Docteur en médecine et en droit international, Jean-Paul Claverie est depuis sept ans conseiller de Bernard Arnault, président du groupe LVMH/Moët Hennessy. Louis Vuitton, et est particulièrement en charge du mécénat. Il était auparavant conseiller de Jack Lang, ministre de la Culture. Il commente l’actualité.
Que vous inspire le symposium organisé par la National Gallery de Londres sur Van Gogh et consacré en particulier aux Tournesols ?
Ces discussions d’experts sont utiles et font vivre le monde de l’art. Les Japonais se retrouvent désormais face à une œuvre très chèrement payée dont l’attribution n’est plus certaine. J’observe que cette discussion survient à moment où ce pays est très fragilisé par la crise de croissance qu’il traverse. Son assurance, sa position de leader incontesté sont ébranlées. Il pourrait en résulter un sentiment de défiance vis-à-vis du marché de l’art, après l’engouement qu’on a connu pour les grands maîtres de l’art occidental.
La mise en cause de plusieurs Van Gogh ne vous empêche pas, en tout cas, d’être mécène de l’exposition “Millet Van Gogh” que présentera Orsay du 17 septembre au 3 janvier.
Pas du tout. La discussion autour des Tournesols ne que fait renforcer la fascination du grand public pour Van Gogh. Cette exposition vise une autre approche de l’œuvre de l’artiste. Elle veut la faire connaître au travers de l’admiration que Van Gogh portait à Millet, qui a été son grand inspirateur.
À propos de mécénat, Pierre Bergé a renouvelé ses critiques peu amènes à l’égard des musées français, ainsi que sur le manque de considération des collectionneurs privés par les pouvoirs publics.
Nous n’avons pas à nous plaindre de nos relations avec les musées. Il est important de partager des enthousiasmes en commun et que chacun ait sa place. Nous ne nous contentons pas de suivre ce que les musées nous proposent. Nous sommes aussi une force de proposition. L’idée de restaurer les salles d’Afrique du château de Versailles et d’organiser l’exposition des “Tables royales” est venue de LVMH. L’exposition “Picasso et le portrait” organisée à New York n’était pas certaine de venir à Paris. La décision de LVMH a permis sa présentation au Grand Palais. Dans le cadre de ces expositions, nous menons également nos propres initiatives. Nous organisons depuis quatre ans un concours destiné à tous les élèves des écoles d’art en France et dans vingt pays. Pour “Georges de La Tour”, nous avons mis en place pour la première fois des classes pédagogiques. Le jour de fermeture était réservé à des enfants entre six et onze ans qui profitaient de visites adaptées et d’ateliers. Ce sont des initiatives propres au mécène, qui sont totalement acceptées parce qu’elles sont cohérentes avec le projet institutionnel. Nos relations sont donc excellentes. Néanmoins, l’entreprise pourrait avoir une place encore plus affirmée et utile dans le monde culturel. Outre un apport financier, elle pourrait faire davantage profiter les institutions de son métier, de son savoir-faire.
Au sujet des collectionneurs privés, il est vrai que les pouvoirs publics ne s’attaquent pas véritablement aux questions essentielles de savoir comment la France va pouvoir conserver des œuvres majeures, et comment motiver les entreprises à participer à l’enrichissement de notre patrimoine artistique. La discussion est lancée depuis longtemps déjà, mais peu de décisions ont été prises. Favoriser les grandes collections en France, c’est favoriser l’enrichissement du patrimoine national.
Un commentaire sur le Festival de Cannes ?
Je suis très heureux qu’il ait rendu hommage à Claude Berri, à son courage et à son talent de producteur. Je crois que ce talent a généré chez lui celui du collectionneur. On trouve l’émergence des humanistes de notre époque, ces personnages qui nourrissent leur talent à plusieurs sources différentes, qui puisent leurs inspirations, leurs intuitions dans le monde de la création. Ce ne sont pas que des hommes de chiffres.
Quelles expositions recommanderiez-vous ?
Celle consacrée par le Musée Dapper aux chasseurs et guerriers africains, qui est très belle, comme toutes celles qu’organise ce petit musée. Le catalogue est tout à fait remarquable. L’exposition “Lipchitz” au Palais Royal m’est particulièrement chère, car la restauration de ces jardin – qui étaient bien tristes – a été la première action de mécénat menée par LVMH après mon entrée dans le groupe. Il est important de faire vivre la sculpture hors des musées, dans la cité, dans un cadre harmonieux. Lipchitz est encore méconnu du grand public, et c’est une bonne idée d’y avoir disposé des pièces assez monumentales, alors que l’exposition du Centre Pompidou, il y a plus de dix ans, ne présentait que de petits modèles. Autre belle exposition de sculpture, celle consacrée au temps de Philippe le Bel. La scénographie, qui est discrète, est une grande réussite. Elle sublime les œuvres, recrée une atmosphère de recueillement propice à des sculptures religieuses ou officielles. Cette période, qui nous semblait un peu sombre, était en fait celle d’artistes empreints de douceur, de sensualité. J’espère qu’un public nombreux va la découvrir, comme celle de Man Ray qui a l’air de connaître un très grand succès. Elle est remarquable parce qu’elle montre combien Man Ray plaçait véritablement la photographie au rang de création, en considérant qu’elle pouvait être manipulée. On croyait que sa démarche artistique se basait sur peu de choses ; on découvre la profondeur d’un parcours et un très grand professionnalisme.
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L'actualité vue par Jean-Paul Claverie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°62 du 5 juin 1998, avec le titre suivant : L'actualité vue par Jean-Paul Claverie