Le Brésil veut conquérir l’Europe

Le Journal des Arts

Le 15 octobre 2013 - 1320 mots

Sur la dizaine de galeries brésiliennes régulièrement présentes en Europe, une majorité d’entre elles privilégient le rendez-vous londonien. Mais la Fiac ne manque pas d’atouts.

Elles étaient dix à Londres la semaine dernière, réparties entre Frieze Masters (quatre) et Frieze London (six). Seule une moitié passe par le Grand Palais sur le chemin du retour. Pour les galeries brésiliennes, Paris est une belle foire mais Frieze est incontournable – tout en restant plus accessible que Bâle.
Pour les galeries brésiliennes, l’enjeu commercial des foires tient en trois villes : São Paulo, Rio et Miami. Selon la dernière publication du projet « Latitude », commandée par l’association Abact qui regroupe 44 galeries brésiliennes, les foires représentent en moyenne 38 % de leur chiffre d’affaires : 29 % pour les seules foires nationales, et 9 % pour l’international – Miami étant la plus fréquemment citée. Face à la croissance des galeries brésiliennes du chiffre d’affaires(22,5 % en moyenne pour les 50 plus importantes galeries en 2012), l’heure est à la concurrence entre les foires européennes pour attirer les marchands de São Paulo et Rio. Certes, selon le rapport Tefaf (commandé par The European Fine Art Foundation) 2013 sur le marché de l’art, le Brésil représente 1 % des ventes mondiales dans la catégorie « Fine Art » (« Beaux-arts »). Mais les artistes brésiliens ont la cote depuis longtemps et la nouvelle génération est soutenue par l’image irréductiblement porteuse du géant sud-américain.

3,8 foires par an
Pour les galeries brésiliennes, être présent à Paris ou à Londres est une question d‘image et d’investissement à long terme. Au-delà de la recherche de collectionneurs, il s’agit de démontrer aux artistes brésiliens leur capacité à vendre sur tous les continents. Le voyage en Europe représente un coût important, si l’on considère la jeunesse des galeries (les deux tiers des sondées au sein de l’Abact sont nées après 2000) et leur modèle économique encore largement local. L’étude chiffre à 3,8 le nombre annuel moyen de participations aux foires pour les 40 galeries qui comptent. C’est peu, et cela montre que la Fiac et Frieze ont encore d’importants nouveaux « clients » potentiels. Mais si l’on considère les événements incontournables du continent américain (Miami, Mexico, Bogota, et dans une moindre mesure Santiago et Buenos Aires) et ceux historiquement portés sur l’art latino-américain (six galeries brésiliennes à Madrid pour Arco en 2012), le calendrier est déjà dense. Paris et Londres sont concurrentes et le temps presse : le marché brésilien arrive à maturité et, une fois leur cible de collectionneurs affinée, les galeries expérimentées se concentreront sur une ou deux foires européennes.

L’énergie de Londres
Quels critères amènent les galeries brésiliennes à Londres plutôt qu’à Paris ? D’abord, la sempiternelle rengaine contre laquelle la Fiac travaille depuis dix ans : « Londres est la capitale de l’art contemporain, point final », assène Luisa Strina, doyenne des galeries de São Paulo et figure de proue de l’avant-garde brésilienne depuis trente ans. « Faire le doublon est trop fatigant et nos collectionneurs européens viennent à Londres. » Même son de cloche chez Eliane Finkelstein, directrice de la galerie Vermelho (São Paulo) et présidente de l’Abact : « Je ne suis jamais allée à la Fiac. Londres est une étape importante de notre calendrier et une évidence depuis la naissance de la galerie. Cette ville a une énergie et une ligne dans lesquelles je me retrouve. Paris est une ville magnifique, sûrement une bonne foire, mais qui tombe en même temps que Bogota, importante pour notre public sud-américain. » Ces deux galeristes brésiliennes ont pour point commun d’avoir présenté à Londres un solo show d’artiste brésilien ou vivant au Brésil (Marcius Gallan chez Strina et Dora Longo Bahia chez Vermelho), et de ne pas tout miser sur un best-seller pour séduire l’Europe.

À Frieze Masters, la galerie Millan (São Paulo) présentait cette année l’Italienne Anna Maria Maiolino, qui vit au Brésil depuis 1960. André Millan précise : « Retourner à la Fiac ne présente pas d’intérêt pour nous. Une année, il fallait soutenir une artiste ayant une exposition à Paris, alors nous sommes venus par opportunité. Sinon, c’est Londres. » La jeune galerie Berenice Arvani (São Paulo) montrait à Londres l’œuvre de Rubem Valentim, grand constructiviste brésilien. Jacqueline Martins (São Paulo) et A Gentil Carioca (Rio de Janeiro), deux autres galeries qui ont moins de 10 ans d’âge, présentaient à Frieze London uniquement des Brésiliens. Les artistes cariocas Ernesto Neto et Márcio Botner, qui ont cofondé la galerie A Gentil Carioca avec Laura Lima, abondent : « Frieze s’intéresse depuis toujours à l’avant-garde latino, à Rio, et à nous depuis la naissance de la galerie. La Fiac semble nous avoir découverts seulement en 2013. Nous verrons plus tard si nous avons vocation à y aller. »

Concomitance gênante avec la Biennale de São Paulo
Quatre galeries paulistes font cette année le doublé Frieze-Fiac : Nara Roesler et Luciana Brito, Fortes Vilaça et Mendes Wood, la jeune galerie qui monte (très) vite. Pour les deux premières, il s’agit d’un circuit rodé, témoin le duo présenté par Nara Roesler : Julio Le Parc et Lucia Koch. Le plus français des Argentins, chef de fil de l’art cinétique, était encore récemment une pierre angulaire de l’exposition « Dynamo », organisée au Grand Palais, sans compter la grande monographie dont il a bénéficié au Palais de Tokyo de février à mai. Lucia Koch fait partie de ce groupe d’artistes brésiliens nés dans les années 1960 dont les noms résonnent dans les biennales (Lyon, São Paulo, Istanbul) depuis dix ans. La galerie fait « huit foires dans l’année pour tester le marché », préférant profiter du voyage en Europe pour enchaîner Londres et Paris.
Chez Luciana Brito, neuf artistes sont présentés, parmi lesquels les stars (Marina Abramovic, Anthony McCall et Allan McCollum), une colonie brésilienne confirmée (Regina Silveira, Walter Cordeiro, Geraldo de Barros) et le Français Raphaël Zarka, récemment exposé à São Paulo. Une composition plus habituelle, quasiment identique à celle de 2012, pour un marchand étranger de passage à Paris.
La galerie Fortes Vilaça a choisi pour la Fiac Nuno Ramos, un Brésilien peu exposé à l’international, et un duo de jeunes artistes portugais qu’on avait découvert en 2011 au Plateau-Frac Île-de-France : João Maria Gusmão et Pedro Paiva. Pour Alexandre Gabriel, directeur, l’arbitrage entre Frieze et Fiac est également facile. « Nous sommes des fidèles de Frieze, depuis la première édition (2003). Jennifer Flay insiste pour nous faire venir à la Fiac [dont elle est directrice artistique], mais la Biennale de São Paulo, concomitante, est un moment-clé qui nous empêche d’enchaîner Londres et Paris. Nous sommes donc convenus avec elle de venir à Paris les années impaires, sans biennale. »

Avant-garde assumée
Chez Mendes Wood, enfin, on confirme le sentiment général. Bien que francophone et francophile (il a étudié à Anvers, Paris et Lyon), Mathieu Wood vient à la Fiac pour la première fois comme exposant. « Londres est notre choix naturel. Je suis américain, au sens large du terme. Le Grand Palais napoléonien, la France impériale au centre du monde… : l’esprit qui règne ici ne cadre pas vraiment avec notre ligne. Notre présence à Paris est un test. » Il y présente en solo show Paulo Nazareth, par ailleurs présent à la Biennale de Lyon en ce moment.
À Londres comme à Paris, les Brésiliens exposent donc des Brésiliens, souvent jeunes, dans une logique d’avant-garde assumée. Mais avec le sentiment d’être dans la ligne à Londres, et un peu plus marginal à Paris.
Reste le cas spécifique de Raquel Arnaud (São Paulo), historique de la Fiac par ses liens forts avec la scène française (et Denise René) et sa capacité à incarner le constructivisme brésilien : « Notre présence à Paris explique celle des autres [galeristes brésiliens] à Londres : notre ligne est à Paris. Nos collectionneurs anglais viennent de toute façon à la Fiac, comme les collectionneurs français plus avant-gardistes vont à Londres. » 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°399 du 18 octobre 2013, avec le titre suivant : Le Brésil veut conquérir l’Europe

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