mots

Directrice du Musée d’art moderne Grand-Duc Jean au Luxembourg, Marie-Claude Beaud conserve sa spontanéité et son éclectisme, contre vents et marées.

« Il faut un certain souffle, voire une ampleur de souffle pour parler de Marie-Claude Beaud », prévient l’ancien directeur du capcMusée d’art contemporain, à Bordeaux, Jean-Louis Froment. Il est vrai que la directrice du Musée d’art moderne Grand-Duc Jean (Mudam), à Luxembourg, est un concentré d’énergie pure. « Elle est rapide et aime quand les gens font vite, sont alertes », renchérit Hervé Chandès, directeur de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris. Femme de contre-allée, elle hume le vent, ne ferme la porte à aucun courant. Digressive mais convaincante, sa parole sort souvent de son lit. « Je peux critiquer parfois sa vitesse intuitive, où une intuition chasse l’autre. Ça peut aussi être positif parce qu’elle brasse généreusement des idées. Sa ligne de force n’est pas une ligne absolue, dogmatique, mais une pensée généreuse, souligne Jean-Louis Froment. Elle a une liberté particulière et ses partenaires, ou commanditaires, acceptent d’elle ce qu’ils refuseraient des autres. »

Une collection « décalée »
De ses origines rurales, Marie-Claude Beaud garde un côté terrien. « Je ne suis pas parisienne. Mes études ne se sont pas faites à Paris, les premiers musées que j’ai visités se trouvent en Suisse. Le fait de ne pas être parisienne, je ne le revendique pas, mais ça m’a aidé. »
En 1968, elle rejoint Maurice Besset au Musée de peinture et de sculpture de Grenoble. Proche dans l’esprit du modèle de l’association, voire de celui du syndicat, elle se frotte à toutes les moutures de la « proximité », du travail en équipe aux relations avec les élus. Après le départ de Besset, elle restera à peine deux ans à Grenoble avant de rejoindre les musées de Toulon en 1978. « On m’a traitée d’andouille, je quittais un musée de première catégorie pour un autre non classé, dans une ville réputée peu intéressée par l’art », rappelle-t-elle, amusée.
S’intégrant mal dans le schéma famille-enfant de cette cité conservatrice, elle résistera toutefois aux attaques. « J’étais béotienne sur le clientélisme. J’ai beaucoup appris sur les lobbies, la mafia. J’ai fait une collection sans me rendre compte qu’elle était très décalée par rapport à la réalité de la ville. » Sans commission d’acquisition, elle achète à loisir Claude Viallat, César, Martial Raysse, Sigmar Polke, développe une réserve « visitable », organise des expositions autour d’Art & Language, Daniel Tremblay ou Jean-Pierre Bertrand. Au bout de six ans, elle quitte un climat devenu délétère. « Je respecte la politique culturelle, mais pas l’administration qui prend la culture en otage », tranche-t-elle. Sollicitée en 1984 par un chasseur de tête, elle se retrouve en charge de la Fondation Cartier à Jouy-en-Josas (Yvelines). Son passage de la fonction publique au monde du luxe lui vaudra piques et jalousies. « C’est vrai que j’avais un certain train de vie, reconnaît-elle. Alain Dominique Perrin partait du principe que j’étais un manager comme un autre de sa société et je voyageais en première classe avec Limousine. » Chez Cartier, elle se familiarise avec le marketing et l’entrisme. Malgré l’obligation de retour d’image, elle a carte blanche pour y organiser quelques expositions marquantes, ainsi celle d’Ian Hamilton Finlay, le Céline de l’art contemporain...
Habituée à un train de vie dispendieux, elle vivra mal les réductions drastiques de budget en 1991 après la guerre du Golfe. Bien qu’elle participe à l’installation de la Fondation à Paris, son histoire s’arrête à Jouy-en-Josas. Lassitude ? « Je ne vois pas Marie-Claude subir un effet de lassitude. Soit elle est là, soit elle n’est pas là. Mais elle n’est jamais là lassée », rectifie Hervé Chandès. Elle rejoint en 1994 l’American Center, lequel, grevé d’une gestion catastrophique, fermera ses portes deux ans plus tard. De cette brève parenthèse, tout juste peut-on retenir un penchant pour la musique techno…
Malgré les mises en garde de ses proches, elle intègre l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD) en 1996. Outre une mauvaise entente quasi épidermique avec Hélène David-Weill, présidente de l’UCAD – « j’ai appris ce que la notion de classe voulait dire » –, elle se sent engoncée dans une structure organisationnelle trop rigide. « Je n’ai pas été politique. Parfois il faut savoir contourner, j’ai tendance à aller droit devant. » Après avoir été maître à bord dans d’autres structures, elle doit se contenter du statut de conservateur général. L’exposition « Tati », décalée par rapport au bon goût de la maison, signe son arrêt de mort. « L’institution n’est pas faite pour elle. C’est une femme qui ne peut pas être à l’intérieur d’une organisation aussi définie que les Arts déco », analyse Jean-Louis Froment. Cette inadéquation assumée l’a sans doute conduite à refuser les appels du pied du Musée national d’art moderne. « Il aurait fallu que je sois plus solide émotionnellement. » D’ailleurs, on la verrait mieux avec les pouvoirs élargis d’un président de Beaubourg qu’en directeur du musée !

Du côté des artistes
Son départ en 2000 pour le Luxembourg marque l’échec français à garder ses bons éléments, comme ce fut le cas avec Jean-Hubert Martin et Guy Cogeval. « Tout le monde a considéré qu’elle avait sa place au Luxembourg. Il vaut mieux qu’elle soit sur une histoire qui commence. Elle est du côté des matins et non des crépuscules », observe Jean de Loisy, son ancien collaborateur à la Fondation Cartier. Né du volontarisme politique de la ministre luxembourgeoise de la Culture Erna Hennicot-Schoepges, le musée ouvrira en 2006 dans ce petit pays dominé par une droite catholique. « Je rue dans les brancards car je n’ai rien à perdre. Je suis sans bagage, indépendante. On ne peut pas me faire mal en me virant », affirme-t-elle.
Malgré les tiraillements, Marie-Claude Beaud cumule les bons points. Sa légitimité est confortée avec le Lion d’or obtenu par le pavillon luxembourgeois [invitée : Su-Mei Tse] à la dernière Biennale de Venise, en 2003. « Elle a l’appui des politiques, qui ont compris qu’ils avaient beaucoup de chances de l’avoir. Elle est claire, directe, sans entourloupe. Elle n’a pas beaucoup de moyens et sait prendre des risques », souligne Carmen Giménez, commissaire d’expositions espagnole conviée à la commission d’acquisition du musée. En démarrant la collection, son prédécesseur Bernard Ceysson avait fait le plein de peintures. Marie-Claude Beaud oriente du coup les achats vers la vidéo et les installations. Faute d’un budget important, elle ne renie pas l’idée d’un musée d’humeurs. Elle rêve surtout de faire de cet espace l’équivalent du Grand-Hornu, un musée de communauté, vraiment européen.
Be the artists’ guest. Tel est le mot d’ordre des événements que le musée propose d’ici à l’ouverture du bâtiment conçu par I. M. Pei. Une façon de mettre l’artiste au premier plan. « Elle ne fait pas des artistes des instruments de communication comme peut le faire l’État. Elle est totalement de leur côté », insiste Jean de Loisy. Sans « copiner » nécessairement avec les artistes, elle force leur respect. « Elle pense que les artistes peuvent assumer un certain nombre de responsabilités habituellement confiées à des spécialistes, comme les sites Internet, observe l’artiste Claude Closky, responsable du site du Musée de la mode à l’UCAD et de celui du Mudam. À la Biennale de Venise, elle a choisi une très jeune artiste, alors que les petits pays essayent souvent de contourner le problème en invitant des grandes pointures internationales qui ont séjourné trois mois dans leurs pays. C’était un vrai risque. » Mais le risque est son moteur.

Marie-Claude Beaud en dates

1946 Naissance à Besançon (Doubs). 1969 Conservateur au Musée de peinture et de sculpture de Grenoble. 1976 Directrice du même musée. 1978 Directrice des musées de Toulon. 1984 Directrice de la Fondation Cartier à Jouy-en-Josas. 1994 Directrice de l’American Center à Paris. 1996 Conservateur général des musées de l’UCAD. 2000 Directrice du Musée d’art moderne Grand-Duc Jean, Luxembourg. 2006 Ouverture du Musée.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°196 du 25 juin 2004, avec le titre suivant : Marie-Claude Beaud

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