Henrique Oliveira (né en 1973 à Ourinhos) est un des artistes brésiliens les plus en vue sur la scène contemporaine internationale.
Auteur de la spectaculaire installation « Baitogogo » du Palais de Tokyo, son travail est visible jusqu’en décembre à la galerie George-Philippe et Nathalie Vallois. Il était présent à la Fiac pour évoquer avec Le Journal des Arts la situation artistique d’un Brésil dont la situation économique inquiète.
Récession, scandale Petrobras, coupes budgétaires : le tableau général brésilien est sombre en cette fin d’année. Cela se ressent-il sur la scène artistique ?
Ces vingt dernières années ont marqué une grande amélioration dans le financement de projets artistiques. Aujourd’hui on marque le pas. La scène artistique est forcément impactée par la réalité économique du pays. La crise commence à se faire sentir dans la sphère culturelle, sans doute davantage au niveau privé qu’au niveau public. Parmi les projets programmés il y a plusieurs années et qui arrivent à échéance en 2015, nous constatons que certains mécènes et financeurs font défaut. La « lei Rouanet » (loi sur le mécénat, NDLR) semble avoir perdu de son pouvoir d’incitation auprès d’entreprises en difficulté.
Le phénomène est-il conjoncturel ou structurel ? Est-ce la fin de ce grand cycle qui a vu l’émergence de la scène artistique brésilienne à l’échelle mondiale ?
Difficile à dire. Je pense que c’est un phénomène qui touche toutes les économies et les scènes artistiques associées, même avec retard ou décalage. Regardons la Chine : quand l’économie perd de sa vigueur, le côté spéculatif du marché de l’art semble également diminuer. Mais s’il y a un phénomène structurel et irréversible, c’est en revanche la mondialisation de l’art. Il y a de moins en moins d’artistes à dimension régionale. Les talents passent très vite à l’échelle mondiale. Ce phénomène renforce sans doute l’impression d’un abandon des scènes locales et d’une concentration au sein d’un marché de l’art mondial et spéculatif.
Le ministère de la culture brésilien a été confié tantôt à des artistes, tantôt à des techniciens, tantôt à des politiques. Pour quelles différences ?
À l’époque de Gilberto Gil, il y a eu un souffle, indéniablement. Quelque chose s’est passé. Ensuite, on a confié des postes techniques à des personnalités politiques, en échange de services politiciens. C’est dommage. Avec un outil de financement de la culture comme la loi Rouanet, qui laisse de fait la politique culturelle aux entreprises, il faudrait un ministère fort pour fixer un cap. Le pouvoir politique a aussi un rôle dans sa capacité à faire entendre la voix des artistes, quand toute récession économique voit apparaître des formes intellectuelles réactionnaires. Or l’art contemporain se trouve dans le paradoxe de dénoncer une logique de marché, un système auquel il participe pleinement. Un ministère fort peut aider à dépasser ces contradictions.
En 2015, la récession brésilienne a fait d’importants dégâts dans la sphère culturelle. À São Paulo, plus d’un tiers des « centres socioculturels » ont fermé entre janvier et avril. À Olinda (nord-est), un grand festival de musique a été annulé. La Bienal do Mercosul de Porto Alegre, deuxième événement d’art visuels du pays (après celle de São Paulo), a réduit la voilure pour privilégier les artistes locaux. Les ventes aux enchères du second semestre sont en forte baisse à Rio de Janeiro et São Paulo et le retour forcé aux valeurs sûres du modernisme brésilien n’augure aucun rebond pour 2016.
Dans un panorama sectoriel publié fin octobre, le journal O Estadão annonce une année 2016 équivalente, voire pire. Les fameux centres culturels du service du commerce (SESC, voir JdA n° 402, novembre 2013), fleurons de la démocratisation culturelle, souffrent d’un double mal. D’abord, leur financement repose sur un impôt proportionnel à la masse salariale et aux bénéfices des entreprises locales. Entre récession et chômage historique, le budget 2016 sera mécaniquement en baisse. Le gouvernement songerait même à alléger le prélèvement obligatoire historique, datant de 1946, qui en garantit la pérennité. Par ailleurs, qu’il s’agisse d’arts vivants ou d’arts visuels, les SESC sont victimes d’une monnaie brésilienne en chute libre : pour ces grands prescripteurs d’artistes étrangers et d’œuvres venues du monde entier, les cachets comme les frais d’expositions sont devenus inabordables.
La fin de la décennie dorée de la scène artistique brésilienne est marquée par la fermeture de la Casa Daros, programmée le 12 décembre à Rio (voir JdA n° 437, juin 2015). Cet édifice néoclassique avait rouvert au printemps 2013 après une coûteuse rénovation. Propulsé au sommet de l’avant-garde artistique de Rio, financé exclusivement par la richissime collectionneuse suisse Ruth Schmidheiny, le lieu qui comportait librairie, service éducatif et restaurant n’aura duré que deux ans pour une vingtaine d’expositions.
Seul rayon de soleil inespéré, le Musée d’art de São Paulo (MASP) retrouve de sa superbe. Après des années de déficit chronique et de baisse de fréquentation (voir JdA n° 414, juin 2014), la nouvelle direction a remis les comptes d’équerre et construit une solide programmation pour 2015-2016. Point d’orgue du renouveau, le directeur artistique Adriano Pedrosa a annoncé le retour à la scénographie historique, abandonnée il y a vingt-cinq ans : une seule grande salle, traversée de cimaises de verre, offrant des perspectives fascinantes sur les collections.
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Henrique Oliveira : « La crise se fait sentir dans la sphère culturelle du Brésil »
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Abonnez-vous dès 1 €Henrique Oliveira. © Photo : Stuart Watson.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°446 du 27 novembre 2015, avec le titre suivant : Henrique Oliveira : « La crise se fait sentir dans la sphère culturelle du Brésil »