La seizième édition de The European Fine Art Fair (Tefaf), la plus prestigieuse des foires internationales d’art et d’antiquités, se tiendra du 14 au 23 mars à Maastricht. Plus de deux cents marchands de toutes les spécialités artistiques, issus de treize pays, y sont réunis autour d’un seul mot d’ordre : l’excellence.
S’il existe des choses immuables, que rien ne peut ébranler, alors Maastricht en fait partie. Égale à elle-même depuis seize ans, la foire annuelle d’art et d’antiquités la plus distinguée au monde, Tefaf (The European Fine Art Fair), est toujours très attendue des amateurs de très beaux objets et des plus prestigieuses institutions. La crise financière et politique qui secoue notre planète depuis près de deux ans semble avoir peu d’impact sur cette manifestation culturelle de grande envergure. Interrogés sur le sujet, les organisateurs, qui prévoient, comme pour l’édition précédente, un cortège de 75 000 visiteurs, se disent “rassurés par le très haut niveau qualitatif de la foire”. Toutes les œuvres exposées sont dûment expertisées par les plus grands spécialistes internationaux, apposant ainsi le label “high quality” à l’ensemble de la foire. La défection cette année d’une dizaine de marchands n’est cependant pas sans rapport avec les vicissitudes de la vie économique. Parmi les grands absents de l’édition 2003, on compte Bernard Blondeel, qui a mis fin à son activité d’antiquaire, et la galerie Chevalier qui, après une année économique difficile, a choisi de ne pas être de la partie. Aucun grand représentant dans le domaine des tapisseries anciennes ne sera donc présent à Maastricht. Dans cette spécialité, seules quelques pièces disséminées sur les stands de vendeurs de mobilier classique seront à voir. “Cette vague de départs, c’est une chance pour de jeunes professionnels d’intégrer Maastricht”, positive Nicole de Pazzis-Chevalier. Ils sont treize nouveaux venus en 2003 – soit un peu plus que d’habitude –, dont l’antiquaire parisien Flore de Brantes (lire page 19) et le jeune marchand florentin de vingt-six ans, Fabrizio Moretti. Ce dernier, après avoir aidé son père activement, a ouvert sa propre galerie en 1999. “C’est un grand honneur pour moi d’être admis à Maastricht, la foire la plus importante au monde. Je n’ai pas de peintures qui correspondent au goût particulièrement recherché dans le nord de l’Europe, mais la foire de Maastricht est réputée pour sa qualité absolue dans toutes les spécialités dont la mienne (les primitifs italiens et les maîtres italiens des XVIe et XVIIe siècles).” Même son de cloche chez l’Italien Maurizio Canesso, qui participe à sa première Tefaf. Cet autre spécialiste en peinture ancienne italienne, installé à Paris il y a neuf années après avoir mené une carrière aux États-Unis de 1980 à 1988, puis en Italie jusqu’en 1993, se réjouit de la place libérée : “La demande internationale en tableaux italiens est soutenue, et Maastricht est la terre d’élection du meilleur en tout domaine.” Privilégiant les tableaux à figures, Maurizio Canesso s’est constitué une sélection de toiles à sujets mythologiques et religieux signées Paris Bordone, Tanzio da Varallo, Assereto, Cavarozzi, Piola, Tassi, Mazzolino ou encore Zaganelli. Philippe Carlier, de la galerie Brimo de Laroussilhe, à Paris, habitué de la Biennale des antiquaires, fait aussi partie des nouveaux inscrits. “Ce n’est jamais mauvais d’élargir sa clientèle (composée de beaucoup d’institutions en ce qui nous concerne), d’autant plus que les clients de ces régions de l’Europe sont des amateurs d’art du Moyen Âge et de la Renaissance.” L’antiquaire s’est pourtant abstenu avant ce jour d’apporter sa contribution à la foire. “Je n’ai jamais voulu venir à Maastricht avant, car c’est une foire annuelle, ce qui pose le problème de la nécessité de trouver de la marchandise nouvelle tous les ans. Cette année, nous faisons un bout d’essai, d’ailleurs nous avons demandé un petit stand.” Il y présente un panorama de l’art du Moyen Âge, en particulier des émaux et ivoires gothiques, plus quelques pièces mosanes des XIIe-XIIIe siècles.
La sculpture en vedette
Parmi les tout nouveaux exposants de la Tefaf figurent plusieurs professionnels de l’art moderne et contemporain, dont la présence renforcée depuis quelques années donne une autre tonalité à la foire d’antiquités (lire aussi page 19). Ainsi, la galerie d’art impressionniste et moderne Beck & Eggeling de Düsseldorf, fondée en 1994, a réuni un éventail de grandes signatures avec : La Chaumière sous les arbres, une huile sur toile (47,5 x 46 cm) de Van Gogh datée de 1885, ayant fait partie des collections permanentes du Los Angeles County Museum, proposée à 1,65 million d’euros ; un Panier fleuri (65 x 81 cm) de Manet daté de 1880 pour 2,8 millions d’euros, ou encore un Paysage d’hiver, Kragerø (95,3 x 125,5 cm) réalisé en 1912 par Edvard Munch et dont le prix n’a pas été communiqué.
Si à Maastricht le mot “chef-d’œuvre” est dans toutes les bouches et sur tous les stands, l’exposition des Salander-O’Reilly Galleries de New York fait énormément parler d’elle. Une sculpture baroque de 80,5 cm signée du Bernin (la plus grande terre cuite connue du sculpteur), réalisée vers 1653, et qui n’est autre que le modèle pour sa Fontaine du Maure située sur le côté sud de la Piazza Navona à Rome, en est la vedette. “Ce modèle est une œuvre de génie, précise le marchand. Lorsque le visiteur se déplace autour de la statue, elle ne cesse de se transformer en une nouvelle composition, parfaitement conçue.” Acquise chez Sotheby’s à Londres le 9 juillet 2002 pour 3,2 millions d’euros, elle est offerte pour plus de 10 millions d’euros. Autant dire qu’elle est sans prix. Elle trônera au côté d’un saint Benoît en marbre de 102 cm exécuté par Tino di Camaino vers 1330 pour le monastère bénédictin de la Très-Sainte-Trinité à Naples. Sur le stand de la galerie Luis Elvira (Oropesa del Mar) sont exposées des sculptures médiévales espagnoles dont un Christ en majesté, couronné, en fer martelé (31,5 x 21,5 cm) du premier tiers du XIIIe siècle, qui faisait partie d’un calvaire pyrénéen catalan. Il a les caractéristiques types de la statuaire romane espagnole (cheveux longs, coiffés en deux nattes) et les modes de représentation caractéristiques du début de la période gothique dans la péninsule Ibérique, comme en témoignent les pieds, placés l’un sur l’autre, ainsi que la tunique descendant jusqu’aux genoux.
À Maastricht, les objets remarquables succèdent tous azimuts aux pièces d’exception, à l’exemple d’un Portrait de Denis Diderot, une huile sur toile ovale par Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), exposée par la galerie londonienne Hall & Knight, qui précise : “Les portraits de Diderot sont rares, si l’on excepte un dessin de Greuze et le fameux portrait de Van Loo conservé au Louvre.” À noter à la galerie Wolseley Fine Arts, de Londres, un touchant Torse de femme, une huile et peinture à l’essence (64 x 34,8 cm) signée Vuillard (1868-1940) vers 1910, chez le Londonien Dickinson, un grand tableau de Bonnard daté de 1908 et intitulé Les Demoiselles au bord de l’eau (108 x 124 cm), ou encore sur le stand de la galerie Thomas, de Munich, un Portrait d’un ancêtre, un bronze de 40 cm à patine verte de Max Ernst (1891-1976), tiré en 1975 d’après une pièce de 1974 et numéroté VII/VII. Robert Bowman, également sis à Londres, rend hommage au génie de Rodin (1840-1917) en présentant L’Éternel Printemps, un bronze à patine brune profonde, fondu par Barbedienne vers 1900.
Les arts premiers ont également leur place à Maastricht et, pour l’Océanie, le Parisien Anthony Meyer et son homonyme l’Américain Anthony Meier, de San Francisco, en sont les meilleurs représentants. Le premier propose notamment une arme de combat d’une extrême rareté appelée patu, datant du XVIe-XVIIIe siècle et provenant de la communauté archaïque des îles Chatham, au large de la côte sud néo-zélandaise. Elle a la forme d’une créature stylisée, probablement mythologique. Le second offre un exceptionnel masque rituel vanuatu en bois dur de Mélanésie, du XVIIIe-XIXe siècle, unique par sa forme enveloppante.
L’Europe du Nord ayant abrité d’importants centres de production de céramique, il est habituel de voir à Maastricht une sélection de pièces de faïence de premier choix, tel un exceptionnel service à dessert en Meissen, d’après un modèle chinois, à voir chez Angela Gräfin von Wallwitz-Kunsthandel, de Munich. Fabriqué pour une famille de la noblesse bavaroise entre 1767 et 1769 et resté dans la même famille depuis, il comporte cinquante assiettes, une jatte, trente couteaux, trente fourchettes, trente cuillères et deux plats chinois. Le Hollandais Aronson livre quant à lui un très rare bassin en faïence de Delft noire (la couleur la plus difficile à produire), à décor oriental de laque, vers 1770, et portant la marque “LVE” pour Lambertus van Eenhoorn, propriétaire de la manufacture De Metalen Pot entre 1671 et 1724. Peu d’exemplaires de faïence de Delft noire sont connus. La plupart font d’ailleurs partie de collections muséales bruxelloises et amstellodamoises.
Les maîtres flamands et hollandais
La traditionnelle section des peintures flamandes et hollandes, autour de laquelle la Tefaf a établi sa réputation, nous apporte chaque année des motifs de réjouissance avec son lot de découvertes. À la galerie parisienne Haboldt & Co, une Vue de Vianen avec un troupeau et un bouvier près d’un fleuve, vers 1643-1644, huile sur panneau (37 x 52 cm) signée Aelbert Cuyp (1620-1691), illustre bien le talent du peintre, l’un des plus importants paysagistes du XVIIe siècle, particulièrement apprécié pour la fidélité de ses descriptions de villes hollandaises et sa manière novatrice de représenter les bovins comme de véritables personnages. La galerie Kunsthandel P. Boere d’Amsterdam montre un intéressant Paysage avec des bâtiments de ferme en feu, peint par Abraham Bloemaert (1566-1651), vers 1620, qui est non seulement le seul sujet du genre réalisé par l’artiste mais aussi l’unique paysage connu qu’il ait jamais représenté hors toute référence biblique ou historique. Chez Richard Green de Londres, l’on pourra admirer un petit Paysage avec un aveugle en guidant un autre, peint sur un panneau circulaire de 25,2 cm de diamètre par Lucas van Valckenborch. Ce tableau date probablement des années 1570, période durant laquelle l’artiste réalisa plusieurs paysages d’une grande précision, de forme circulaire. Le thème de l’œuvre, très fréquent dans la peinture hollandaise de l’époque, est tiré de l’Évangile selon saint Matthieu. Nul doute que le Portait de la famille Twent dans un intérieur, une peinture sur panneau (48,5 x 76 cm) par Pieter Codde (1599-1678), datée de 1633 et présentée par la galerie Johnny van Haeften de Londres, séduira l’amateur éclairé au regard des subtilités narratives que l’artiste a glissé dans la scène.
Ce procédé fameux, introduit par Rembrandt dès 1630, fut très vite utilisé par Frans Hals, auquel Codde est souvent comparé. Le marchand anglais expose en outre plusieurs toiles très attrayantes et de belle facture tels Personnages dans un intérieur raffiné, une composition de 85,5 x 70,1 cm, signée Eglon Hendrik van der Neer, datée de 1678, ou encore L’Intérieur d’une galerie de peintures (54,2 x 75,5 cm), coexécuté par Frans Francken le Jeune (1581-1642) et Hendrick van Steenwyck le Jeune (1560-1649). Le Concert d’un jeune homme jouant du luth et chantant avec deux compagnons, une belle huile sur toile de 106,2 x 101,2 cm de Jan Hermansz van Bijlert (1597-1671), sera l’une des attractions du Milanais Rob Smeets. Le Français Jean-François Heim a rassemblé des tableaux d’artistes du XIXe siècle des différentes écoles française, italienne, hollandaise et nordique, autour d’une exposition thématique intitulée “Les peintres sous le soleil d’Italie de 1800 à 1850”, dévoilant ainsi l’arc-en-ciel des sensibilités artistiques européennes qui ont illustré le paysage italien.
The European Fine Art Fair (Tefaf) MAASTRICHT 2003, du 14 au 23 mars, MECC (Centre des congrès et expositions) Maastricht, Pays-Bas, tél. 31 411 64 50 90, tlj 11h-19h (sauf dimanche 23 mars, 11h-18h), www.tefaf.com, entrée (catalogue inclus) : 30 euros, catalogue : 17,50 euros.
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La foire de Maastricht ou le paradis des collectionneurs
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°166 du 7 mars 2003, avec le titre suivant : La foire de Maastricht ou le paradis des collectionneurs