Annoncé solennellement par le premier ministre Édouard Balladur, le 29 janvier lors de l’inauguration du musée de Grenoble, le projet de loi relatif aux musées est reporté sine die, voire enterré dans sa forme actuelle. Privé de toute incitation fiscale, il a également cristallé l’opposition de fondations et de collectivités locales, sans être véritablement porté par le monde des musées.
PARIS - "Le projet n’est pas abandonné, affirme-t-on dans l’entourage de Jacques Toubon, nous souhaitons convaincre de la nécessité d’un texte qui protège les collections". Néanmoins, on voit mal le texte venir devant le Parlement à la session d’automne, vouée au budget, et occuper une place de choix dans la campagne présidentielle… La loi musées semble se profiler à l’horizon du prochain gouvernement.
Alors qu’il était destiné à l’actuelle session, le projet "relatif aux musées, à l’enrichissement des collections, aux établissements publics territoriaux à vocation culturelle et aux restaurateurs du patrimoine", n’a pas franchi le stade des réunions interministérielles. Il devait combler un vide juridique, les musées – qui se sont largement développés au cours des dernières années – n’étant pas régis par une véritable loi, mais par une ordonnance du 13 juillet 1945.
L’article 3 du projet a mis le feu aux poudres : "L’État, garant du patrimoine de la Nation, fixe par décret la liste des musées dont la collection présente un intérêt national, après consultation du Conseil supérieur des musées. Les personnes morales publiques ou privées, propriétaires des collections de musée reconnues d’intérêt national, ont l’obligation de conserver ces collections, de les inventorier, d’en assurer la sécurité et de permettre leur accès au public". Les représentants de collectivités locales, d’établissements locaux y ont vu un dangereux retour du jacobinisme et un recul sur la décentralisation.
"En confondant collection et musée, la loi risquait d’étendre considérablement le pouvoir de l’administration centrale", commente l’un des opposants. Et cela d’autant plus, à leurs yeux, que l’article 4 affirme : "L’État notifie à la personne morale publique ou privée, propriétaire de la collection du musée, le projet d’inscription sur la liste prévue à l’article 3, et sollicite son avis. (…) À compter du jour où le propriétaire de la collection du musée a connaissance de cette notification, aucune modification ne peut être apportée à la collection, sauf autorisation de l’État".
Jacques Toubon a eu beau démentir toute volonté de nationaliser des collections privées, et affirmer "qu’il n’y a aucun risque de spoliation du collectionneur" (entretien accordé au N°3 du JdA), les Fondations se sont senties menacées. L’Institut de France, qui gère en particulier les musées Condé et Jacquemart André, a bataillé contre le projet. "Pourquoi imposer à un collectionneur privé, à une fondation, cette inscription sur une liste d’intérêt national ? On devrait au contraire leur laisser la liberté de la solliciter, proteste-t-on à l’Institut La Boétie. Il faut un texte qui établisse des relations de confiance entre donateurs, associations et musées."
Attaqué de l’extérieur, le texte n’a pas été soutenu de l’intérieur, les conservateurs se plaignant de n’avoir pas été consultés par le directeur des musées de France, Jacques Sallois. Ils déplorent que, d’entrée de jeu, le projet ait été vidé, sous la pression du ministère du Budget, de toute incitation fiscale devant favoriser l’enrichissement des collections publiques et la préservation du patrimoine français. Deux responsables de grands musées – Françoise Cachin, directeur du Musée d’Orsay et Pierre Rosenberg, conservateur en chef du département des peintures du Louvre – plaident pour de telles incitations dans ce numéro du JdA. "De tous les pays européens, la France est aujourd’hui le seul à ne plus disposer d’une véritable protection de son patrimoine", écrivent-ils dans un Parti pris (lire page 31).
Néanmoins, les conservateurs avaient une bonne raison de se réjouir du texte mort-né. Il devait régler une question, étrangement oubliée dans la loi de 1992 sur la circulation des biens culturels : la sortie temporaire d’œuvres d’art pour les expositions. Cette disposition devrait pouvoir être casée dans un texte douanier, ou portant sur "diverses dispositions d’ordre financier".
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La loi Toubon reportée aux calendes grecques
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : La loi Toubon reportée aux calendes grecques