Pour sa troisième édition, Archilab (rencontres internationales d’architecture d’Orléans) a choisi d’inviter quatre-vingt-dix agences à présenter leurs travaux sur le thème de l’habitation. Vertigineuse par le nombre de participants, la manifestation offre une ouverture propre à regrouper pures spéculations, interventions artistiques et projets déjà achevés. Autant de contributions qui sonnent avec plaisir le glas de la maison Phénix.
ORLÉANS - Choisissant pour thème “Habiter aujourd’hui”, la troisième édition d’“Archilab” (rencontres internationales d’architectures d’Orléans) promettait par son titre des lendemains casaniers. Mais à ceux qui rêvent de bonheur domestique, de moquette épaisse et d’accès illimité aux contenus numériques, la baraque installée par Kyong Park dans la cour des Subsistances, où se déroule la manifestation, fait l’effet d’une douche froide : “Boîte faite en bois bâtie sur les cendres d’une boîte faite en bois”, pour reprendre les termes de l’œuvre de Lawrence Weiner, dont le lettrage répond à la construction édifiée avec des matériaux de récupération sur ses propres ruines. La maison symbolise la résistance opérée par l’architecte aux dérives de l’urbanisme libéral. Mené en collaboration avec l’Icue (Centre international pour l’écologie urbaine) et les habitants du centre-ville de Detroit – un ghetto déserté, qui depuis la fin des années 1950, a perdu près d’un million d’habitants –, le programme de reconstruction mené par l’architecte vise à contrer la spéculation immobilière en rebâtissant les bâtiments incendiés.
Aussi minimale que le plan quadrangulaire de la maison, cette introduction est un contrepoint astucieux à la majorité des projets exposés à l’intérieur des Subsistances. Six thématiques (“Individualiser l’habitat collectif”, “Flexibilité”, “Créer le paysage”, “Nouveaux styles de vie, aujourd’hui et demain”, “Subversion”, “Forme – Processus de Création”) rythment la centaine de travaux présentés par les quatre-vingt-dix agences. Mais l’ambition dominante reste de faire tenir un maximum de personnes dans un minimum d’espace, dans les meilleures conditions possibles : réalisée en 1997 à Setagaya au Japon, la Maison n° 21 d’Hiroshi Naito inscrit ses 52 mètres carrés dans une parcelle large de 3 mètres ! Aux Pays-Bas, MVRDV développe une planification urbaine en trois dimensions et leur projet 3D-Tuin adjoint à chacun des 29 appartements d’un immeuble de 42 mètres de haut des terrasses aux dimensions spectaculaires. Intéressé lui aussi aux développements sur le “sol vertical de la ville”, Willy Müller, un Argentin installé en Espagne, entend greffer l’architecture sur le support publicitaire, entamant ainsi une réflexion sur une nouvelle “forme légale d’occupation : le paiement pour usage temporaire”.
Également soumis aux données du développement urbain, qu’elles soient économiques ou législatives, Jakob et MacFarlane montrent leur Air-House, un projet qui joue sur la loi de la contrainte maximum. Dans la commune d’Athis-Mons, jouxtant l’aéroport d’Orly, leur pavillon doit faire face à un nombre impressionnant de règlements liés aux zones inondables ou aux champs électromagnétiques. À l’image de cette construction modelée par des impératifs invisibles, nombre de travaux intègrent un souci de discrétion, voire de camouflage dans leur volonté d’insertion. Chez les aînés, Peter Cook, ancien membre d’Archigram, laisse ainsi une totale liberté à la nature dans sa Veg. House et Dominique Perrault montre, avec Villa One (1995), une réelle capacité à se fondre dans le paysage. Enfin, à la vue du module Turn on des Autrichiens d’AWG, créé pour composer un habitat articulé qui s’adapte selon les besoins, le mythe de la machine à habiter a encore de beaux jours devant lui.
Beaucoup plus important que lors des deux précédentes expositions (30 agences étaient présentes en 2000), le nombre d’architectes à disposer d’un “stand” dans la scénographie compacte et gonflable de Matali Crasset donnera sans doute aux visiteurs le vertige, mais permet indéniablement de varier les propositions. La sélection peut ainsi aisément laisser place aux spéculations numériques de Lars Spuybroek et ouvrir la porte aux utopies avinées de l’Atelier van Lieshout, tout en présentant des travaux plus aptes à la réalité. Ceux-ci sont parfois construits, telle la Maison à Coutras de Lacaton et Vassal conçue dans une serre, ou encore en projets, comme les 110 logements HQE écologiques de Manuelle Gautrand pour la ville de Rennes. Commande de la division recherche et développement d’EDF, l’[Un]Plug Building & Friday’s Wear imaginé par François Roche pour R&Sie. D/B : L, partage le même souci d’économie d’énergie.
Cette tour à l’aspect futuriste, prévue pour La Défense, se conçoit comme une structure organique répondant à ses propres besoins. Contemporaine du nouvel âge du capitalisme, elle englobe “le tertiaire non pas comme un prolongement de chez soi, mais l’élabore comme une nouvelle dimension sociale, tribale, où l’architecture dans un même lieu devra assumer le dormir, le travailler, le manger, le baiser...” Une vie de tous les jours que Taeg Nishimoto propose en direct. Scénario architectural angoissant, sa Plot House mêle dans un même bâtiment deux familles qui ne se croisent jamais physiquement. Elles peuvent toutefois s’observer par circuits vidéo interposés. À quand l’adaptation télévisée ?
Parallèlement à Archilab, Orléans multiplie les manifestations sur l’architecture. Ainsi, le Fonds régional d’art contemporain du Centre (12 rue de la Tour Neuve, tél. 02 38 62 52 00) présente à travers une vingtaine de projets expérimentaux douze écoles européennes d’architecture, tandis que la médiathèque de la ville (boulevard Rocheplatte, tél. 02 38 65 45 45) s’attache au travail de Jean Renaudie, auteur des logements sociaux d’Ivry et de Givors. Enfin, jouant la carte de l’ouverture, le Musée des beaux-arts d’Orléans (Place Sainte-Croix, tél. 02 38 79 21 55) livre avec “Inside House, un territoire familier�?, une proposition de Céline Saraiva qui vise à explorer la notion de l’“habité�?. Les travaux de treize artistes contemporains, dont Philippe Ramette, Jean-Luc Moulène, Gregor Schneider ou encore Mathieu Mercier et Michael Craig-Martin sont ainsi réunis dans un espace “domestique�? scénographié par Delphine Coindet.
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Le futur domestiqué
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°128 du 25 mai 2001, avec le titre suivant : Le futur domestiqué