PARIS
PARIS [11.09.15] - L'oeuvre d'un artiste est-elle au-dessus des lois ? Anish Kapoor a ouvert le débat en décidant de laisser en l'état sa sculpture souillée d'inscriptions antisémites à Versailles, un choix qui peut se heurter aux textes qui répriment l'antisémitisme.
Si l'on se réfère au droit d'auteur, l'artiste "est tout puissant sur son oeuvre et peut tout à fait décider d'accepter une modification sur celle-ci même si elle porte atteinte à son intégrité. L'artiste est le seul à pouvoir en décider", explique à l'AFP Christophe Caron, avocat spécialiste du droit de la propriété intellectuelle.
"Le droit d'auteur ne s'intéresse pas au message de l'oeuvre, il n'est pas un instrument de censure et vise, justement, à protéger l'auteur contre une éventuelle censure", précise-t-il.
Inaliénable et imprescriptible, le droit moral d'un auteur à disposer de son oeuvre autorise donc Anish Kapoor à ne pas faire effacer les messages à caractères antisémites inscrits, dimanche, sur sa sculpture "Dirty Corner", vandalisée dans les jardins du château de Versailles.
L'artiste, soutenu par le château et la ministre de la Culture, avait d'ailleurs annoncé le jour même que les insultes ne seraient pas retirées considérant que, désormais, "ces mots infamants faisaient partie de l'oeuvre".
"Je défie désormais les musées du monde de la montrer telle quelle, porteuse de la haine qu'elle a attirée. C'est le défi de l'art", avait-il déclaré.
Une démarche jugée "intelligente" par la sociologue Nathalie Heinich, pour qui "une oeuvre d'art contemporain ne consiste pas seulement dans l'objet proposé par l'artiste mais aussi dans l'ensemble de l'oeuvre" et ce, quelles que soient les modifications qui lui sont apportées.
"L'art contemporain faisant des propositions transgressives, les éventuelles réactions négatives s'inscrivent dans la logique de l'oeuvre", a-t-elle expliqué à l'AFP.
En théorie, rien ne s'oppose donc à ce que "Dirty Corner", oeuvre monumentale controversée surnommée "le vagin de la Reine" en raison de sa connotation sexuelle, reste en l'état jusqu'au terme de l'exposition à Versailles, prévu le 1er novembre prochain.
En théorie seulement car, à côté du droit d'auteur, d'autres règles de droit pourraient imposer que l'oeuvre soit nettoyée, souligne Christophe Caron.
Parmi ces règles figurent celles qui répriment l'incitation à la haine raciale et l' antisémitisme ou encore celles qui portent atteinte à la dignité humaine, explique-t-il.
- Intérêt public contre liberté de l'artiste -
C'est l'argument avancé par le conseiller municipal de Versailles, Fabien Bouglé (divers droite), qui poursuit l'artiste en justice notamment pour "incitation à la haine raciale" et "injures publiques", et qui demande que l'oeuvre soit nettoyée, voire enlevée de l'espace public.
Le problème de la censure s'était déjà posé avec l'exposition Our Body qui montrait des corps humains disséqués, rappelle Me Caron.
L'exposition de ces cadavres, à vocation scientifique et pédagogique, avait été jugée indécente et interdite en 2010. La justice, saisie par plusieurs associations, avait estimé que "les restes des personnes décédées devaient être traités avec respect, dignité et décence".
Autre exemple, cité par l'avocat, celui du pamphlet antisémite de Louis-Ferdinand Céline "Bagatelles pour un massacre", sorti en 1937 mais retiré de la vente par décret, sans même qu'il y ait eu un procès.
"Si une action pénale est engagée, réclamant que les inscriptions soient effacées sur la sculpture d'Anish Kapoor, mon sentiment est que le droit pénal aura le dernier mot car l'intérêt public l'emporte sur la seule protection du droit de l'artiste", explique Me Caron.
Une analyse partagée par son confrère Emmanuel Pierrat, spécialisé dans le droit d'auteur.
"Le choix d'Amish Kapoor est artistique et politique mais juridiquement, on ne peut pas laisser un message à connotation raciste et antisémite sur la voie publique", explique-t-il.
"Si demain, une association comme la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) ou l'Union des étudiants juifs de France demandait que les inscriptions soient retirées, le juge trancherait en leur faveur", assure-t-il.
Une procédure pourrait aussi être engagée au civil au motif que de telles inscriptions, dans un espace public, "cause un préjudice moral à la communauté juive", estiment les juristes.
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