Il y a un an, le 13 janvier 2009 à Nîmes, lors de la présentation de ses vœux aux milieux culturels, Nicolas Sarkozy avait annoncé sa volonté de créer un « musée de l’histoire de France ». Et commandé dans la foulée un rapport à Jean-Pierre Rioux, inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, sur les différents sites susceptibles d’accueillir une telle institution.
La plupart des universitaires ont reçu la nouvelle avec circonspection, craignant une dérive idéologique. Les historiens Daniel Roche et Christophe Charle ont ainsi, dans une tribune publiée dans Le Monde (8 février 2009), dénoncé une entreprise qui viserait « surtout à exalter notre identité en ce moment où notre nation serait menacée de l’intérieur par tous les communautarismes, à l’extérieur par le syndrome du déclin ou les craintes nées d’une mondialisation incontrôlable ».
Dès le début, les interrogations étaient donc nombreuses, d’autant plus qu’il existe déjà deux musées dédiés à l’histoire de France, installés l’un aux Archives nationales, à l’hôtel de Soubise (lire page 20), l’autre – actuellement en rénovation – au château de Versailles (lire page 18). Organisé en urgence en juin dernier par l’Institut national du patrimoine à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, un colloque consacré aux « Lieux de mémoire, musée(s) d’histoire(s) » précisait les contours de cette future institution appelée de ses vœux par le président de la République et censée s’inspirer du Deutsches Historisches Museum à Berlin. Différentes personnalités comme Laurent Gervereau, président fondateur de l’Association internationale des musées d’histoire, avaient répondu présent. C’est lors de ce colloque que ledit musée a été rebaptisé « Maison de l’histoire de France » – le terme de « cité » ayant, ces dernières années, largement été exploité. Étaient ainsi soulignées les missions plurielles de cet établissement, défini comme une tête de réseau des musées d’histoire et un lieu d’échanges dévolu à la recherche.
Un site vierge
À la rentrée de septembre 2009, le projet a franchi un nouveau cap avec la nomination de Jean-François Hébert à ses commandes. L’ancien directeur de cabinet de Christine Albanel a simultanément pris la présidence du château de Fontainebleau, un site candidat pour accueillir le projet présidentiel. Cette double nomination n’a cependant pas été suivie d’effets sur le choix final du lieu d’implantation de la Maison. Officiellement, le château de Vincennes, le Grand Palais et le Palais de Chaillot sont donc toujours dans la course, tout comme l’hôtel des Invalides même si sa tutelle, le ministère de la Défense, a clairement fait savoir qu’elle n’était pas intéressée. La Rue de Valois (qui rendra son verdict après les élections régionales) songe aussi à une autre alternative : l’édification d’un bâtiment moderne sur un site vierge. L’île Seguin, à Boulogne-Billancourt, serait sérieusement envisagée, d’autant plus qu’elle permettrait de résoudre le délicat problème du financement. À l’heure où les crédits de la Culture sont en berne, la participation potentielle d’une collectivité comme les Hauts-de-Seine, le département le plus riche d’Île-de-France, pourrait se révéler providentielle même si construire du neuf implique des délais plus longs.
Le sujet est tabou en ces temps de crise et de « grand emprunt », et aucune donnée chiffrée ne nous a été communiquée. À titre indicatif, la construction du Musée du quai Branly avait atteint 290 millions d’euros, faisant exploser le budget initial ; le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, financé à 60 % par l’État) devrait coûter 175 millions d’euros, tandis que le montant des travaux pour le Musée des Confluences attendu à Lyon devrait avoisiner les 160 millions d’euros, contre 90 millions prévus au départ. Le Musée de l’Homme a pour sa part été doté de 53 millions d’euros pour sa rénovation.
Les ministères de la Recherche et de l’Éducation, potentielles tutelles de la future « Maison de l’histoire de France », n’étant pas mieux dotés budgétairement que la Culture, le montage financier s’annonce particulièrement complexe.
La lettre à Éric Besson
Le projet muséographique continue à être jalousement gardé par Jean-François Hébert, lequel collaborerait avec une petite dizaine de « jeunes historiens », comme il l’a laissé entendre, pour une première ébauche du parcours permanent. Et de préciser, prudent, que ces « historiens travaillent sur un synopsis pour un avant-avant-projet du parcours chronologique permanent, qui sera ensuite soumis au débat auprès de la communauté des historiens pour trouver un consensus ».
Il faudra aussi songer à se pencher sur la question, non moins essentielle, des objets qui y seront présentés… Malgré la brillante démonstration de Thierry Sarmant, directeur adjoint du cabinet des Médailles à la Bibliothèque nationale de France, lors du colloque à la Cité de l’architecture, de nombreuses zones d’ombre planent sur la constitution de la collection. Parallèlement à une entreprise d’acquisition de pièces d’un intérêt strictement historique (donc peu onéreux), Thierry Sarmant préconise de « recueillir des objets que les institutions ne veulent pas ou ne peuvent pas exposer ». Et n’exclut pas « l’affectation définitive de telle ou telle collection nationale » et la « transformation d’un ou plusieurs musées existants au sein du Musée de l’histoire de France ». Une idée qui pourrait séduire dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et des restrictions économiques que celle-ci implique.
Le Musée du quai Branly a donné l’exemple en absorbant les collections d’ethnologie émanant du Musée de l’Homme et de l’ancien Musée des arts d’Afrique et d’Océanie. Lors du colloque, Laurent Gervereau évoquait ainsi d’inévitables « fermetures et des regroupements » à venir. La Maison de l’histoire de France ne se définit-elle pas comme un établissement tête de réseau, capable de regrouper en son sein d’autres musées à l’instar d’Orsay avec l’Orangerie ou du Louvre avec le Musée Delacroix ? Mais, pour convaincre ses partenaires potentiels, c’est-à-dire les musées nationaux, l’institution ne pourra faire l’économie d’un débat éclairant ses intentions premières. On peut en effet s’étonner du fait que le ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale soit partie prenante au projet.
Les termes de la lettre de mission du président de la République et du Premier ministre adressée le 21 mars à Éric Besson sont très clairs : « Vous prendrez part, aux côtés du ministre chargé de la Culture, à la mise en place du Musée de l’histoire de France, qui contribuera à faire vivre notre identité nationale auprès du grand public. » Ce, dans le cadre d’objectifs visant à renforcer « la place des emblèmes et symboles de la République, de sa langue, de son drapeau, de son hymne ». Cette demande n’est-elle pas symptomatique d’une volonté, comme l’évoque l’historien Henry Rousso (lire l’entretien ci-contre), de « positiver » l’Histoire ? Jean-François Hébert se veut rassurant : « La Maison doit remettre la recherche historique au premier plan. Les historiens ne peuvent pas avoir d’inquiétudes. Souvenez-vous des polémiques qui ont entouré la création du Centre Pompidou, accusé alors de promouvoir l’art officiel, regardez où il en est aujourd’hui ! Il s’agit bien de mettre sur pied une sorte de catalyseur pour valoriser et encourager la recherche. »
Le paradoxe est qu’au même moment le gouvernement envisage de reléguer l’histoire au second plan en terminale S (la filière la plus réputée), en y rendant la discipline optionnelle. Enfin, si la priorité semble aujourd’hui aller à la Maison de l’histoire de France, un autre lieu de mémoire national reste totalement ignoré des pouvoirs publics : la jeune et prometteuse Cité nationale de l’histoire de l’immigration, qui a même été privée d’inauguration officielle en 2007.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Histoire et pouvoir
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°316 du 8 janvier 2010, avec le titre suivant : Histoire et pouvoir