Russie - Ukraine - Histoire

1939-1945

La Russie refuse toujours de restituer les œuvres pillées par les nazis en Ukraine et rendues à l’URSS

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2022 - 839 mots

Les attaques russes contre le patrimoine ukrainien ravivent les souvenirs de pillages de biens culturels au XXe siècle et relancent le débat sur les restitutions.

Albrecht Dürer, Le Christ mort, vers 1505, dessin provenant de la collection de l'ancien musée Lubomirski de Lviv, aujourd'hui conservé au Museum of Art de Cleveland, États-Unis. © The Cleveland Museum of Art
Albrecht Dürer, Le Christ mort, vers 1505, dessin provenant de la collection de l'ancien musée Lubomirski de Lviv, aujourd'hui conservé au Museum of Art de Cleveland, États-Unis.
© The Cleveland Museum of Art

Ukraine. Aux premiers jours de l’offensive russe à la fin février, la ministre ukrainienne adjointe à la Culture, Kateryna Chuyeva, déclarait que « le gouvernement ne peut pas exclure que des collections muséales soient pillées ou exportées en Russie depuis les zones occupées ». D’où la nécessité de mettre ces collections à l’abri. Mais le ministère de la Culture bloque tout déplacement des collections nationales à l’étranger : selon l’historienne de l’art Nadiia Bernard-Kovalchuk, « cette position très ferme inquiète les directeurs de musée, mais elle est compréhensible au regard de ce qui s’est passé pendant la période soviétique ». Car entre les nationalisations des années 1930 et les pillages de la Seconde Guerre mondiale, les collections ukrainiennes ont été décimées, et le sujet reste très sensible.

Évaluer l’ampleur des pillages n’est pas aisé, mais d’après le chercheur ukrainien Serhii Kot (Académie des sciences de l’Ukraine), « 250 000 pièces provenant de 21 musées ukrainiens, et 50 millions de livres et documents » auraient été pillées au cours des années 1940. Pour en retrouver la trace, il faut étudier les archives, quand elles ont survécu et sont accessibles. Pour la Seconde Guerre mondiale, la chercheuse américaine Patricia Grimsted, spécialiste des archives russes et ukrainiennes, explique que les nazis notaient rarement la provenance exacte des pièces qu’ils avaient volées. « Souvent sur les bordereaux des services américains (en 1945) il était juste écrit “Russie”, alors que les objets venaient d’Ukraine ou de Biélorussie », rappelle-t-elle. Le plus souvent, il était impossible de restituer les pièces aux musées ukrainiens.

Quand elles ont eu lieu, les restitutions se sont faites pour la majorité d’entre elles entre 1945 et 1948 et grâce à l’administration américaine, puisque ce sont les États-Unis qui ont centralisé à Berlin et Munich les biens pillés. Les musées de Kiev ont ainsi récupéré 278 caisses de biens culturels en 1946, et 1 127 caisses en 1948 selon la chercheuse. Bien plus nombreuses furent les pièces restituées à Moscou mais d’origine ukrainienne. Enfin les troupes soviétiques ont également pillé les musées allemands en 1945, emportant des pièces déjà volées en Ukraine en 1941. Les modifications de frontières compliquent encore les choses selon Patricia Grimsted, qui souligne « les nombreuses migrations de collections biélorusses et ukrainiennes lors des nationalisations soviétiques post-1917, et lors des changements de frontières pendant la guerre ».

Lviv dépossédée de dessins de Dürer

Parmi les pièces emblématiques restituées, Patricia Grimsted cite les dessins de Dürer de l’ancien musée Lubomirski de Lviv [voir ill.]. Accaparés par l’URSS lors de l’annexion de l’ouest de l’Ukraine en 1939-1940, ces dessins exceptionnels ont été saisis en 1941 par un émissaire de Hitler et envoyés en Allemagne puis en Autriche. Récupérés par les Américains en 1945, ils ont été restitués à un héritier de la famille Lubomirski en Pologne, qui les a ensuite vendus à différents musées. En 1958, la bibliothèque de l’Académie des sciences de Lviv a déposé une demande de restitution d’un dessin exposé aux États-Unis, demande refusée : selon Patricia Grimsted, le département d’État estimait que « restituer les dessins au prince Lubomirski était justifié, et il n’était pas nécessaire de les restituer à l’Ukraine ou à la Pologne ». La restitution s’était faite ici à une personne privée et non à un pays.

Mais Kiev retrouve ses fresques

Autre exemple, celui des fresques de la cathédrale Saint-Michel-au-Dôme-d’Or de Kiev. Datant du XIIe siècle, ces fresques ont été enlevées sur ordre de Staline en 1936, « avant qu’il ne fasse dynamiter l’édifice » dans le cadre d’un plan d’urbanisme, relate Patricia Grimsted. Les années 1930 ont en effet marqué un tournant dans la mainmise de Moscou sur l’Ukraine, avec un processus de russification forcée. Pillées par les nazis en 1941, les fresques ont transité par Varsovie puis par le château de Höchstädt en Allemagne. Elles ont été inventoriées à Munich par les Américains en 1945, et partiellement restituées à l’Ukraine soviétique dans la foulée. Les autres fragments sont restés dans des musées russes, ainsi l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, jusqu’à ce que l’Ukraine indépendante obtienne leur restitution au début des années 2000.

Poutine nationalise en 2000 les biens culturels pillés

Ces deux cas exceptionnels ne doivent pas cacher que, « depuis l’effondrement de l’URSS, le sujet des restitutions a été l’un des plus épineux pour les relations internationales de la Russie », comme le rappelle Patricia Grimsted. Même si 1991 a soulevé « un espoir pour les restitutions » selon la chercheuse, la Russie reste réfractaire à tout inventaire des biens ukrainiens ou biélorusses volés, et refuse d’ouvrir ses archives secrètes. Une loi de 1997, votée contre l’avis de l’ancien président Boris Eltsine, a ainsi été amendée par Poutine en 2000, pour nationaliser de fait les biens culturels pillés pendant la Seconde Guerre mondiale : cette loi viole la plupart des conventions de l’Unesco et des traités bilatéraux. À la même période, l’Ukraine prenait un décret définissant les collections nationales des musées ukrainiens, et depuis cette date elle réclame le retour des biens pillés.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : 1939-1945 : la Russie refuse toujours de restituer les œuvres pillées par les nazis en Ukraine et rendues à l’URSS

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