Modeste manifestation à ses débuts, la Tefaf (The European Fine Art Fair) a acquis étape par étape une réputation internationale très solide. Retour sur les jalons de cette progression.
La Tefaf, acronyme de The European Fine Art Fair (la foire européenne de l’art), attire chaque année les plus grands collectionneurs du monde entier. Ces VIP arrivent en jet privé de Los Angeles, de Moscou, d’Amérique latine ou encore des Émirats arabes pour assister au vernissage de l’événement, soit la veille de l’ouverture au grand public. L’avidité de ces privilégiés, prêts à attendre pendant une ou deux heures le coup d’envoi de la Tefaf est palpable, un peu comme au premier jour des soldes à Londres chez Harrods. À une exception près : le cheikh qatari et grand amateur d’art Saoud al-Thani dont la famille est propriétaire de la chaîne de TV Al Jazira, se fait accréditer comme journaliste pour pouvoir pénétrer la foire avant tout le monde. « C’est un moment unique. L’électricité est dans l’air. Je ne pense pas qu’un autre événement puisse créer cela, rapporte l’antiquaire français Nicolas Kugel. Vu notre localisation [premier stand à gauche en entrant], nous prenons cette première vague d’acheteurs de plein fouet. Notre stand est tellement peuplé, qu’il est déjà arrivé que mon frère et moi vendions, sans nous en rendre compte, le même objet à deux clients différents. » Beaucoup de ventes se font dès l’ouverture, quand d’autres se construisent sur un plus long terme. Les conservateurs de musées dont pas moins d’une quarantaine vient des États-Unis, n’ont pas souvent la faculté de dégainer aussi vite que ces privés fortunés.
L’improbable ascension d’une modeste foire
Fondée dans le petit village méconnu et excentré de Maastricht aux Pays-Bas, au sein d’un affreux bâtiment (un hangar), la Tefaf étonne encore par son succès couronné annuellement par un nombre impressionnant de visiteurs (73 000 en 2011). Mais tout comme Rome, la Tefaf telle que nous la connaissons aujourd’hui, ne s’est pas faite en un jour. Au commencement, en 1975, s’est créée « Pictura », une foire semestrielle spécialisée dans les tableaux de grands maîtres et les sculptures médiévales, à Maastricht autour de 28 exposants. Ses bons résultats commerciaux poussent au lancement de la foire « Antiqua » en 1978, toujours à Maastricht, avec 42 exposants internationaux, principalement des antiquaires et des professionnels des livres anciens. Cette dernière est rebaptisée « Antique Maastricht » l’année suivante, mais c’est sous l’appellation de « Antiquairs International » qu’elle s’installe un peu plus loin à Fauquemont (Valkenburg en néerlandais) en 1982. « Antiquairs International » et « Pictura » finissent par se regrouper en 1985 pour donner naissance à « Antiquairs International & Pictura Fine Art Fair », la foire annuelle de Maastricht qui devient en 1988 « The European Fine Art Fair » qui s’ancre dans le nouveau centre d’exposition et de congrès de Maastricht (le MECC). Elle compte alors 97 exposants et reçoit 17 672 visiteurs. En 1991, la foire s’ouvre alors un peu à la peinture moderne et contemporaine et le nombre de marchands grimpe à 135. La galerie d’antiquités Kugel, l’un des tout premiers exposants français à Maastricht, arrive cette année-là. « La foire n’avait à cette époque rien à voir avec celle d’aujourd’hui, se rappelle Nicolas Kugel. C’était une belle foire régionale qui n’avait pas la même notoriété. Le monde était moins globalisé. Les clients que nous rencontrions sur place étaient essentiellement hollandais et allemands. L’endroit était alors difficile d’accès, personne ne savait où se trouvait Maastricht, ni comment prononcer ce nom. » Largement médiatisé, le traité de Maastricht, signé en 1992 par les États membres de la Communauté économique européenne, va rapidement arranger ce problème. En 1993, la foire qui inclut désormais la joaillerie, les livres et manuscrits ainsi que les antiquités classiques, monte à 158 exposants. Le Français Jean-François Heim, spécialiste en tableaux anciens, est de ceux-là. Mais grande est sa déconvenue. « Pour ma première exposition, j’étais venue avec des tableaux français néoclassiques signés du baron Gérard, François-Xavier Fabre ou encore Anne-Louis Girodet, et quelques œuvres sur papier de la même période dont un dessin de Jacques-Louis David. Je n’ai rien vendu, à part une petite aquarelle, raconte-t-il. À l’époque, les acheteurs de la foire étaient des Hollandais qui ne s’intéressaient pas à ce genre d’œuvres. Le public s’étant depuis considérablement élargi, aujourd’hui les choses seraient différentes. » Maintenant, il n’y a pas un courant de peinture qui ne soit pas représenté à Maastricht.
Les trésors de l’Ermitage
1994 est une année clé dans l’histoire de la Tefaf qui accueille les « Trésors de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ». Cette exposition d’objets prestigieux voyageant pour la première fois consécutivement à la chute du rideau de fer, a fait monter le niveau de la foire d’un cran et le flux des visiteurs à 60 000 entrées. Le bouche-à-oreille aidant, la foire se tricote petit à petit une notoriété internationale, ponctuée de quelques ventes mémorables comme un Portrait de jeune homme par Rembrandt cédé pour 4,8 millions de dollars (5,7 millions d’euros), en 1996. En 1998, les exposants s’élèvent à 175, les visiteurs à 65 000. En 2001, ils sont respectivement 200 et 76 000. Fruit d’une stratégie innovante, les expositions muséales de la Tefaf continuent de faire mouche, comme celle inédite organisée en 2005 sur 35 chefs-d’œuvre du Detroit Institute of Arts, incluant cinq pièces achetées à l’origine à la Tefaf, totalisant près de 78 000 visiteurs. En 2006, la Tefaf revoit son plan d’implantation et gagne 1 000 m2 permettant d’installer 218 exposants internationaux, de plus en plus triés sur le volet, et d’accueillir 84 000 visiteurs. En 2007, ils ne sont plus que 70 000 à se rendre à la Tefaf, suite à l’augmentation du prix d’entrée de la foire (actuellement de 55 euros, catalogue inclus). La foire occupe à présent environ 30 000 m2. 265 Professionnels venant de 19 pays se préparent cette année à accueillir plus de 73 000 visiteurs.
« La Tefaf a démarré il y a vingt-cinq ans, quand il n’y avait pas autant de foires qu’aujourd’hui. Son développement en termes de perspectives internationales et de niveau de qualité a été très graduel, explique le marchand en art d’Extrême-Orient Ben Janssens, président de la Tefaf. Aujourd’hui, le succès de la Tefaf repose sur une combinaison de facteurs. D’abord, sur sa position géographique, soit au cœur d’une riche région européenne. Deuxièmement, la Tefaf peut être qualifiée de «foire de destination» : Maastricht étant un village n’offrant pas beaucoup de distractions, les gens viennent à la foire pour la foire. Troisièmement, nos marchands gardent leurs meilleures pièces pour la foire, parce qu’ils savent qu’ils les vendront là-bas. » La structure juridique de la Tefaf, une fondation qui prend en charge l’organisation de la foire, a son importance. Aucun bénéfice n’est réalisé. Le moindre euro est réinvesti (décor, accueil du public, sécurité, communication, service aux exposants…). Le vetting, ces comités d’experts en charge de contrôler l’authenticité, la qualité, l’état de conservation et même de présentation des œuvres d’art exposées, est l’un des atouts de la foire. « Nous sommes très attentifs aux évolutions du marché et nous prenons en compte les suggestions de nos visiteurs. C’est ainsi que sont nées les sections «Design»en 2009 et «Works on paper» en 2010 », souligne Ben Janssens pour qui, « présenter de l’art moderne et contemporain [en hausse à la Tefaf ces dernières années] est vital. Le business transversal qui fait que des collectionneurs d’un domaine sont attirés par des œuvres d’autres spécialités, est devenu important à la Tefaf. Nous souhaitons provoquer ce désir d’achats transversaux chez les collectionneurs d’art moderne et contemporain qui ne sont pas habitués aux foires où autant de secteurs de collection sont représentés. »
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L’ascension d’une grande foire
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°364 du 2 mars 2012, avec le titre suivant : L’ascension d’une grande foire