Patrimoine

L’Aliph poursuit tant bien que mal ses programmes

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 16 juin 2020 - 994 mots

MONDE

La fondation suisse pour la protection du patrimoine en zone de guerre tente d’assurer une continuité de ses activités sur le terrain, tout en soutenant financièrement les acteurs locaux frappés par la crise du Covid-19.

Lancement du projet de restauration d'un stupa bouddhiste antique à Shewaki, Afghanistan en mars 2020. © ACHCO
Lancement du projet de restauration d'un stupa bouddhiste antique à Shewaki, Afghanistan en mars 2020.
© ACHCO

Genève. L’annonce fin avril de la création un fonds d’aide d’urgence pouvait laisser penser que l’Aliph (Alliance pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit) interrompait ses activités à cause de l’épidémie du Covid-19. Il n’en est rien selon Valéry Freland, son directeur exécutif : « Aliph est depuis 2019 dans une phase d’accélération et de décloisonnement des acteurs de terrain. » Les conséquences de la pandémie provoquent certes des retards dans plusieurs projets parmi la cinquantaine que finance l’Aliph, mais ces retards sont le plus souvent compensés par la mobilisation des partenaires locaux.

Parmi les projets les moins touchés se trouve la réhabilitation du Musée des civilisations d’Abidjan (Côte d’Ivoire) où l’Aliph a financé avec l’aide d’une fondation locale des travaux de sécurisation des collections. La directrice du musée, Silvie Memel Kassi, rappelle que le musée a souffert de pillages en 2010-2011 (lors du conflit entre Alassane Ouattara, candidat élu à la présidence de la République, et Laurent Gbagbo, président sortant) : « Plus d’une centaine de pièces majeures ont été volées, dont la collection d’or de l’ancien président Félix Houphouët-Boigny. En 2019, j’ai postulé auprès d’Aliph pour un financement afin de protéger in situ les collections du musée. » La directrice craignait de nouvelles violences lors des élections présidentielles de 2020 et a donc fait installer des portes blindées, ainsi que des étagères en inox dans les réserves du musée. Au moment du confinement en Côte d’Ivoire, à la fin mars, les travaux étaient achevés : « Nous avons installé quarante étagères métalliques à la place de celles en bois, et nous avons numérisé 3 000 pièces sur les 15 000 des collections », se félicite Silvie Memel Kassi. Une autre phase de travaux est prévue ultérieurement, mais pour l’instant sans le soutien de l’Aliph.

Situation difficile en Irak

C’est donc le recours à des acteurs locaux bien implantés qui permet une continuité d’activité, comme en Afghanistan où l’Aliph cofinance plusieurs projets, dont la restauration d’un stupa (mausolée) bouddhiste antique à Shewaki. Malgré des conditions de sécurité peu établies, les travaux ont pu continuer, comme le confirme l’architecte Jolyon Leslie de l’ONG Achco : « Nous avions documenté en détail la structure du bâtiment avant le confinement, et nous avons fait en sorte que les ouvriers et maçons sur le site puissent se fournir en morceaux de maçonnerie récupérés, ainsi qu’en pierres d’une carrière locale. » Les activités continuent pendant le confinement, « malgré les circonstances difficiles », confirme-t-il.

Lorsque la situation sur le terrain est déjà dangereuse en temps normal, la crise du Covid-19 ajoute aux difficultés. C’est le cas en Irak à Mossoul, où les grands projets de réhabilitation du patrimoine sont quasiment à l’arrêt. À une exception, le projet de Tutunji House, une demeure d’époque ottomane détruite par l’EI (acronyme de l’organisation État islamique) dont la restauration est financée par l’Aliph et plusieurs institutions américaines. « La première phase de travaux est terminée, c’est-à-dire le déminage du bâtiment, l’évacuation des gravats, la sécurisation du site et la stabilisation de la structure », résume le codirecteur du projet Michael Danti (université de Pennsylvanie). Des travaux effectués à l’automne 2019 et au printemps 2020, avec une interruption d’un mois seulement selon l’expert, lequel reste optimiste pour la suite en raison de l’implication « des habitants de Mossoul et des acteurs locaux pour la sauvegarde du patrimoine ». La deuxième phase des travaux et la restauration complète du bâtiment ne peuvent cependant pas démarrer pour l’instant, vu la situation sur place, précise-t-il.

Mossoul se révèle d’ailleurs un cas d’école en tant que plus important projet international de restauration du patrimoine à ce jour, avec l’implication de l’Unesco et de plusieurs grands musées. Le Louvre et la Smithsonian Institution (Washington) y supervisent la complexe réhabilitation du Musée de Mossoul, pillé et détruit par l’EI lors de l’occupation de la ville entre 2014 et 2017. Valéry Freland rappelle qu’un plan d’action a été mis au point par des experts des deux musées fin 2019, et accepté par les autorités irakiennes. La conservatrice du Louvre Ariane Thomas (Antiquités orientales) précise en outre que « ce plan d’action d’une centaine de pages est basé sur un calendrier flexible, vu les circonstances politiques », une allusion à la crise politique qui paralyse l’Irak depuis plusieurs mois. Valéry Freland regrette d’ailleurs que « les chantiers de restauration prévus en janvier-février 2020 aient dû être reportés ». Les seules activités qui continuent pendant le confinement concernent la numérisation de documents par des équipes irakiennes de Mossoul.

Car comment continuer à restaurer le patrimoine dans des pays sous confinement, où la situation sécuritaire est instable, et où le ramadan perturbe les horaires habituels de travail ? La question se pose aussi bien en Libye qu’au Mali, où l’Aliph tente de maintenir ses activités. La numérisation de documents anciens ou la modélisation en 3D de bâtiments reste alors la seule solution, comme à la bibliothèque Al-Aqib à Tombouctou au Mali.

L’autre projet financé par l’Aliph dans le pays est au point mort à cause des conditions sécuritaires et sanitaires ; il s’agit de la restauration du tombeau des Askia à Gao, l’un des tout premiers projets de la fondation début 2019.

La numérisation de documents concerne aussi le Yémen où « les activités de terrain sont au ralenti », d’après Valéry Freland, qui mentionne également des inondations récentes parmi les obstacles à une reprise d’activité. Le fonds d’urgence de l’Aliph peut servir ici quand les acteurs locaux sont isolés.

La création d’un fonds d’urgence de 1 million de dollars constitue donc une forme de réponse à la crise du Covid-19, du moins dans les pays où les partenaires de l’Aliph ne peuvent plus travailler sur site. Valéry Freland défend « une approche concrète et tournée vers l’action » face à cette crise, mais l’Aliph devra réajuster sa stratégie si la crise se prolonge au-delà de quelques mois.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°547 du 5 juin 2020, avec le titre suivant : L’Aliph poursuit tant bien que mal ses programmes dans les zones en conflit

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque