Jean-Marc Ayrault : « Nantes ne se contente pas de coups culturels »

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 24 août 2010 - 1978 mots

Les Folles Journées, Estuaire, Les Allumées… le député-maire de Nantes sait compter sur un programme culturel ambitieux, soutenu par des institutions de qualité.

Nantes est aujourd’hui l’une des villes les plus dynamiques sur le plan culturel. Comment en est-elle arrivée là ?
Jean-Marc Ayrault : La culture est un choix majeur que j’ai effectué dès 1989 à mon arrivée à la mairie. Nantes était alors une ville à l’image terne, frappée par la fermeture de ses chantiers navals, où il ne se passait pas grand-chose sur le plan culturel. La ville s’était renfermée sur elle-même. De ce fait, elle ne faisait guère parler d’elle. Aujourd’hui, Nantes est devenue la sixième ville de France et elle a changé, car elle dispose d’un potentiel énorme que la culture a réveillé. 

Comment percevez-vous l’impact de la culture sur la ville ?
La culture libère une collectivité comme elle libère un individu. Elle est une opportunité, un dépassement de soi, de ses inquiétudes, de ses a priori. Une ville véhicule un imaginaire collectif. Je me suis interrogé : à Nantes, quel était l’imaginaire collectif ? Il est nécessaire que les habitants aient un récit commun. À chaque étape de son histoire, une nation, une collectivité s’interroge sur son évolution. La France, qui se sent universelle, éprouve ainsi des difficultés à se retrouver aujourd’hui, car son influence n’est plus la même qu’autrefois. L’individu a besoin d’un imaginaire et d’un horizon national, mais aussi d’un imaginaire propre à son territoire.
Nantes n’est ni Rennes ni Angers. C’était une cité portuaire. Elle le reste. On le voit dans son architecture, dans sa cuisine marquée par les produits de la mer, par son patrimoine végétal et les collections botaniques des jardins de la ville… Sa devise est d’ailleurs : « Favet Neptunus Eunti » (Neptune favorise ceux qui partent, ceux qui osent). C’est-à-dire les marins, les amoureux du monde.

Quel a été le premier geste culturel fort de la commune ?
Le premier événement qui a eu un impact profond sur Nantes et les Nantais a été « Les Allumées », précurseur des Nuits blanches à Paris dont Jean Blaise a d’ailleurs conçu la première édition. Le principe consistait à inviter à Nantes une ville avec ses artistes. Barcelone a ainsi investi nos friches industrielles, ou nos lieux institutionnels en les métamorphosant. On déambulait dans la ville transformée en livre ouvert. C’était révolutionnaire en 1990. Nous avons également reçu, entre autres, Buenos Aires, Leningrad avant qu’elle ne redevienne Saint-Pétersbourg. En revanche, nous avons annulé la visite de La Havane. À chaque édition, nous organisions des débats sur l’urbanisme, la société… Les Cubains ont refusé de se prêter au jeu. Nous n’avons pas cédé. Cela nous a coûté de l’argent, mais nous avons assumé ce choix politique.
Avec les Allumées, nous avons alors vu que les Nantais de tous les milieux allaient à la rencontre des artistes, dans des endroits improbables, les chantiers navals désaffectés… La curiosité était aiguisée et la ville éveillée.

Pour revenir à l’imaginaire de la ville, Cargo 92 a dû être, à cet égard, une opération exemplaire ?
C’est en effet un bon exemple d’opération culturelle en phase avec l’identité de la ville. Je vous l’ai dit, la devise de la ville est : « Neptune favorise ceux qui partent, ceux qui osent ». Eh bien, nous l’avons prise au mot. Pour célébrer le 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, nous avons décidé de faire partir de Nantes un bateau emmenant à son bord, outre-Atlantique, des artistes.
À la mairie, ce choix a déclenché le scepticisme ou la perplexité, car il fallait que la municipalité achète un cargo et que l’on transforme sa cale en une rue nantaise !… Nous avions toute l’administration centrale contre nous. On disait alors que c’était « la danseuse du maire ». Ce sont les ateliers municipaux qui, avec leur savoir-faire, ont opéré cette transformation et en ont tiré, à juste titre, une grande fierté.
Au final, cela a été une réussite et nous sommes même parvenus à revendre ce bateau, qui de nouveau a navigué en tant que cargo ! À bord, il y avait la compagnie Royal de Luxe, Mano Negra, Decouflé, Philippe Genty qui ont ainsi fait une tournée gigantesque en Amérique du Sud. 

Comment la compagnie Royal de Luxe a-t-elle atterri à Nantes ?
Cette troupe d’artistes de rue cherchait un port d’attache, nous l’avons accueillie avec enthousiasme. Elle a tout de suite trouvé son public et les spectacles de Royal de Luxe à Nantes sont d’immenses moments de convivialité et de fête populaire. Nantes est devenue la ville des géants qui font désormais le tour du monde.
Cette année, nous fêtons les vingt ans de la mort de Jacques Demy, dont le film Lola est en totale relation avec l’imaginaire nantais. Agnès Varda, sa femme, est aussi très attachée à Nantes et nous allons travailler ensemble pour commémorer, cette année, l’œuvre de Jacques Demy.

Il y a un autre créateur majeur nantais, René Martin. Vous êtes bien entouré à Nantes…
Ce n’est pas par hasard si les artistes apprécient Nantes, ils savent que nous le leur rendons bien. René Martin avait créé le festival de La Roque d’Anthéron. Un jour, nous étions ensemble dans le TGV entre Nantes et Paris, je lui ai demandé de réfléchir à un événement pour l’inauguration de l’auditorium du palais des congrès. Il a proposé de programmer, le temps d’un week-end, l’intégrale des symphonies de Beethoven. J’ai accepté. Ainsi est née, en 1995, la Folle Journée. Aujourd’hui, ce modèle – la marque est la copropriété de la ville et de René Martin – et le savoir-faire de René Martin s’exportent.
Mais je tiens à souligner que Nantes ne se contente pas de « coups » culturels. Si Nantes est une capitale culturelle, c’est parce qu’elle jouit d’un véritable vivier. Nous menons un travail de fond, avec les associations, les collectifs, les groupes. Je peux vous citer le dynamisme de l’Olympic qui a lancé le festival Scopitone ou le rôle que tient Trempolino dans le parcours artistique des nouveaux talents. Il y a une réelle immersion des créateurs au sein de la ville.
Aujourd’hui, nous allons plus loin avec le projet d’une énorme scène, d’une friche et d’un laboratoire artistique dédiés aux musiques actuelles sur l’Île de Nantes : la Fabrique ouvrira ses portes en 2011. Elle travaillera en réseau avec les fabriques de quartier.

En quoi consiste le quartier de la création, votre projet phare ?
Ce nouveau quartier est le fruit de la transformation de l’ancien site industriel Alstom. Il fera voisiner les sciences et les techniques en accueillant l’université, des grandes écoles, l’École supérieure des beaux-arts, l’École nationale d’architecture, des écoles de formation, le pôle des arts graphiques, des lieux de création, la Fabrique, des laboratoires de recherche, des industries créatives dans les domaines de la communication, du design, des arts de la scène, de l’architecture, des arts visuels…
Dans ce quartier, mêlant constructions neuves et réhabilitations d’anciennes halles industrielles, seront réunis une grande diversité d’entrepreneurs de la culture, des arts et des médias, mais aussi des acteurs de l’enseignement, de la recherche, dans un principe proche de celui des pôles de compétitivité. 

Vous échangez aussi beaucoup avec votre voisine Saint-Nazaire…
Oui, c’est une ville qui a le même imaginaire que nous et notre destin est lié depuis longtemps. Depuis vingt ans nous n’avons cessé de renforcer notre coopération et nous travaillons aujourd’hui à l’échelle de la métropole Nantes-Saint-Nazaire. Symbole fort de cette coopération dont tous les habitants doivent se sentir partie prenante, la biennale Estuaire, lancée en 2007, est un parcours artistique le long de la Loire qui relie les deux villes et qui, à travers des œuvres pérennes ou provisoires commandées à de grands artistes internationaux et nationaux, a mis en relation l’art et le paysage.
Cela touche les gens, car il s’agit de leur patrimoine commun. Ils redécouvrent ainsi des lieux, notamment industriels, prennent conscience des liens qui les unissent. Cela conduit à une certaine fierté partagée. La Loire, c’est notre trait commun. Pourtant, cette biennale est aussi critiquée, surtout son coût en cette période de crise. Mais je considère que justement, parce qu’il y a la crise, il ne faut pas solder la culture dont le rôle social et économique est incontournable.     

Comment est-ce financé ?
Par toutes les collectivités territoriales à hauteur de 75 %, le reste par des partenaires privés. Après une seconde édition en 2009, l’épilogue de la biennale est prévu en 2011 [la troisième édition d’Estuaire est finalement reportée en 2012, NDLR]. Nous aurons alors vingt-deux œuvres pérennes.
Ensuite, nous allons faire vivre ce parcours culturel et touristique. C’est, entre autres, le rôle de la société d’économie mixte Nantes Culture et Patrimoine que dirige désormais Jean Blaise, qui est également en charge de l’office de tourisme de Nantes Métropole. Nous allons, en quelque sorte, valoriser notre estuaire à la manière de ce qu’a fait la Ruhr, autre grand espace industriel en mutation, en tant que capitale européenne de la culture. 

Jean Blaise devient donc le grand manitou de la culture et du tourisme, quel est l’objectif ?
Non. Il ne se substitue pas aux collectivités et ne décide pas des politiques publiques que nous menons ! À la tête de cette nouvelle structure, qui est un très bel outil, il a la charge de donner plus de visibilité à la destination nantaise, de faire de sa richesse culturelle un produit touristique attractif, en mettant en synergie les machines de l’île, le grand musée d’art rénové et agrandi, le château des ducs de Bretagne, Estuaire…, bref en fédérant tous ces atouts. C’est un nouveau défi à relever pour lui.

Quelle est la vocation du musée des Beaux-Arts de Nantes et comment allez-vous financer les travaux ?
C’est un musée d’histoire de l’art, donc consacré à toutes les époques, et qui poursuit sa politique d’acquisition d’œuvres pour enrichir ses collections contemporaines déjà exceptionnelles. Pour le financement du chantier, la seule inconnue est le soutien ou non de l’État dont le désengagement financier se constate chaque jour un peu plus. En ce qui nous concerne, nous avons programmé ce grand investissement dans notre budget pluriannuel.
Nous avons fait des choix pour cela : nous avons refusé l’Euro 2016. Le monde du sport nantais l’a parfaitement compris. On nous réclamait 100 millions d’euros pour créer des espaces VIP. Nous, nous privilégions les équipements dans tous les quartiers de Nantes afin de favoriser l’accès au sport de tous les Nantais.
Nous travaillons déjà sur ce que pourrait être Nantes à l’horizon 2030. Je ne serai plus alors maire, mais il est important de se demander ce que nous souhaitons pour la métropole nantaise et ses 150 000 habitants supplémentaires d’ici vingt ans. Un maire doit traiter l’urgence, le quotidien, mais aussi satisfaire le besoin de projection dans l’avenir et la part de rêve de ses administrés. 

Êtes-vous partisan de la gratuité des musées ?
Ce n’est pas une solution. Je ne suis pas certain que la gratuité des musées attire véritablement de nouveaux publics. Les enquêtes montrent que, nationalement, 23 % des Français ont des pratiques culturelles qui ne croisent jamais les offres proposées et 29 % n’ont qu’une fréquentation exceptionnelle des salles de spectacles, des musées et des expositions. Pour démystifier l’art et les musées, il faut travailler sur la médiation et les nouveaux outils qui l’accompagnent. Il faut une autre approche du musée qui doit être un lieu de conservation, mais aussi de découverte, de partage et de vie.

Biographie

1950 Naissance à Maulévrier (Maine-et-Loire).
1973 Professeur d’allemand à Rezé puis à Saint-Herblain.
1977 Maire de Saint-Herblain, il devient le plus jeune maire d’une commune de plus de 30 000 habitants.
1986 Elu député de la Loire-Atlantique.
1989 Maire de Nantes.
1997 Devient le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.
2008 Réélu maire de Nantes.

Un Lieu unique pour des expressions multiples
Depuis le 1er janvier 2000, les anciens locaux de la biscuiterie LU sont occupés par le Lieu unique, un centre d’arts labellisé scène nationale et dédié à la diffusion de la création contemporaine sous toutes ses formes. Révélatrice de la politique de Nantes en faveur du spectacle vivant, la programmation n’oublie aucun domaine artistique : le cirque, la musique, la danse et les arts gustatifs, qui sont à l’honneur les 4 et 5 septembre 2010.


Le château rénové des Ducs de Bretagne
Premier grand chantier de Jean-Marc Ayrault en faveur du patrimoine nantais, la restauration du château des Ducs de Bretagne s’est achevée en 2007, après plus de quinze ans de travaux. L’édifice accueille un musée de l’histoire de Nantes qui, par une scénographie moderne et des dispositifs multimédias, dresse le portrait de la ville et souligne l’importance de son passé ainsi que la richesse de son patrimoine industriel et naturel.


Edgar Maxence, un peintre nantais au musée des Beaux-Arts
Fleuron de la politique culturelle de la ville de Nantes pour les arts visuels, le musée des Beaux-Arts accueille jusqu’au 19 septembre une exposition consacrée au peintre symboliste nantais Edgar Maxence (1871-1954). Présentée gratuitement à la Chapelle de l’Oratoire, cette exposition a pour but de mettre en valeur les œuvres d’un artiste nantais. Elle s’inscrit dans la continuité de l’action du musée en direction des publics qui ne bénéficient pas d’un accès privilégié à la culture.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°627 du 1 septembre 2010, avec le titre suivant : Jean-Marc Ayrault « Nantes ne se contente pas de <i>coups</i> culturels »

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