Jakob MacFarlane - « L’architecture est un art qui donne forme à l’espace »

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 26 avril 2012 - 1796 mots

Derrière un nom en forme d’équation se cachent Dominique Jakob et Brendan MacFarlane, couple d’architectes, de designers et de scénographes internationaux

Martine Robert : un nom qui pourrait laisser penser que ce cabinet d’architecte n’a qu’un pilote. Pourtant, vous formez un couple à la ville comme à la scène. Quel a été le parcours qui vous a rapprochés ?
Dominique Jakob :J’ai passé mon enfance en Afrique, au Niger, en Côte d’Ivoire et au Gabon. À treize ans, j’ai découvert les États-Unis et Washington DC. À dix-sept, je suis rentrée à Paris passer mon bac, avant d’intégrer l’école d’architecture Paris-Villemin. Après une année à Los Angeles chez Morphosis, je suis revenue pour obtenir mon diplôme d’architecte ainsi qu’un autre diplôme en histoire de l’art.
Brendan MacFarlane : Je suis né à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Je me suis intéressé rapidement à l’archéologie, à l’histoire, à la botanique, au patrimoine. L’équivalent du bac en poche, j’ai entrepris des études de psychologie puis d’architecture. Ensuite, j’ai séjourné un an à Sydney chez Harry Seidler, avant de partir en Californie suivre les cours d’une école d’architecture atypique, SCI-Arc. Après mon diplôme, j’ai enseigné et mis le cap sur la côte est pour un master en architecture à Harvard.
D.J. : Nous avons une vision complémentaire et proche à la fois. Comme aux États-Unis où les architectes commencent par des programmes modestes et sont reconnus peu à peu, nous avons réalisé assez vite de petits concours comme la restructuration-extension de la maison T en 1994 à La Garenne-Colombes. En France, les architectes cherchent plutôt d’emblée à concourir pour des institutions. Au contraire, nous nous sommes construit une identité peu à peu, notamment avec le monument à la mémoire et à la paix du Val-de-Reuil, avec ses deux grands murs en béton, son banc en bois et les terrasses qui plongent dans les champs.

M.R. : En 1997, un autre chantier va imprimer durablement votre carrière : celui du collectionneur d’art Daniel Bosser…
D.J. : Daniel a une collection d’artistes conceptuels : Philippe Cazal, IFP, On Kawara, Philippe Thomas, etc. Un véritable musée dans son appartement haussmannien. Pour ce projet, nous avons travaillé directement avec les artistes, tels Michel Verjux qui réalise des projections de lumière ou Claude Rutault, car Daniel est un collectionneur très proche de ses artistes. Et, pour nous, l’architecture est justement un art qui donne forme à l’espace.

M.R. : En 1998, vous remportez un autre contrat qui va vous mettre sous les feux des projecteurs médiatiques : le restaurant Georges, au sommet du Centre Pompidou…
B.M. : Avant le restaurant Georges, la réalisation de la maison T a été un projet déclencheur. Nous étions en compétition avec Sylvain Dubuisson, Édouard François, Duncan Lewis, Thierry Lacoste et Philippe Starck. Nous n’y croyions pas, mais nous nous sommes réellement investis. Nous avons emporté le concours avec un jeu de formes en aluminium dont les tonalités varient en fonction des heures et des saisons. Quand le jury a vu la maquette in situ, il a été séduit.
D.J. : Concernant le restaurant Georges, nous avons travaillé avec des logiciels 3D de conception et de découpe automatisée utilisés pour les chantiers navals. Nous nous intéressons et aimons utiliser les technologies de pointe, or nous avions juste un an devant nous pour que le restaurant ouvre en l’an 2000. Conceptuellement, nous nous sommes inspirés de la grille initiale réalisée par Piano et Rogers, puis nous avons déformé le sol en aluminium pour abriter les vestiaires, les cuisines, le bar… Avec la vue sur les toits, les Parisiens ont l’impression de flotter sur la ville…

M.R. : Éclectiques, vous revenez ensuite à un bâtiment industriel, et non des moindres, celui de Renault, dessiné par Claude Vasconi.
D.J. : Renault nous a invités à concevoir son centre de communication dans cette usine livrée en 1984 que le constructeur avait décidé de quitter le jour même de sa livraison. C’était donc une vaste usine brute à transformer. Là, on s’est intéressés au toit, aux sheds qui amenaient de la lumière au sein du 57 Métal. Nous avons transformé les trois travées des sheds d’origine en une succession d’espaces où nous avons tendu des écrans cimaises d’un blanc immaculé. Nous les avons soumis à un jeu de pliages avec des panneaux en nid-d’abeilles pour donner de la densité. Malheureusement, ce bâtiment, ayant été vendu, est aujourd’hui en danger de démolition.

M.R. : Vous faites alors partie des jeunes architectes sollicités pour répondre à des concours internationaux et, en l’an 2000, vous emménagez dans des locaux plus spacieux, avec des collaborateurs venus de partout. Un think tank multinational en quelque sorte ?
B.M. : Notre agence se veut un lieu de créativité où chaque collaborateur apporte sa propre culture, son imaginaire afin d’expérimenter de nouveaux projets architecturaux. Chaque projet est l’occasion de renouveler des territoires d’exploration, dans les études, les usages comme dans les moyens de production. Notre studio cherche constamment à prendre une position conceptuelle et à exprimer une conscience critique de notre environnement.
D.J. : Nous testons les limites, sans s’enfermer dans un style ou process récurrents. L’architecture doit être l’expression d’une liberté de penser et d’agir, de provoquer, d’interpeller en tenant compte bien sûr des paramètres culturels, économiques, sociologiques, techniques, géographiques…

M.R. : Il arrive que votre audace fasse débat, comme cette chenille verte de la Cité de la mode et du design, qui semble sortie d’une BD de science-fiction.
D.J. : Ce n’est jamais facile d’obtenir un consensus, on a besoin de temps. Quand le restaurant Georges a ouvert, nous avons eu quelques remarques ; aujourd’hui, il fait partie du paysage. Pour la Cité de la mode et du design, la Ville de Paris et la Caisse des dépôts et consignations ont voulu un édifice associant mode, design, création. Les architectes des Bâtiments de France souhaitaient conserver l’ossature en béton du site, datant de 1907. Cette démarche nous a intéressés. Nous avons greffé au bâtiment existant une enveloppe de verre et d’acier qui développe un volume en excroissance et en arborescence. Les Parisiens surplombent la Seine grâce à une coursive qui offre une promenade connectée à l’eau. Du toit-terrasse végétalisé, ils ont une vue sur le fleuve et les monuments de Paris.
Bientôt, le public pourra s’approprier le site avec notamment l’ouverture des expositions « Balenciaga » et « Comme des Garçons » et de différents commerces, boutiques, cafés, club, etc. Véritable signal architectural dans le paysage qui l’entoure, le site prend un autre relief la nuit avec la mise en lumière de Yann Kersalé.

M.R. : Imaginaire riche encore avec le Cube et sa mantille en aluminium laqué orange, à Lyon… Que signifie ce cône étiré en diagonale, comme si le Cube avait été transpercé par une météorite ?
D.J. : Cette ouverture est comme une fenêtre qui s’ouvre vers le ciel, notre façon de penser, vers le monde des arts aussi. Les exigences programmatiques demandées en phase concours comprenaient la création d’un atrium. Nous avons choisi de créer un vide pour répondre aux besoins de lumière, de vues ouvertes sur la Saône et d’espaces de vie.
B.M. : La couleur orange fait référence aux sites industriels et l’idée, ici, était d’intégrer le bâtiment dans un contexte déjà industriel.

M.R. : À la Fondation Ricard pour l’art contemporain, vous avez imaginé une grotte-bar couleur soleil : vous aimez décidément les couleurs vives.
D.J. : La couleur jaune du bar de la Fondation Ricard est une métaphore de la lumière de Marseille, de l’histoire de Ricard aussi, avec des alvéoles pour mettre les bouteilles, les verres, les objets de design. La couleur, pour nous, est un moyen de communiquer, de transmettre l’émotion et l’atmosphère toujours avec une raison conceptuelle.
M.R. : Parallèlement à l’architecture, le design vous occupe aussi beaucoup…
D.J. : Pour nous, il y a une relation entre le design et l’architecture. Nous avons conçu toutes sortes d’objets, lampes, chaises, fauteuils, tables, etc. Dans le cadre d’une exposition à la Cité radieuse de Le Corbusier à Briey, nous avons également créé un papier peint nommé Breathing Paper, grâce aux alvéoles tridimensionnelles qu’il représente. Nous travaillons fréquemment avec les éditeurs comme Sawaya et Moroni, Cappellini, Quinze & Milan, Marcel By, qui vient d’ouvrir une galerie d’exposition permanente à Paris.

M.R. : Vos sources d’inspiration paraissent multiples : on a évoqué les architectes Niemeyer, Parent, le peintre Bacon…
D.J. : Nos influences sont éclectiques en effet, mais ne proviennent pas seulement de personnalités. Elles viennent aussi du paysage, de la nature. La nature a une très grande influence sur notre travail.

M.R. : Quels sont les sites ou bâtiments qui vous fascinent le plus ?
B.M. : Ce qui nous fascine le plus ce sont les sites archéologiques, les bâtiments ou ville abandonnés, les sites perdus… Différents éléments entrent en compte tels que les traces, le contexte, le vide, le présent, etc.

M.R. : Quels sont vos projets en cours ?
B.M. : Nous livrons cette année le bâtiment du Fonds régional d’art contemporain de la région Centre. Une architecture sur laquelle les artistes Yacine Aït et Naziha Mestaoui d’Electronic Shadow ont greffé un réseau de lumières et d’images qui apporteront des scintillements lumineux subtils et artistiques. Il y a aussi le siège social d’Euronews à Lyon qui semble répondre au Cube Orange, une aventure où nous avons demandé à Fabrice Hyber d’esquisser des empreintes digitales évoquant les vibrations et reflets de la Saône qui coule à ses pieds. Aussi, nous pouvons mentionner, entre autres, le conservatoire de danse et musique de Noisy-le-Sec, l’extension de l’école des beaux-arts de Pau, avec un nouveau volume revêtu de tôles d’aluminium, posé comme en lévitation, au-dessus du bâtiment datant du XIXe siècle.
D.J. : Nous travaillons aussi sur un projet de maison particulière à Boulogne-Billancourt ou sur des scénographies comme l’exposition actuellement présentée au Quai Branly « Les maîtres du désordre » sur les théogonies et les mythes [lire p. 40]. Nous avons imaginé un espace tubulaire, subdivisé en cellules présentant les différentes thématiques. Le visiteur est projeté, immergé, puis comme expulsé à la fin du parcours, au terme d’un voyage exploratoire, transformateur de soi.

M.R. : À part l’architecture, qu’est-ce qui vous rapproche le plus Dominique et Brendan ?
D.J. : Le goût des voyages. D’ailleurs, nous avons beaucoup de compétitions à l’étranger, en Belgique, Suisse, Malaisie, à Taïwan aussi où nous avons failli remporter le Performing Arts Center. Nous avons beaucoup bougé l’un comme l’autre. Nous avons une grande affection pour Los Angeles où nous avons vécu et où nous aimerions ouvrir une antenne, de même qu’en Asie.

Repères

1961
Naissance à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, de Brendan MacFarlane.

1966
Naissance à Paris de Dominique Jakob.

1990
MacFarlane obtient son diplôme d’architecture à Harvard, après celui du South California Institute of Architecture, à Los Angeles (1984).

1991
Diplôme de l’École d’architecture de Paris-Villemin pour Dominique Jakob.

1992
Fondent l’agence Jakob MacFarlane.

2008
Aménagement des Docks en Seine.

2013
Siège d’Euronews sur l’île de la Confluence à Lyon.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : Jakob MacFarlane - « L’architecture est un art qui donne forme à l’espace »

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