La protection du patrimoine chinois est aujourd’hui au centre des préoccupations des archéologues du monde entier. Deux nouvelles menaces ont fait leur apparition : les destructions occasionnées par la construction d’équipements et le pillage généralisé des richesses artistiques. Bien que les cas les plus graves de vol ou de pillage soient passibles de peine de mort, beaucoup estiment que les bénéfices à tirer d’un trafic en pleine expansion compensent largement les risques encourus. Les délais toujours plus courts impartis à l’exploration archéologique par les entrepreneurs font naître de grandes inquiétudes, tout comme la construction du barrage Shanxiabada sur le Yang-tsê kiang – après celui de Gezhouba élevé dans les années soixante-dix –, qui met en péril le grandiose paysage des Trois-Gorges, ainsi que des centaines de sites historiques.
PÉKIN - Après une prise de conscience tardive, la protection des sites menacés par le gigantesque projet de construction du barrage des Trois-Gorges sur le Yang-tsê kiang est à l’ordre du jour. Fait rarissime, ce projet n’avait pas été approuvé à l’unanimité par le Parlement du peuple chinois, en 1992. Les travaux, commencés en 1993, dureront dix-huit ans. À la fin de la première tranche, en 2005, le niveau du fleuve montera de 21 m, et à l’achèvement du barrage, en 2011, de 40 m. Sa construction défigurera complètement les abords du fleuve de Chongqing à Yichang (648 km), à l’emplacement de l’immense lac-réservoir.
L’eau inondera une superficie d’au moins 632 km2 et engloutira 7 petites villes, 140 bourgs, 4 500 villages et 800 sites historiques, culturels et archéologiques. Parmi ceux-là, Fuling (où se trouve la fameuse Poutre Baihe, cet immense rocher de 1 600 m de long sur 15 m de large), Fengdu (dont les alentours recèleraient de très nombreux tombeaux de la dynastie des Han et des Liuchao), Zhongxian, Waxian, Yunyang, Baidicheng, Xiangxi, Xingshan… De plus, le site des fameuses Trois-Gorges – la "grandiose" Qutang, la "belle" Wuxia et la "périlleuse" Xiling – pourrait être condamné par la construction du barrage. S’étendant sur 200 km, elles offrent un paysage extraordinaire qui est l’une des plus grandes attractions touristiques de la Chine. Face à ces dangers, les musées et les instituts de recherche historique chinois espèrent mettre en œuvre, dès le mois de mars, une stratégie globale pour le sauvetage des secteur menacés.
Découverte de 384 tombes des Qin
Par ailleurs, les fouilles des 384 tombes datant de la dynastie Qin (221-206 av. J.-C.) continuent à Xianyang, dans la province du Shaanxi. C’est le plus grand ensemble funéraire de cette période jamais découvert, mis au jour à l’occasion d’une fouille de sauvetage sur un terrain destiné à la construction d’une usine. Un autre groupe important de sépultures, datant de la dynastie des Han de l’Ouest (206 av. J.-C.-24 de notre ère) a été découvert au mois de juillet 1995, lors d’une prospection effectuée pour la réalisation de la ligne ferroviaire Pékin-Zhengzhou, dans le comté de Wangdu (province du Hebei).
Des expositions pour des donations
Même des régions déjà très développées, comme la province du Guangdong et les environs de Canton, continuent d’apporter leurs lots de surprises, ajoutant à la tâche déjà insurmontable de préservation d’un patrimoine richissime. En sondant le site d’un futur bâtiment de vingt-cinq étages destiné aux télécommunications, en plein centre de Canton, les archéologues ont exhumé les vestiges de palais impériaux remontant au royaume de Nanyue (203-111 av. J.-C.), fondé par Zhao Tuo au début de la dynastie des Han de l’Ouest. Ces vestiges ont livré de grandes quantités de matériel épigraphique, des monnaies et un bassin à motifs de pierre semblable à certains éléments d’architecture grecque antique, inhabituels en Chine.
Si le trafic d’antiquités est désormais dénoncé et pourchassé, les musées et les collectionneurs chinois ont eu, jusque-là, trop peu d’argent ou de volonté pour tenter de racheter le patrimoine national. Jusqu’à l’année dernière au moins, plusieurs collectionneurs de l’étranger n’ont pas hésité à présenter leurs pièces chinoises sur le continent, sans crainte de se les voir confisquer. Bob Ellsworth, collectionneur à New York, a mis aux enchères, à Pékin, des éventails, des calligraphies et autres antiquités ; Charles Godfrey et Charlotte Horstmann, marchands à Hong Kong, ont exposé des jades de la collection Godfrey à Pékin, avant de les disperser aux enchères à Hong Kong. La législation encadrant ce type d’opérations reste à préciser officiellement, mais il semblerait que les autorités chinoises les encouragent, dans l’espoir que certaines de ces antiquités soient généreusement "données" à la nation.
Un appel à la télévision
L’illustration la plus alarmante de l’absence de protection du patrimoine a été fournie par une exposition d’armes anciennes de la collection du jeune Taiwanais C. C. Wang, au Palace Museum de Pékin. Ces superbes armes des dynasties Zhou et Han sont supérieures en qualité à tout ce que l’on peut voir dans les collections publiques chinoises, mais malheureusement leur provenance est incertaine. Certains archéologues chinois sont convaincus que ces pièces ont été pillées lors de fouilles clandestines, puis vendues à l’étranger. Plusieurs d’entre elles, comme l’épée du roi Gou Jian, de l’ancien royaume méridional de Yue, ont presque valeur de légende.
En septembre 1995, le directeur du Musée de Shanghai, Ma Chengyuan, a découvert qu’une précieuse épée, vieille de 2 400 ans, ayant appartenu au fils du roi Gou Jian, Zhec-zhi Yuci, était en possession d’un marchand d’antiquités de Hong Kong. Comme celle-ci avait été mise au jour lors de fouilles effectuées quatre mois auparavant dans la province du Hubei, Ma alerta immédiatement le directeur-adjoint du musée provincial de Zhejiang, Cao Jinyan. Puis, au mois d’octobre, il se rendit à Hong Kong afin de persuader le marchand de revendre la pièce au musée chinois. Malgré plusieurs offres alléchantes émanant de collectionneurs taiwanais et japonais, celui-ci accepta de la garder jusqu’au 31 octobre, le temps de réunir la somme demandée, à savoir un million de dollars Hong Kong (650 000 francs), soit un prix nettement inférieur à sa valeur marchande.
Les quotidiens locaux eurent beau rapporter de touchantes histoires sur des vieillards malades donnant leurs derniers sous pour la bonne cause, le musée ne disposait pas de la somme requise à la veille de l’échéance. Le soir du 30 octobre, la télévision de Zhejiang lançait un appel désespéré. Le Musée de Shanghai offrait alors de prêter les fonds nécessaires, mais ce sont finalement les aciéries de Hangzhou, puissant conglomérat du secteur public, qui ont fourni la somme complémentaire. Après une fausse alerte sur l’authenticité de la pièce, l’épée est aujourd’hui de retour dans sa province natale.
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La Chine prise à la gorge
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°22 du 1 février 1996, avec le titre suivant : La Chine prise à la gorge