Les critiques régulières émises à l’encontre de l’Académie de France à Rome forment un genre en soi. Dernière en date, un article du journal Le Monde qui titrait : « À quoi sert la Villa Médicis ? » À mener un travail de réflexion et de diffusion hors des pressions du temps et du marché, répond son directeur Éric de Chassey.
L'œil : La Villa Médicis est-elle refermée sur ses pensionnaires ?
Éric de Chassey : La Villa Médicis n’est pas une enclave française à Rome. Elle ne dépend d’ailleurs pas du ministère des Affaires étrangères, mais du ministère de la Culture, ce qui influe très fortement sur l’esprit du lieu. Pendant longtemps, la Villa a été fermée sur elle-même et sur ses pensionnaires ; et quand elle était ouverte, elle l’était pour la population mondaine de Rome. Cela a changé. La Villa est ouverte à tous. Ce qui ne veut pas dire que l’on y fait venir des masses de visiteurs en les attirant avec des miroirs aux alouettes, mais que nous faisons en sorte que notre programmation exigente trouve un public large, et que cela soit visible de l’extérieur. Je suis résolument pour l’idée d’une culture élitiste pour tous.
Quelle vision les Romains ont-ils de la Villa Médicis ?
Une vision ambivalente : la Villa est à la fois française tout en faisant partie du patrimoine romain. Le fait que l’on ait mis en place des activités pédagogiques est essentiel dans le rapport du lieu à la ville. Une grande partie de notre travail est faite en direction des écoles italiennes. Nous leur proposons différents parcours, sur l’histoire de la Villa et son patrimoine, sur les expos temporaires ou autour d’autres manifestations, comme les festivals de musiques classique et contemporaine que l’on organise ici.
La Villa Médicis est-elle, comme on le pense, un lieu de pouvoir ?
Non, il y a déjà une ambassade à Rome [le Palais Farnèse, ndlr]. Mais la Villa a été un lieu de prestige. Ce qui est certain, c’est qu’elle est un lieu de rayonnement. Objectivement, c’est l’un des plus beaux endroits du monde. Cette beauté est d’autant plus extraordinaire qu’elle n’est pas tape-à-l’œil. Cela impose deux choses : un certain degré d’exigence et que ce lieu rayonne. Et pour moi, le rayonnement passe essentiellement par ce travail qui n’est pas toujours visible, mais qui se fait en lien avec ce qu’il y a de plus vivant dans la création.
Penser que cela vaut la peine de maintenir un endroit pour que des créateurs et des chercheurs viennent travailler à l’étranger, tout en étant ouvert à des gens d’autres pays, sans être une résidence fermée sur elle-même : cela est très spécifique à la France. La Villa Médicis n’est pas là pour diffuser la culture française, mais pour diffuser la conception de la culture française ; cette idée que la culture est vivante mais qu’elle s’ancre dans le passé. Là est également la justification de la présence de l’Académie de France à Rome, qui n’est pas la ville la plus dynamique en matière d’art contemporain, mais qui est celle où la présence de l’histoire est la plus palpable. Je suis persuadé qu’à notre époque où nos yeux sont rivés sur l’actualité, y compris sur l’actualité de la production artistique, avoir un lieu qui permette de prendre du recul est absolument essentiel.
La Villa Médicis ne devrait-elle tout de même pas être à New York ou à Berlin ?
Mais la France y est aussi. Le ministère des Affaires étrangères distribue, par exemple, des bourses pour aller dans ces villes. Ce n’est pas la raison d’être de ce lieu. C’est pour cela que le choix d’accueillir des résidences longues à Rome, pour des artistes confirmés, est important : à quel moment dans une carrière a-t-on besoin de se ressourcer, de sortir de l’agitation permanente du monde ? Par ailleurs, nous avons ouvert dans le cadre de la réforme des résidences à des créateurs qui sont au début de leur carrière, cela pour leur apporter un rapport à l’histoire dans un lieu très chargé. Je ne crois pas aux fantômes, mais la Villa est un lieu habité par les générations d’artistes qui sont venus y travailler.
Ces attaques régulières auront-elles un jour raison de la Villa ?
Elles auraient pu. Mais les réformes que l’on met en place apportent une réponse à ces attaques. L’idée que la Villa serait un endroit dispendieux qui serait juste une sinécure pour des amis du président de la République avec des pensionnaires qui seraient des amis d’amis, si elle était vraie, serait insupportable. Je comprends que recevoir des pensionnaires qui n’ont pas l’obligation de produire pendant leur séjour, ne soit pas dans l’air du temps. Mais le rythme de la création, de la réflexion, est un autre rythme que celui du marché, et un investissement sur le long terme. En revanche, les réformes doivent conduire à ce que le travail se fasse.
À quoi sert la Villa Médicis ?
La Villa doit être un lieu de travail et de réflexion, qu’il s’agisse des pensionnaires ou des visiteurs venus dans le cadre des programmes culturels ou des visites d’expositions. Elle sert à ce que cette réflexion se fasse de manière approfondie dans l’ancrage d’une histoire longue, dans le décentrement de soi et dans la fécondation des différentes disciplines : arts plastiques, musique, spectacle vivant… Je n’aurais pas accepté la direction de cet endroit si je n’avais pas été absolument persuadé de son importance aujourd’hui.
Né en 1965, Éric de Chassey est historien de l’art et commissaire d’expositions, spécialiste de l’art abstrait américain et de Matisse. Il dirige la Villa Médicis depuis septembre 2009
Le budget annuel de la Villa Médicis est de 8,5 millions d’euros.
Il comprend le salaire des 48 employés, les bourses de la quinzaine de résidents, l’entretien du bâtiment et le programme culturel (expositions, festivals, etc.). « La dotation publique est de 5 millions d’euros, le reste vient de nos ressources propres : billetterie, location d’espaces, mécénat… C’est un budget serré, mais nous pourrions être dans une situation plus difficile », reconnaît Chassey.
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La villa médicis diffuse aussi la conception de la culture française
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : La villa médicis diffuse aussi la conception de la culture française