Si la question de la reconstruction a pu être évoquée en Europe et aux États-Unis, sur place le WMF pare au plus pressé avec des projets limités à la sécurisation des bâtiments publics.
Kateryna Goncharova est la représentante de l’ONG World Monuments Fund (WMF) en Ukraine depuis 2022. Elle est spécialiste des questions de protection du patrimoine.
Il y avait déjà des projets en Ukraine, car huit sites étaient inscrits sur la liste « World Monuments Watch », parmi lesquels la synagogue d’Odessa, qui fait partie du programme de protection du patrimoine juif. Le WMF avait aussi financé la réhabilitation d’une synagogue à Lviv, mais ces projets ne faisaient pas partie d’une vision globale de réhabilitation du patrimoine. Dès le début de l’invasion russe, le WMF a lancé un appel à candidature pour diriger le bureau de Kiev car 500 000 dollars avaient été collectés pour des actions en Ukraine grâce à la Helen Frankenthaler Foundation [établie à New York]. J’ai postulé et j’ai été choisie pour ce poste où je peux continuer mon action au service du patrimoine. Et cette fondation vient de s’engager pour 1 million de dollars supplémentaire sur deux ans.
Nos partenaires sont le plus souvent des organisations internationales et des ONG, ou des fondations américaines, mais nous travaillons aussi avec le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas par l’intermédiaire d’une autre ONG. Et nous travaillons surtout avec l’Ambassadors Fund for Cultural Preservation, un opérateur public américain, sur trois projets : la Maison noire de Lviv dans le cœur historique de la ville ; la Maison des enseignants à Kiev qui était le siège du Parlement ukrainien au début du XXe siècle ; et une mission d’évaluation des dégâts. Cette mission est fondamentale car, jusqu’à présent, les institutions évaluaient les destructions à distance, à partir d’images satellites. Désormais nous finançons des évaluations sur le terrain par nos partenaires ukrainiens, avec des experts de plusieurs disciplines. Cette mission concerne cinq régions (Odessa, Mykolaïv, Kherson, Zaporijia, Dnipro). Nous étions déjà intervenus dans les régions de Sumy, Kiev, Tchernihiv et aussi Kharkiv avec la Smithsonian Institution. Cette mission permettra de créer une base de données sur les destructions du patrimoine, et de rédiger un manuel avec des recommandations pour évaluer les dégâts pendant un conflit et non après, ce qui est inédit. Enfin, cette mission permettra de fixer des priorités pour réhabiliter certains sites. C’est ce type d’évaluation qui nous a permis de sécuriser la bibliothèque pour la jeunesse à Tchernihiv après des bombardements, en réduisant les coûts de 20 %. À ce jour, le montant total des fonds collectés pour l’Ukraine par le WMF est de 2,5 millions de dollars en deux ans, dont une partie a déjà été dépensée.
Le principal critère est que le site doit être affecté par une action militaire, donc les sites dans l’ouest de l’Ukraine sont moins nombreux. Cependant il y a eu au moins deux sites touchés par des missiles près de Lviv, et nous sommes en discussion avec des partenaires locaux. Nous regardons de près des sites dans la région de Jitomir, et d’une manière générale, tant que les missiles tombent, nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur des sites près du front. Même dans les zones dites « libérées » du centre du pays, il est difficile de prévoir des projets à long terme car il y a des risques permanents. À Sumy nous intervenons dans un musée régional qui doit être stabilisé, mais vu la situation nous devons non seulement protéger le musée mais aussi les personnes qui y travaillent. Ce n’est donc pas tout à fait « décréter des priorités » mais évaluer les dégâts au cas par cas dans un pays où l’ensemble du territoire est en danger.
Les gouvernements et les institutions culturelles sont habitués à intervenir en temps de paix, donc pour l’instant le WMF reste très prudent sur ce sujet. Dans les premiers mois de la guerre, nous nous sommes demandé s’il fallait commencer à travailler sur des projets architecturaux, des projets à moyen et long terme, d’une durée de six mois au moins. Après des discussions avec des experts ukrainiens, nous avons conclu que, vu l’ampleur des atteintes au patrimoine, il fallait commencer à intervenir sans attendre la fin du conflit. C’est ce que nous avons fait à Tchernihiv, à la bibliothèque pour la jeunesse qui devait être sécurisée en vue de la période hivernale, notamment le toit et une partie des murs. Nous avons consulté des experts et les autorités locales pour préserver le style néogothique du bâtiment tout en renforçant sa structure. C’était le premier projet de cette envergure en Ukraine, et il a même été cité en exemple au Parlement ukrainien ! Nous sommes intervenus ensuite dans des bibliothèques historiques de Kharkiv et de Kiev dont le toit avait été touché par le souffle d’une explosion. Mais concernant des projets de reconstruction complète sur des sites culturels, je pense que c’est encore trop tôt pour en parler : il nous faut une vision à long terme, sur deux ans au moins, de la situation en Ukraine et à l’international. Au début de l’invasion, nous pouvions prévoir des projets sur une ou deux semaines seulement, en raison de l’intensité des combats. Puis nous sommes passés à un mois, voire deux, et les projets se sont multipliés : aujourd’hui nous prévoyons à six mois environ. Pour des restaurations de grande ampleur, par exemple remplacer à neuf toutes les huisseries en bois d’un musée, il faudra attendre la fin de la guerre.
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Kateryna Goncharova : « Il est trop tôt pour parler de reconstruction de l’Ukraine »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : Kateryna Goncharova, représentante du World Monuments Fund (WMF) en Ukraine : « Il est trop tôt pour parler de reconstruction de l’Ukraine »