PARIS
Jacques Moulin, 63 ans, est titulaire du concours d’architecte en chef des Monuments historiques (ACMH) depuis 1984. Il est chargé de plusieurs monuments classés appartenant à l’État (parmi lesquels la basilique Saint-Denis). Il œuvre en architecte libéral au sein de l’agence 2BDM fondée en 2009 avec trois autres ACMH associés.
Le projet de reconstruction de la flèche de la basilique Saint-Denis, démontée au XIXe siècle, a été soutenu par le ministère de la Culture, mais la Commission nationale des monuments historiques y a apporté un avis majoritairement négatif. En tant que maître d’œuvre du projet, qu’avez-vous à répondre à vos opposants ?
Le remontage de la flèche de Saint-Denis est dans les cartons depuis plus de quarante ans. Après un siècle et demi d’absence, la municipalité n’a manifestement pas fait son deuil de cet ouvrage. Quand un besoin est exprimé avec force et qu’il n’a aucun impact négatif sur la conservation et la restauration de la basilique, je ne peux que le relayer. Pourquoi, en fonction d’a priori doctrinaires, irait-on interdire le retour de ce qui a fait l’identité d’un monument et de ce qui, aujourd’hui, peut participer à sa notoriété et sa fréquentation ?
Qu’entendez-vous par « a priori doctrinaires » ?
Certains pensent qu’on doit laisser les monuments tels qu’ils sont, que moins on y touche, mieux on se porte. Mais il y a deux poids et deux mesures. Quand il s’agit d’un monument médiéval ou du XVIIIe siècle, cette règle du minimalisme serait censée s’imposer. Mais quand il s’agit de la villa Cavrois [à Croix, Nord] de [Robert] Mallet-Stevens, demeure qui était encore récemment une ruine, les mêmes exigent de la restituer dans ses moindres détails : éclairages, revêtements de sol, carreaux de salle de bain, robinets… Ce n’est pas sérieux.
Est-ce parce que les monuments récents sont mieux documentés et laissent moins place à une reconstruction hypothétique ?
Par ses dessins exceptionnellement nombreux et plusieurs centaines de pierres conservées, la flèche de Saint-Denis est plus précisément connue que certains ouvrages plus récents.
Que vont devenir les pierres originelles de la flèche, stockées dans le jardin près de la cathédrale et dans le dépôt archéologique de la Ville de Saint-Denis ?
Un temps, il a été envisagé de les remettre en place, mais l’expérience analogue faite à la Frauenkirche [église Notre-Dame] de Dresde [en Allemagne] est apparue décevante. Comme les pierres provenant des restaurations précédentes, je propose qu’elles soient conservées dans le dépôt lapidaire de la basilique, où elles permettront durablement de vérifier la validité de la restitution que nous allons faire.
Il est souvent reproché aux ACMH, et à vous en particulier, d’avoir un tropisme pour la reconstruction des monuments ou morceaux de monuments disparus. Qu’avez-vous à répondre ?
Mon activité principale consiste à conserver les bâtiments qui nous sont confiés, à garder au maximum leur matérialité, à les assainir, à les consolider mais aussi à faire des restitutions ponctuelles à l’identique quand les matériaux se sont délités. Reconstruire plus largement un bâtiment, ce qu’on appelle usuellement faire de la restitution architecturale, est une pratique marginale de mon activité, mais que je défends. Ériger en règle un absolu respect du dernier état connu d’un édifice est une pauvreté intellectuelle. Le plus souvent, garder le dernier état connu consiste à conserver tous les défauts qui ont conduit un monument à la ruine ou à l’indifférence publique dans laquelle il est tombé. Et pour sortir ces bâtiments de la déshérence, reconstruire est parfois une solution. C’est en restituant les deux tiers des volumes d’une ancienne abbaye de Château-Landon qu’elle a pu être réhabilitée et devenir une des maisons de retraite les plus belles et performantes d’Île-de-France.
Reconstruisez-vous par défi intellectuel ?
Dès lors que vous connaissez un état ancien, que vous avez compris que les dispositions actuelles d’un bâtiment peuvent être déficientes parce qu’il manque une toiture, une aile, un élément de décor fondamental pour son équilibre et sa plénitude architecturale, pourquoi se priverait-on de le faire si cela répond à un objectif particulier ? Je ne considère pas la reconstruction comme un tabou.
Êtes-vous favorable au projet de reconstruire le château de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), porté par une association et par votre confrère Pierre-André Lablaude ?
On ne reconstruit pas pour le simple plaisir de reconstruire. Les restitutions que j’ai eu l’occasion de proposer répondaient à des attentes publiques ou scientifiques. Je ne connais pas le moindre besoin public entourant la reconstruction du château de Saint-Cloud. Pas plus dans celui de rebâtir le palais des Tuileries qui a d’ailleurs pris une nouvelle forme architecturale avec la reconstruction des pavillons de Flore et de Marsan.
Une fois terminé, que deviendra le château de Guédelon (Yonne) dont vous avez lancé la restauration il y a vingt ans pour le compte d’un châtelain privé ?
Le chantier de Guédelon avait deux objectifs : dynamiser la fréquentation de son voisin le château de Saint-Fargeau et expérimenter ce que l’on savait des techniques de construction médiévales. Maryline Martin [directrice et cofondatrice du chantier] et toute l’équipe de Guédelon ont su le transformer en un véritable succès, preuve qu’une haute qualité scientifique n’est pas incompatible avec un large public. Le rythme du chantier est volontairement lent car ceux qui y travaillent passent plus de temps à expliquer ce qu’ils font qu’à le faire. Le but n’est pas de construire un château de plus, mais de savoir et de montrer comment le faire. Dans ce sens, le chantier peut durer encore longtemps. Mais à la fin, entre nous, on imagine volontiers un grand happening explosif et festif…
Où en est la restauration de l’école militaire (Paris) commencée en 2012, et dont vous êtes maître d’œuvre pour l’État ?
C’est un chantier qui devrait encore durer plusieurs années. Les bâtiments de l’école militaire ont beaucoup souffert. La pierre de Saint-Leu, la grande pierre royale de l’époque classique, a été très dégradée par la pollution. J’essaie d’y appliquer actuellement une technique de restauration des façades par empreinte numérique, technique que nous mettons au point depuis une dizaine d’années. Lorsqu’une pierre est ponctuellement abîmée, elle n’est plus remplacée, comme cela est fait usuellement, mais complétée par des greffes qui viennent épouser la cassure en parfaite continuité. Cette pratique a permis de diminuer notablement le coût des travaux, tout en conservant au monument une authenticité maximale.
Depuis 2009, les ACMH n’ont plus le monopole sur la maîtrise d’œuvre de tous les édifices classés monuments historiques, mais seulement de ceux appartenant à l’État. Comment vivez-vous cette ouverture à la concurrence ?
J’étais président de la compagnie des ACMH quand la réforme a été négociée. Je l’ai soutenue. Comme dans tous les métiers du monde, il suffit que vous soyez obligatoire pour que vous soyez mal vu. Je préfère être choisi parce qu’on a envie de travailler avec moi plutôt que par obligation. Nous répondons à des appels d’offre, les maîtres d’ouvrage nous retiennent quand nous leur apportons une expertise et des solutions que d’autres n’ont pas, et nous avons la chance d’avoir plutôt trop de travail que pas assez.
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Jacques Moulin : « Je ne considère pas la reconstruction comme un tabou »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°475 du 17 mars 2017, avec le titre suivant : Jacques Moulin : « Je ne considère pas la reconstruction comme un tabou »