Président d’Ateliers d’art de France, Serge Nicole organise au Grand Palais en septembre un nouveau salon croisant artisanat et art contemporain.
Serge Nicole dirige depuis 2006, les Ateliers d’art de France, le syndicat professionnel des artisans d’art. Il est lui-même céramiste. Déjà propriétaire du Salon maison & objet et du Salon du patrimoine, le groupement organise à la rentrée de septembre au Grand Palais un nouveau salon, Révélations, au croisement de l’artisanat et de l’art contemporain.
Jean-Christophe Castelain : Atelier d’Art de France (AAF) est connu du grand public par ses salons, mais c’est d’abord un organisme professionnel !
Serge Nicole : C’est en effet inhabituel pour une organisation professionnelle d’être ainsi centrée sur des activités commerciales, c’est inhabituel mais identitaire depuis l’origine (1949), lorsque nous avons créé le salon qui est devenu aujourd’hui Salon maison & objet, dont nous sommes copropriétaires avec notre associé Reed. Nous sommes en effet un groupe professionnel, le seul représentatif des métiers d’art, avec une action syndicale et militante. Ce groupe professionnel s’est construit dans les années 1950, autour de son salon, afin de structurer ce secteur économique et culturel essentiel pour la société française. Nous sommes d’ailleurs quasiment le seul organisme professionnel d’artisans d’art dans le monde. Dans les autres pays d’Europe, où le même « mouvement esthétique » d’artistes de la matière s’est développé depuis plus d’un siècle, nos interlocuteurs sont les représentants des États.
J.-C.C. : Quel est le profil moyen de vos adhérents ?
S.N. : Les quelque 6 000 ateliers d’art que nous fédérons aujourd’hui sont avant tout des créateurs. C’est un secteur constitué de très nombreuses petites structures, très souvent individuelles, ou incluant un compagnon, des apprentis. Moi-même je suis céramiste et travaille seul. Mais il y a aussi des entreprises importantes, comme Brun de Vian-Tiran une manufacture lainière bicentenaire constituée de plusieurs ateliers sur toute la chaîne de production, qui emploie une cinquantaine de personnes. Il est profondément identitaire pour un artisan d’art de maîtriser l’intégralité de la fabrication, car cela génère quelque chose de l’ordre du dépassement de soi. Nous ne sommes pas des exécutants. En créant du lien générationnel par la formation, nous apportons beaucoup à la société et pourtant, je le répète, notre identité n’est pas encore reconnue. Selon les chiffres de Bercy, notre secteur comprend 34 500 entreprises, emploie 53 000 salariés et génère un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros dont 7 % à l’exportation. Nous avons malheureusement perdu 17 000 emplois en dix ans. Il est difficile d’attirer des jeunes dans un métier qui manque d’un statut juridique spécifique et reste aujourd’hui très dispersé.
J.-C.C. : Quelles sont justement vos relations avec l’État ?
S.N. : Des rapports compliqués ! Pour l’État, les métiers d’art tout au long du XXe siècle, c’était le patrimoine. L’État a protégé le patrimoine mais en même temps les artisans créateurs que nous sommes ont dû se battre pour exister. C’est la quatrième fois dans l’histoire qu’on revendique un statut spécifique pour les artisans d’art, ça a commencé en 1960, ça n’a pas marché, même chose en 1981. Nous avons alors dû aller sur le terrain du patrimoine et de la tradition afin de trouver une visibilité sociale. Je porte cela depuis que je suis président d’AAF, nous avons inscrit cela dans nos statuts en 2008. L’année suivante nous avons repris le salon du patrimoine culturel, un secteur qui ne nous était alors pas familier. Aujourd’hui, les métiers d’art sont une seule famille, ils regroupent les ateliers de création, de tradition et du patrimoine. L’objectif de ce salon était et est toujours d’obtenir une visibilité, une reconnaissance pour notre profession. Si l’État nous avait mieux accompagnés, nous n’aurions certainement pas autant de force aujourd’hui, car pour exister nous avons dû prendre notre destin en main. Nous avons des modes d’action très différents de ceux des artisans. Un salon est un lieu unique de visibilité pour le secteur pour que les pouvoirs publics prennent conscience de ce que nous sommes. Aujourd’hui, nous n’avons ni filière de formation ni régime de prévoyance spécifique, ni fiscalité homogène. Un céramiste inscrit à la chambre des métiers est assujetti à une TVA de 19,6 % tandis qu’un céramiste qui revendique un statut d’artiste est assujetti à un taux de 7 %.
J.-C.C. : Pourtant l’État a créé l’Institut national des métiers d’art (l’INMA) ?
S.N. : Oui nous avons œuvré pour cette création. L’INMA existe depuis 2010. C’est le pilotage de la politique de l’État en faveur des métiers d’art. Il existe deux pôles : les professionnels que nous sommes et l’INMA qui représente l’État. L’INMA porte certains projets tels que la Journée européenne des métiers d’art. Nous le soutenons, car sans lui, il n’y aurait pas de représentation d’État spécifique pour les métiers d’art. Il a ainsi été défini un périmètre des métiers d’art qui comporte 217 métiers. C’est un décret d’État, « l’arrêté Dutreil », nous y tenons beaucoup, c’est un début. Dans le même temps, nous avons réalisé un observatoire pour avoir des chiffres sur notre secteur que l’État n’a pas voulu ou su rassembler. Jusqu’à présent c’était fait en interne, aujourd’hui il s’agit d’un partenariat avec l’État. La finalité est toujours la même : structurer notre domaine d’activité.
J.-C.C. : Au fond, les artisans d’art ont du mal à avoir une identité propre entre les artisans, les designers, et les maisons de luxe ?
S.N. : Pas du tout ! les artisans d’art défendent leur singularité, qui est irremplaçable, qui est indispensable à tous ! ces valeurs de patience, de méticulosité. Un artisan d’art n’essaye pas d’aller plus vite, mais essaye d’aller le plus loin possible. Et c’est vrai que ce modèle séculaire a donné naissance au XIXe siècle à l’industrie du luxe. Le bottier Massaro par exemple, est un artisan d’art qui devient une marque de luxe, comme Brun de Vian-Tiran, mais en gardant l’origine identitaire de ce qui se passe dans l’atelier. La différence entre un artisan d’art et LVMH, c’est que la marque de luxe a les moyens d’atteindre seule ses marchés, alors qu’un artisan d’art a besoin d’une organisation collective pour accéder à ses marchés qui sont internationaux. C’est l’action d’Ateliers d’art de France qui permet de pallier les manques liés à la petite structure en organisant des actions collectives pour atteindre les marchés.
Le design est un secteur voisin des métiers d’art, comme l’industrie du luxe mais il n’a pas la même origine que nous, contrairement à l’industrie du luxe. Le design est inscrit dans la division industrielle du travail et nous non. Dans les années 1950, il y a eu une forme de scission entre les arts appliqués et le design, entre l’atelier et la création, mais c’est le design qui a gagné la bataille de la communication.
J.-C.C. : Une des raisons de la faible reconnaissance de l’identité des artisans d’art ne réside-t-elle pas dans l’absence de « grandes figures » ?
S.N. : C’est vrai, le public ne connaît pas vraiment les grandes figures d’artisans d’art. Le design a su créer des stars et nous non. Peut-être parce que nous sommes des gens d’atelier. Nous sommes dans l’intemporel, nous n’avons pas eu envie de nous mettre en avant, mais maintenant nous en mesurons les conséquences. Nous sommes en train de faire évoluer cela.
J.-C.C. : Quelles sont les ressources de votre syndicat professionnel ?
S.N. : Nous sommes copropriétaires avec Reed, via notre filiale commune SAFI, du Salon maison & objet. Ce salon international numéro un au monde de son secteur est la base de nos ressources, très loin des cotisations des adhérents. Nous possédons également, mais en totalité le Salon du patrimoine qui lui aussi est bénéficiaire. C’est un choix stratégique, nous sommes le seul syndicat professionnel à avoir gardé un salon, ce qui nous permet de disposer aujourd’hui d’un patrimoine important et de mener des actions d’envergure. Le syndicat emploie 45 salariés. Nous avons ouvert quatre espaces à Paris, show-rooms, galerie, boutiques, où les créations de nos adhérents sont exposées et nous ouvrons des boutiques en région.
J.-C.C. : Vous organisez à la rentrée un nouveau salon biennal intitulé Révélations. En quoi se distingue-t-il du Salon du patrimoine ?
S.N. : Quand on a acheté le Salon du patrimoine on a voulu en même temps faire un salon de dimension internationale dédié à la création. Le Salon Révélations met en avant l’excellence de la création contemporaine ; le critère est la création, nous voulons montrer la force créative de nos ateliers. Organiser ce salon au Grand Palais est un facteur de reconnaissance, de rayonnement, c’est fédérateur pour nos membres. Il y aura bien sûr quelques marques de luxe. L’enjeu de cette première édition c’est la mise en avant de notre force de créateurs. Nous sortons de l’explication pour entrer dans une démonstration magistrale. Il y a également une dimension économique importante, pour les chiffres d’affaires des exposants, notamment. Mais aussi, un tel salon aura des retombées économiques positives sur l’ensemble de notre secteur. Ce salon sera un élément majeur du déploiement de nos métiers d’art dans l’avenir.
J.-C.C. : Votre mandat se termine en septembre, allez-vous vous représenter ?
S.N. : Oui, je suis candidat pour un nouveau mandat de trois ans. De nombreux adhérents me le demandent. Cela n’est pas simple pour moi, car je continue à vivre et travailler dans les Deux-Sèvres. Mais ma mission à Ateliers d’art de France pour la défense de mes collègues et de notre singularité d’artisans d’art est véritablement exaltante.
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L'actualité vue par Serge Nicole, président d’Ateliers d’art de France
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Serge Nicole - © photo B. Boigontier
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : L'actualité vue par Serge Nicole, président d’Ateliers d’art de France