L’Italie fait figure de modèle pour l’enseignement de l’histoire de l’art puisque, dans les lycées classiques, une heure par semaine lui est consacrée, et quatre dans les instituts d’art, tandis que dans les instituts professionnels de tourisme, elle est une matière obligatoire… Les professeurs titulaires doivent avoir un diplôme spécifique. Mais ils sont démotivés, car ils ne gagnent pas plus qu’un ouvrier spécialisé. On attend beaucoup de la réforme de l’école voulue par l’actuel ministre de l’Instruction publique, Luigi Rei Languei.
TURIN. En Italie, dans l’enseignement secondaire, la transmission des connaissances repose aujourd’hui encore sur l’étude historique, telle qu’elle a été proposée par le philosophe Benedetto Croce, ministre de l’Instruction publique de 1920 à1921, puis modifiée par son successeur à ce poste de 1922 à 1924, le philosophe Giovanni Gentile. En dépit de leurs divergences d’opinion, l’un et l’autre se sont en effet montrés partisans d’un retour à l’idéalisme hégélien. Dans leur réforme de l’enseignement, dite "réforme Gentile", les deux hommes ont donc donné à l’histoire la toute première place dans les matières obligatoires du programme des lycées : histoire de la philosophie, des littératures italienne, latine – et grecque dans les lycées classiques –, histoire de la littérature d’une langue vivante étrangère choisie, français ou allemand, et enfin, histoire de l’art. Reconnaître les mérites de Croce et de Gentile n’est plus jugé politiquement correct. L’idéalisme néo-hégélien n’est plus toléré, car on ne pardonne pas à Gentile son adhésion au parti fasciste et son acceptation d’un ministère dans le premier gouvernement de Mussolini. Ces deux décisions ont entraîné l’exécution du philosophe par les partisans en 1944, et depuis, le milieu académique a semble-t-il condamné à jamais sa mémoire On peut se demander si, avec le temps, on n’en viendra pas à admettre qu’avant d’être l’un des idéologues du fascisme, il a contribué, à la suite de Benedetto Croce, à l’établissement d’un modèle d’enseignement et de formation de valeur.
L’"historicisme" absolu
C’est sans aucun doute grâce à la philosophie de l’"historicisme" absolu, prônée par les deux hommes, que l’histoire de l’art est demeurée une matière obligatoire dans tous les grands établissements d’enseignement secondaire. Ainsi, dans les lycées classiques, on consacre une heure par semaine à l’étude de l’histoire de l’art dans les classes correspondant à la seconde et à la première, et deux heures en terminale. Cela peut paraître modeste, mais dans de nombreux lycées, on a en outre mis en route une expérience : le projet Brocca. Celui-ci prévoit deux heures d’études hebdomadaires durant les cinq dernières années des lycées classiques, soit à partir de la classe de quatrième. Dans les lycées modernes, où prédomine l’enseignement des langues vivantes, on consacre les mêmes deux heures par semaine, durant cinq ans, à l’histoire de l’art. Cet enseignement est de quatre heures hebdomadaires durant les cinq années d’études des instituts d’art ou les quatre années d’études des lycées artistiques. Rattachée à la classe de dessin, l’histoire de l’art se voit consacrer deux heures hebdomadaires durant les cinq dernières années des lycées scientifiques et des écoles normales – d’ailleurs progressivement transformées en lycées modernes de langues. Enfin, l’histoire de l’art est une matière obligatoire de la cinquième année des instituts professionnels de tourisme, où elle s’accompagne d’un approfondissement particulier des aspects régionaux. Pour devenir professeur titulaire d’histoire de l’art, il faut être licencié en lettres, sortir d’une école d’architecture, du Dams (Département des arts de la musique et du spectacle), ou être diplômé de l’Académie des beaux-arts. Il convient en outre d’avoir passé au moins un examen en histoire de l’art médiéval et moderne – et à l’avenir, il en faudra trois –, ou d’avoir été reçu au concours pour le professorat (équivalent au Capès) organisé au niveau national par le ministère de l’Instruction publique. Ce concours est en principe organisé tous les trois ans, mais dans la pratique, il n’a pas eu lieu depuis 1990. Les étudiants qui y sont reçus sont aussitôt titularisés et habilités à enseigner cette matière. Au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, on a pris l’habitude d’admettre des postulants simplement après qu’ils aient suivi les tristement célèbres "cours d’aptitude". À l’issue de cette formation, l’admission devient automatique pour tous les chargés de cours dits "précaires", s’ils ont été stagiaires dans les établissements d’État durant au minimum deux années consécutives. À la suite de l’application de telles mesures, on a nommé des professeurs souvent mal préparés ou ne possédant pas de diplômes correspondant à la matière enseignée. Un procédé analogue a été récemment proposé aux instituts juridiques, sous l’appellation fantaisiste de "double canal" ; il entraînerait la titularisation de maîtres auxiliaires exerçant depuis longtemps. Si le système scolaire italien a de nombreux points forts, il souffre aussi de quelques faiblesses, tant sur le plan de l’organisation que sur celui de la gestion. Au nombre de ces dernières, il faut compter la modestie des salaires, qui explique que les enseignants soient volontiers démotivés puisqu’ils ne gagnent pas plus qu’un ouvrier spécialisé – environ 2 millions de lires par mois. Il serait souhaitable que soient prises de sérieuses initiatives pour assurer un relèvement, et que l’on ouvre aux meilleurs enseignants des instituts supérieurs des perspectives concrètes de carrière en leur permettant d’accéder aux postes universitaires par l’intermédiaire de concours, ainsi qu’ils en avaient autrefois la possibilité, grâce à la "libera docenza" (équivalent à l’agrégation).
Scolarité obligatoire jusqu’à seize ans
On attend beaucoup de la maxi-réforme de l’école voulue par l’actuel ministre de l’Instruction publique, Luigi Rei Languei, du parti démocratique de la gauche (PDS). On sait déjà que la scolarité sera rendue obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans, au lieu de quatorze à l’heure actuelle. L’importance de l’étude de l’histoire de l’art a également été confirmée par le comité des quarante-quatre “sages” qui a rédigé le rapport sur lequel va se fonder le projet de loi soumis dans les prochains mois à l’examen de la Chambre et du Sénat. Leur conclusion est en effet la suivante : "Il importe de dénoncer ici ouvertement la marginalisation dont font l’objet les arts sonores et visuels dans notre école, une relégation à laquelle il va falloir s’opposer... L’école doit être aussi le lieu privilégié d’une rencontre entre les jeunes et la civilisation figurative, qu’il faut comprendre comme l’expression d’un savoir-faire, doté d’une identité spécifique. C’est en ce sens que les arts figuratifs offrent d’immenses, d’irremplaçables possibilités pour le développement de la créativité, du comportement, de la communication et du jugement." On peut craindre que ces nobles déclarations d’intention, un peu emphatiques, ne préludent à l’abandon d’un modèle apprécié et toujours valide, et que l’on ne s’aventure dans l’expérimentation de méthodes nouvelles, fondées sur des exemples structurels et sémiotiques déjà dépassés. On notera que dans les universités des États-Unis, où ces modèles avaient été adoptés à l’origine avec enthousiasme, on en revient justement à l’"historicisme".
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le modèle italien : une matière obligatoire
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°42 du 29 août 1997, avec le titre suivant : Le modèle italien : une matière obligatoire