La fondation genevoise a annoncé le 8 novembre l’ouverture prochaine d’un bureau régional à Riyadh, une première pour cette ONG fondée conjointement par la France et les Émirats en 2017.
Genève. « Aliph lance une nouvelle phase de son développement » après cinq ans d’existence, explique au Journal des Arts le directeur exécutif de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit, Valéry Freland. C’est l’Arabie saoudite qui a proposé d’accueillir ce bureau destiné à appuyer les actions de la fondation, « notamment au Moyen-Orient ». L’objectif est de gagner en « réactivité » face à des situations d’urgence, selon le collectionneur américain Thomas S. Kaplan, président de l’Aliph. L’Arabie saoudite est en effet un acteur politique incontournable au Moyen-Orient, et un des premiers membres fondateurs de l’Aliph.
Cependant choisir Riyadh est risqué pour une ONG, d’autant que le bureau sera financé par l’Arabie saoudite. Le pays avait déjà versé près de 30 millions de dollars (29 M€) à l’Aliph pour les projets de protection ou de reconstruction du patrimoine en janvier 2022 : l’Arabie saoudite va-t-elle prendre une place plus importante au sein de la fondation ? Selon Valéry Freland, le bureau sera « une extension du secrétariat d’Aliph » et les agents à Riyadh seront placés sous son autorité : la fondation gardera donc le contrôle, et « restera une seule entité ».
Se pose aussi la question épineuse de la guerre au Yémen. Depuis 2014, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis mènent au Yémen une guerre contre des séparatistes soutenus par l’Iran, n’hésitant pas à bombarder des villes : outre la population, le patrimoine urbain du Yémen en paye le prix fort. Or l’Aliph intervient dans de nombreux projets au Yémen, puisque le pays « est une priorité de la fondation, avec dix-huit projets soutenus », rappelle Valéry Freland. L’Aliph a ainsi financé la réhabilitation de vingt immeubles traditionnels en terre dans la ville de Shibam (ville de l’est du Yémen dont une partie est classée au patrimoine mondial de l’Unesco). Un appel à projets spécifique vient d’ailleurs d’être lancé pour le patrimoine yéménite, indique Valéry Freland, et ce soutien « fait l’objet d’un consensus au sein du conseil de fondation ». Il n’y a donc aucune réticence parmi les pays membres à soutenir des projets au Yémen tout en recevant des financements de l’Arabie saoudite, partie prenante au conflit en cours…
En réalité, il s’agit ici de diplomatie d’influence à plusieurs niveaux : la France cofondatrice de l’Aliph avec les Émirats a des intérêts en Arabie saoudite, notamment pour le développement du tourisme et des lieux culturels. C’est le cas sur le site d’Al-Ula au nord du pays, où l’agence française Afalula se charge de trouver des investisseurs français et de développer les lieux d’exposition. Les Émirats, alliés de la France, cherchent de leur côté à s’imposer comme acteur culturel régional, de même que l’Arabie saoudite. L’Aliph étant, de l’aveu même du ministère des Affaires étrangères, une tête de pont de la diplomatie culturelle française, il n’est pas étonnant de la voir s’implanter en Arabie saoudite malgré les risques qu’elle encourt pour sa crédibilité.
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L’Aliph parie aussi sur l’Arabie saoudite
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°599 du 18 novembre 2022, avec le titre suivant : L’Aliph parie aussi sur l’Arabie saoudite