Isabelle Attard, députée du Calvados, est coauteur d'un rapport parlementaire sur les réserves et collections des Musées de France.
La députée de la 5e circonscription du Calvados (apparentée écologiste) est coauteur avec Michel Herbillon, Michel Piron et Marcel Rogemont d’un rapport parlementaire d’information sur les réserves et collections des musées de France. Titulaire d’un doctorat en archéologie environnementale, elle a dirigé de 2005 à 2010 le Musée de la tapisserie de Bayeux, puis de 2010 à 2012 le Musée du débarquement d’Utah Beach.
Comment expliquez-vous que le taux de récolement des musées de France ne soit que de 40 %, alors même que l’échéance est maintenant dépassée ?
Il y a plusieurs raisons et aucune ne l’emporte sur l’autre. D’une part, ce n’est pas une tâche très valorisante, c’est moins enthousiasmant que d’organiser une exposition temporaire. Et comme cela ne se voit pas, les élus locaux, pour ce qui concerne les musées territoriaux ne voient pas toujours l’intérêt d’accorder des moyens à cette activité. Ceci dit, il revient aussi au conservateur d’expliquer à sa tutelle en quoi c’est valorisant. D’autre part, il n’y a pas eu de prise de conscience que c’était obligatoire avec une échéance, comme la Mission a pu le constater s’agissant d’une ancienne conservatrice à Angers. Plus fâcheux, alors que le ministère nous a assuré suivre tous les ans ce taux, musée par musée, nous n’avons pas eu d’explications sur le cas précis d’Angers où le taux est resté à 0 % pendant dix ans. En résumé ce n’est pas apparu comme une priorité, à tous les niveaux.
La Mission recommande d’aller au-delà de la décision du ministère et de repousser l’échéance au 31 décembre 2016. Pourquoi ?
Il faut être logique et comprendre que ce qui n’a pas été fait en quatorze ans, ne peut être accompli d’ici octobre 2015. Nous recommandons de suspendre les budgets d’acquisition des musées qui n’auraient pas achevé leur récolement à fin décembre 2016, au lieu de couper les moyens alloués au récolement après octobre 2015, comme cela a été annoncé par le ministère. D’un autre côté, il faut accroître les moyens, en mobilisant toutes les bonnes volontés y compris extérieures au musée, parmi « les amateurs éclairés ». À Rotterdam, j’ai pu constater que les Amis du musée participaient à l’inventaire. À l’Assemblée nationale, les déclarations d’intérêt des élus sont remplies sur des formulaires papier et ce sont les bénévoles de l’association Regard citoyen qui ont formaté et numérisé près de 1 000 documents en quelques jours.
Vous signalez également qu’après le récolement il y a le postrécolement. De quoi s’agit-il ?
Et oui, le récolement n’est que le début d’une autre mission ! Les cas les plus marquants concernent les œuvres manquantes (c’est d’ailleurs peut-être une raison pour laquelle le récolement traîne) : il faut les rechercher, parfois, même si cela est un cas extrême, aller dans le logement du directeur précédent, déclarer le vol, etc. Il faut aussi prendre une décision sur le rangement des réserves.
La Mission reprend votre proposition de loi de novembre 2013 visant à supprimer les droits d’utilisation des photographies d’œuvres entrées dans le domaine public. Quelles sont vos motivations ?
J’ai été directrice de musée et je considère que c’est dans l’intérêt même du musée d’autoriser la libre utilisation de photographies prises par lui, sans facturer de frais de dossier, y compris pour un usage commercial. C’est ce que font tous les pays, regardez le Rijksmuseum aux Pays-Bas. Ma proposition n’a pour l’instant pas retenu l’attention du Gouvernement.
Selon le Palmarès des musées du JdA, à partir du 300e musée, le nombre de visiteurs chute à 2 000 par an. Le rapport préconise un projet scientifique et culturel (PSC) pour tous les musées de France. Y compris pour ces petits musées ?
Oui, mais en adaptant le format du PSC à la taille de l’établissement ou en accompagnant le conservateur. Ne pas en demander ce serait indiquer que le musée ne compte pas, cela n’encouragerait pas à se bouger. Tout le monde doit se sentir impliqué.
Vous faites plusieurs propositions relatives aux réserves. Avez-vous senti une prise de conscience des conservateurs et élus de la nécessité d’aménager les réserves ?
Les responsables des musées savent parfaitement l’importance des réserves et se désolent tous les jours de la vétusté de certains locaux. Cela fait mal au cœur de voir parfois les combles remplis d’œuvres d’art. Pour les élus, c’est une autre histoire. D’où l’importance d’avoir des réserves « témoins » comme celles du MuCEM à Marseille, où un conservateur peut emmener son élu pour lui montrer la nécessité de ses propres aménagements.
Vous appelez à une réflexion musée par musée pour réaménager les réserves, mais ne faudrait-il pas l’envisager au niveau régional ou au moins local ?
Oui la réflexion peut se mener au niveau d’une ville afin de mutualiser les réserves. Mais on est loin d’y arriver. Il faut inciter à la mutualisation, même si cela n’est pas simple. C’est plus difficile au niveau régional. La distance entre le musée « mère » et le musée « vitrine » compte aussi, ou tout du moins le temps de transport. Mais au-delà la question doit d’abord se porter sur la finalité de ces réserves. Faut-il y adjoindre un centre de recherche ? Si c’est un simple hangar personne n’aura envie d’y aller. Mais s’il y a des services, cela change tout car cela devient un lieu de vie. Car c’est là où se trouvera le centre névralgique du musée : restauration, accueil des chercheurs, numérisation… Le musée en lui-même ne devient qu’une vitrine avec de la médiation culturelle. On l’a constaté dans plusieurs villes en Europe. Ceci étant, il ne faut pas sous-estimer les réticences à l’égard de la mutualisation, mélanger des collections différentes dans un même lieu ce n’est pas simple.
Que vous a dit le ministère s’agissant des réserves des musées nationaux parisiens ?
Je n’ai rien entendu sur le sujet. Le problème est que ce sont les établissements qui font ce qu’ils veulent, par exemple Le Louvre qui décide de les installer à Lens. Face à la menace d’une crue importante de la Seine, chaque musée national a réfléchi dans son coin. La solution du Quai Branly, avec des caissons high-tech, reste en sous-sol et cela m’interpelle. Le Centre Pompidou va renouveler le bail avec une société privée dans le nord de Paris, en restant sous la menace d’une non-reconduction du contrat si le propriétaire a d’autres intérêts.
Le rapport relève l’intérêt de la proposition d’aliénabilité des œuvres d’art par Guillaume Cerutti, le président de Sotheby’s France. Quel est votre sentiment sur le sujet ?
C’est normal de se poser la question, surtout avec la baisse des crédits d’acquisition, et l’on ne veut pas être péremptoire. Mais en définitive il ne faut pas toucher au système français et à l’inaliénabilité des collections publiques. On est tous conscient des modes qui passent.
La Mission formule dix-sept propositions très concrètes pour accélérer la recherche des ayants droit des œuvres spoliées. La première semble tellement évidente que l’on se demande pourquoi elles n’ont pas été mises en œuvre ?
Vous faites allusion au changement de nom. Même dans le milieu éclairé des musées, « MNR » [pour Musées nationaux récupération], cela ne veut rien dire. Il me semble qu’avoir négligé de corriger cette appellation depuis longtemps déjà est le signe d’un désintérêt profond. Cela avait un sens de choisir cette appellation après la guerre, mais après il faut le dépoussiérer. Il n’est pas nécessaire de modifier les cartels, il suffit d’ajouter un logo, une pastille qui se voit sur le cartel pour interpeller les visiteurs avec une phrase du style « origine douteuse » et renvoyer sur une documentation pédagogique. En Angleterre c’est « looted art », butin de guerre : cela a un sens. Nous recommandons également une exposition itinérante, il faut que les œuvres circulent et ne restent pas dans un milieu parisiano-parisien et que tous les musées de région se sentent impliqués dans cette démarche. Si on veut en faire une cause nationale, tous les musées doivent prendre leur part de recherche de provenance, et ainsi on résoudra ce dossier en quelques années. Nous préconisons par ailleurs d’accélérer la numérisation des archives. Là aussi il faut savoir faire appel aux bonnes volontés extérieures qui ont digitalisé des documents, à la manière de La Grande Collecte pour le Centenaire. Il faut sortir du cadre habituel, en faire une cause nationale, admettre sans sentiment de culpabilité que l’on a sous-estimé le problème et qu’à partir de maintenant, on le règle vraiment.
Le rapport fait état d’un doute sur l’acquisition d’un tableau au Musée d’Orsay. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un tableau de Hans Thoma, Hercule délivrant Hésione, que le Musée d’Orsay voulait acheter en 2013. Le représentant des Musées de France avait demandé que l’on sursoie à l’acquisition le temps de faire les recherches de provenance, mais Guy Cogeval affirme qu’il a fait les recherches de son côté, que rien ne permet d’avoir un doute sur sa provenance, et que l’intérêt scientifique de posséder ce tableau est nettement supérieur aux risques encourus. La Mission constate que les grandes maisons de ventes déploient un arsenal de chercheurs pour vérifier les provenances afin de préserver la bonne image de leurs établissements, et qu’en l’espèce les recherches ne sont pas assez approfondies.
Quel est le ressenti de la Mission sur l’échange d’informations entre personnels scientifiques ?
Nous avons constaté une absence de transversalité et de discussions entre les personnels scientifiques et entre ces derniers et leur tutelle scientifique. Ce qui n’est pas le cas par exemple entre les archivistes, qui ont su bâtir un réseau d’échanges pour partager des expériences. Pour compenser, certains directeurs de musée se sont organisés tous seuls, je pense à la Conférence des muséums d’histoire naturelle. Les 22 conseillers musées dans les Drac sont trop peu nombreux et sont débordés. Ils ne peuvent pas être partout. Les conservateurs ont un esprit de corps grâce à leur formation commune à l’Institut national du patrimoine, mais ils sont encore une minorité parmi les directeurs de musée. La situation est pire avec les attachés de conservation qui ne bénéficient d’aucune formation depuis la disparition de l’École nationale d’ application des cadres territoriaux.
Plus généralement, on fait le reproche au ministère de la Culture de ne pas être assez stratégique. Quelle est votre analyse ?
J’ai le sentiment que le seul mode d’échange, de fonctionnement avec les musées ressort du contrôle, dans une relation du haut vers le bas, qui est parfois défaillante. Il faut moins de verticalité et plus d’horizontalité, plus d’encouragement au partage de savoir-faire. Par ailleurs, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de communication et peu de concret. Les priorités ne sont pas assez clairement énoncées, avec des objectifs à cinq, dix ans. Ce rapport est un rapport d’information, pas d’enquête, mais nous en ferons un suivi. Nous déposerons des amendements dans le cadre du projet de loi à venir, comme le maintien du label « musées de France » conditionné au PSC, ou bien l’intégration possible d’œuvres MNR aux collections publiques une fois toutes les recherches de provenance effectuées et sous certaines conditions. Cette dernière proposition est très attendue par de nombreux conservateurs. Nous continuerons également à questionner le Gouvernement et nous ferons un bilan dans un an.
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Isabelle Attard : « Moins de verticalité et plus d’horizontalité »
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Abonnez-vous dès 1 €Isabelle Attard © EELV
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Isabelle Attard : « Moins de verticalité et plus d’horizontalité »