François Pinault a finalement renoncé à installer sa fondation sur l’île Seguin. Son ancien conseiller culturel, Jean-Jacques Aillagon, revient sur le choix du milliardaire et sur les coulisses de l’acquisition du Palazzo Grassi, à Venise. L’ancien ministre de la Culture, qui est conseiller régional de Lorraine et membre du Conseil économique et social, est aussi P.-D. G. de TV5 Monde. Il nous détaille ses axes de réflexion pour la chaîne de télévision francophone internationale.
Quel a été votre rôle dans l’acquisition par François Pinault du Palazzo Grassi à Venise ?
C’est l’an passé, au mois de juin, que la Ville de Venise, qui réfléchissait aux conditions du rachat à Fiat du Palazzo Grassi, m’a proposé d’en assurer la direction. Après y avoir réfléchi avec Giandomenico Romanelli, directeur des musées de la ville, j’ai accepté, en indiquant toutefois que ma décision prendrait effet seulement lorsque la nouvelle propriété de Grassi serait stabilisée. Au cours de l’automne puis de l’hiver, plusieurs solutions se sont présentées. La dernière impliquait une immobilisation du piano nobile du palais pour la présentation permanente de la collection du possible acheteur. J’ai alors indiqué au maire de l’époque, Paolo Costa, que cette solution compromettait la vocation du palais comme lieu consacré à des expositions temporaires. Il en est convenu.
Au même moment, je mesurais le découragement qu’inspirait à François Pinault, pour qui je travaillais, le piétinement du dossier d’urbanisation des terrains Renault de Boulogne-Billancourt où il avait le projet de réaliser son musée conçu par Tadao Ando. Mandaté par mes amis vénitiens, je lui ai parlé de Grassi, tout en étant conscient qu’il ne s’agissait pas de substituer Grassi à l’île Seguin, mais, éventuellement, de permettre à François Pinault de trouver rapidement, avec une institution qui avait déjà fait ses preuves, dans une ville qui est l’un des points de rencontre du monde de l’art, l’instrument dont il avait besoin pour faire partager sa passion pour l’art, pour donner à voir également des éléments de cette collection qu’il a constituée avec conviction et enthousiasme. C’était d’ailleurs entre nous un ancien sujet de discussions. Quand j’étais Rue de Valois, nous avions déjà envisagé une association entre l’État et PPR [Pinault-Printemps-La Redoute], pour donner à la France une sorte d’ambassade culturelle dans cette ville. L’affaire n’avait alors pas pu se conclure. Cette fois-ci, après quelques jours de réflexion, François Pinault m’a donné son feu vert. La négociation avec le Casino de Venise, devenu propriétaire du palais, s’est engagée. Les avocats ont peaufiné la chose, l’accord a été conclu.
Quel va-t-être l’axe du programme des expositions du Palazzo Grassi ? François Pinault compte-t-il y présenter une partie de sa collection d’art contemporain ? Quel sera votre rôle ?
La collection de François Pinault alimentera bien évidemment la programmation de Grassi, soit à travers des expositions consacrées à tel ou tel de ses aspects, soit parce qu’elle offre la ressource de base à de nombreuses expositions monographiques – Maurizio Cattelan ou Jeff Koons par exemple – ou thématiques comme l’Arte povera. La programmation ne se fixera cependant pas de façon exclusive sur la collection. Elle abordera les domaines de l’art contemporain, de l’art historique du XXe siècle et de l’histoire des civilisations, puisque c’est dans ce domaine que Grassi a conquis ses galons. Qu’on se souvienne du succès de l’exposition sur les Celtes [1991] ou de celle sur les Phéniciens [1988]… François Pinault est très attaché à ce que Grassi tisse des relations étroites avec le réseau des institutions artistiques du monde entier. Grassi coproduira aussi largement que possible.
Quant à moi, je suis attaché à honorer la promesse que j’ai faite aux Vénitiens de rester associé à l’élaboration de la programmation, au choix des commissaires, à l’établissement des partenariats culturels. Je compte bien évidemment conduire cette mission en étroite liaison avec tous ceux qui font la vie culturelle vénitienne.
La construction du siège de la Fondation Pinault sur l’île Seguin est abandonnée. En tant qu’ancien ministre français de la Culture, ce choix ne vous semble-t-il pas dramatique pour la scène française ?
François Pinault a jeté l’éponge. Il s’en est expliqué dans une tribune parue dans Le Monde [daté du 10 mai, lire p. 2]. Ce renoncement est pour lui un déchirement. Je regrette qu’on en soit arrivé là.
Soyons cependant pragmatiques. Grassi appartient désormais à un Français. On sait à quel point il est important, au moment de la Biennale [de Venise], que la France soit en mesure de s’affirmer face à la scène internationale. Grassi nous en offre la perspective.
Je vous signale que François Pinault se propose de doubler les surfaces d’exposition en construisant une « nouvelle aile » sur le site du teatrino qui jouxte Grassi. Il augmentera ainsi encore la capacité de Grassi à jouer un rôle dynamique. Je note que François Pinault a également laissé entendre qu’il pourrait faire de Grassi le premier élément d’un réseau européen de lieux voués à l’art et à la culture. C’est une démarche innovante et moderne.
Quelle que soit la tristesse que peut inspirer la fin du projet Seguin à tous ceux qui y ont travaillé et à tous ceux qui en attendaient un effet positif pour la scène française, je suis persuadé que le nouvel engagement de François Pinault est riche de promesses qui se révéleront utiles à l’influence culturelle de la France dans le monde.
Quel est l’intérêt pour François Pinault de redéployer sa collection sur plusieurs sites ?
L’intérêt, c’est de rencontrer les publics divers, de contribuer à briser les lectures souvent encore très nationales des réalités artistiques, de favoriser la découverte de nouveaux artistes, de valoriser la production des expositions en leur permettant de bénéficier de publics plus nombreux, d’une certaine façon de contribuer de façon concrète à la construction d’un espace culturel européen.
Vous êtes aujourd’hui P.-D. G. de TV5. En tant que ministre de la Culture, vous avez encouragé les chaînes de télévision publiques à programmer davantage d’émissions culturelles. Allez-vous infléchir la prochaine grille des programmes de TV5 en ce sens ?
Bien évidemment, le président de TV5 n’oublie pas les convictions du ministre de la Culture et de la Communication. En m’engageant à TV5, je m’appuie sur le travail formidable déjà accompli par mes prédécesseurs et par les directeurs actuels des programmes et de l’information, Frédéric Mitterrand et Philippe Dessaint. La base est bonne. Il faut aller plus loin encore, en prenant en compte les missions spécifiques de la chaîne – chaîne de la diversité culturelle –, les attentes et les spécificités de publics très divers répandus d’un bout à l’autre de la terre. J’ai mis en œuvre, avec toutes les équipes, un travail de réflexion sur la programmation. La grille de la rentrée témoignera des conclusions que nous en aurons tirées et des choix que nous aurons faits.
TV5 est un formidable vecteur pour la diffusion de la culture francophone dans le monde. Les artistes plasticiens ne pourraient-ils pas y être plus largement associés ?
La programmation de TV5 est faite, je le rappelle, de rediffusion de programmes des chaînes partenaires, France 2, France 3, France 4, France 5, RFO (aujourd’hui Fô), Arte, la RTBF, la TSR, Radio-Canada et Télé-Québec, mais aussi de ses productions propres, tant dans le domaine des programmes que de l’info. Dans les champs du cinéma, de la littérature et des musiques, TV5 est un miroir très engagé de la richesse des expressions francophones. TV5 est, par exemple, l’un des seuls canaux universels de la diffusion des cinématographies francophones « du Sud ». À travers l’émission « Les yeux tout court », la chaîne s’engage fortement en faveur du court métrage, genre fragile, espace d’innovation et de renouvellement des vocabulaires cinématographiques. S’agissant de la musique, je tiens à souligner l’attention très soutenue qu’une émission comme « Acoustique » accorde aux jeunes musiciens et chanteurs. Dans le domaine, souvent négligé, des arts plastiques, l’engagement est moindre, à part de nombreux partenariats qui permettent à des expositions de bénéficier d’une promotion internationale très large. Ce sera le cas pour l’exposition « Africa Remix » présentée au Centre Pompidou. C’est régulièrement le cas pour les expositions de la Fondation Dina Vierny, à Paris. Il va de soi que c’est un domaine où j’ai très envie de prendre des initiatives y compris en invitant des artistes plasticiens à s’emparer des possibilités spécifiques de l’écriture pour la télévision.
Malgré votre emploi du temps chargé dû au cumul de vos fonctions (à Paris, Metz et Venise), une exposition vous a-t-elle marqué dernièrement ?
Il est évident que mon élection à la présidence de TV5 Monde m’a conduit à renoncer à mes fonctions de conseiller du président d’Artemis. Concernant Grassi, mes responsabilités me portent à mettre en œuvre les options de programmation sur lesquelles j’ai déjà travaillé au cours de l’année écoulée et à proposer à François Pinault les commissariats qui en seront chargés.
L’ensemble de ce travail exige une bonne organisation et peu de sommeil… Je profite bien évidemment de chaque instant de disponibilité, où que je sois, pour visiter une exposition, aller à un concert ou à un spectacle. Ce que j’ai vu de plus passionnant récemment ? À Varsovie, une exposition consacrée à Tadeusz Kantor à la Zacheta Narodowa Galeria Sztuki. Au Musée Picasso à Antibes, l’exposition consacrée aux céramiques de Picasso conçue par Jean-Louis Andral. Chez Michèle Chomette, l’exposition « Pourquoi ? » pour les 20 ans de la galerie et, bien sûr, au Centre Pompidou, Mallet-Stevens. J’attends avec impatience l’exposition de la vente d’arts primitifs qui aura lieu le 8 juin prochain à Drouot-Montaigne.
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Jean-Jacques Aillagon, P.-D. G. de TV5 Monde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°215 du 13 mai 2005, avec le titre suivant : Jean-Jacques Aillagon, P.-D. G. de TV5 Monde