PARIS
Après les annonces du choix de Lens (Pas-de-Calais) pour l’antenne du Louvre et de l’accord conclu sur trois ans avec le High Museum d’Atlanta, Henri Loyrette détaille ces projets.
Le Louvre II va s’installer à Lens. Pourquoi avoir finalement choisi cette ville ?
C’est un choix véritablement unanime du ministre de la Culture, du Premier ministre et du Louvre. Lens, qui offrait l’avantage d’un terrain magnifique, plus beau que ceux présentés par les autres villes candidates, permet, au cœur d’un territoire durement frappé par la crise économique et sociale, de s’installer dans une ville qui n’a aucune institution culturelle. Les villes du dernier carré, Valenciennes et Amiens, possèdent de magnifiques musées pour lesquels les municipalités ont fait beaucoup d’efforts. D’autres paramètres ont aussi été pris en compte comme celui d’un bassin de population important, qui nous permettra d’aller vers de nouveaux publics, des liaisons faciles non seulement avec Paris mais avec tout le nord de la France et l’Europe. Cette antenne a tout à la fois une vocation locale, régionale, nationale et internationale. La position de Lens est idéale de ce point de vue. Nous avons aussi pris en compte le bel appétit des élus locaux, qui ont déposé un excellent dossier.
Du temps de Jean-Jacques Aillagon, lorsque j’ai pensé à cette antenne du Louvre, nous étions convenus qu’elle devait être consubstantielle au Louvre, régie par le musée. Le patron de l’antenne est le président-directeur du Louvre, qui sera assisté d’un directeur à Lens pour assurer la bonne gestion de cet ensemble. Ce projet nous offre la chance d’une réflexion d’ensemble sur nos collections, sur notre politique des publics et sur des programmes nouveaux de médiation culturelle. L’antenne offre donc au Musée du Louvre la possibilité d’une réflexion commune et transversale.
Quels seront ces axes de réflexion ?
Compte tenu de la répartition des œuvres dans les différents départements par écoles, par techniques, etc., il est difficile d’avoir une vision compréhensive des collections du Louvre dans certains domaines, que ce soit au niveau chronologique ou géographique. Ce classement hérité du XIXe siècle a un très grand intérêt, mais il est bon aussi de pouvoir disposer d’une vision différente des collections. Les expositions temporaires du Louvre favorisent cette vision, mais Lens offre la chance d’aller un peu plus loin et de réfléchir ensemble sur ce que l’on peut faire, sur nos manques, sur la façon de les combler, d’avoir une vue plus globale des collections que nous conservons. Lens sera à tout point de vue un laboratoire extrêmement intéressant.
Quelles seront les œuvres exposées à Lens ?
Nous organiserons une présentation renouvelée de 600 à 800 œuvres importantes du musée, pour une durée de un à trois ans ; nous n’avons pas encore établi de programme précis. L’idée est de miser sur une transversalité qui peut être thématique à travers les 9 000 ans d’histoire des collections du Louvre. On pourra avoir une approche plus chronologique, par exemple la Renaissance à travers les collections du musée.
Avez-vous une idée du calendrier ?
Il va être fixé assez rapidement. Il y a plusieurs contraintes de calendrier comme celles liées à l’obtention de fonds européens ; mais cette antenne devrait être ouverte au début 2009. Nous sommes aujourd’hui, après la longue attente de la décision, tous prêts à partir.
Quel sera l’investissement en termes financiers pour le Louvre ?
Le financement en sera volontairement et délibérément assuré par les collectivités territoriales partenaires, c’était la condition posée par le ministère de la Culture. Mais le Louvre apporte à ce projet son ingénierie scientifique et culturelle, ses collections et son savoir-faire en matière d’expositions et de politique culturelle.
L’autre grand projet du Louvre concerne Atlanta où le musée va envoyer des œuvres. Quelles sont les modalités de votre collaboration avec le High Museum ?
Ce projet n’est pas comparable à Lens parce qu’il ne s’agit en rien d’une antenne. Il est né de la rencontre, au temps où j’étais au Musée d’Orsay, avec Michael Shapiro, le directeur du High Museum. Le projet d’Atlanta est lié à deux autres facteurs : les États-Unis restent notre partenaire principal. Nous travaillons toujours avec les mêmes institutions, qui sont principalement les grands musées de la Côte est, de Philadelphie à Boston, mais aussi avec Chicago, et sporadiquement, avec des musées comme Cleveland. La carte artistique des États-Unis change et nous ne nous sommes pas du tout adaptés à ces bouleversements. De nouvelles institutions grandissent comme Atlanta, Miami, Denver, Portland, Seattle, et veulent devenir partenaires du Louvre. Nous devons les prendre en compte. Second point, il y a nécessité, dans des moments difficiles, de renforcer les liens avec les États-Unis.
Ma réflexion avec le directeur du High Museum est née de la volonté de combiner toutes les facettes d’un musée actuel. Cela concerne principalement les collections, mais aussi toutes les activités inhérentes aujourd’hui à l’activité d’un grand musée, celles liées à l’auditorium, la recherche, ou tout ce qui s’appelle aux États-Unis « Education ». Nous nous sommes dit qu’il serait intéressant non pas de réaliser un one-shot, une seule exposition à Atlanta, mais d’essayer de combiner tous ces aspects sur un projet autour des collections, limité dans le temps à trois ans. Michael Shapiro avait un projet d’extension du High Museum de Richard Meier avec la construction par Renzo Piano de deux nouveaux petits bâtiments. Le directeur a proposé de confier l’un d’entre eux au Louvre, soit 700 m2, la moitié de la surface de l’espace d’exposition du hall Napoléon au Louvre. Au-dessus d’un hall impropre à la présentation des œuvres, deux étages offrent 350 m2. Sur trois ans s’y déroulera une série d’expositions. Les œuvres y seront présentées pour une durée normale d’exposition temporaire, variable entre trois et dix mois. Les œuvres les plus importantes et les œuvres d’art graphique partiront pour trois ou quatre mois. En termes de durée de prêt, nous sommes donc sur des normes internationales.
Quelle sera la programmation ?
Sur l’un des espaces de 350 m2, sera présentée sur dix mois, et en trois épisodes, l’histoire du Louvre depuis sa création à la fin du XVIIIe siècle, en concordance avec la naissance des États-Unis, jusqu’à nos jours. Le premier épisode est prévu à l’automne 2006. L’année suivante sera consacrée au Louvre du XIXe siècle, et notamment à l’essor des grands départements archéologiques. Enfin sera présenté le Louvre du XXe et du XXIe siècle, avec la création du département des Arts de l’islam, l’extension géographique des collections, la réflexion sur l’art contemporain. À chaque fois seront concernées entre 30 et 50 œuvres de tous les départements. Dans l’autre espace seront organisées des expositions-dossiers sur des thèmes comme les arts décoratifs à la fin du XVIIIe siècle, les collections royales de dessin, Houdon au Louvre, ou la collection d’antiques de Joséphine et Napoléon. Nous éditerons à cette occasion des publications en anglais et en français.
Qui en seront les commissaires ?
Les expositions seront organisées par les conservateurs du Louvre avec la collaboration de leurs homologues d’Atlanta. Il y a une excellente équipe de conservateurs là-bas et les projets seront toujours conduits en commun. C’est un partenariat de recherche et les expositions permettront de véritables avancées scientifiques. Nous ne jouons pas nécessairement une carte « facile ». C’est aussi la volonté de poser le musée comme centre de recherche, une idée qui m’est chère et que je développerai dans les prochains mois dans le cadre du nouveau contrat d’objectifs et de moyens.
Quelles seront les actions menées en direction du public ?
Nous présenterons des œuvres importantes, mais l’intérêt est de pouvoir développer autour de la programmation des outils pédagogiques. Nous organiserons dès l’automne 2005 des échanges d’élèves américains reçus dans des familles à Paris et vice versa, des universités d’été, des programmes pour l’auditorium. Nous prévoyons aussi la possibilité pour les conservateurs du Louvre d’aller travailler à Atlanta et dans l’ensemble des États-Unis. Toute une série d’opérations que nous ne pourrions pas monter dans le cadre d’une exposition qui ne durerait que trois mois.
Quelles seront les contreparties ?
Ces projets sont entièrement financés grâce au mécénat. Le High Museum lève avec nous le montant nécessaire à cette opération, qui comprend une part destinée à la rénovation des salles d’objets d’art du XVIIIe siècle du Louvre. Celles-ci doivent prochainement fermer pour des raisons de sécurité et leur muséographie doit être complètement revue. C’est un chantier estimé à 15 millions d’euros. Nous espérons réunir à Atlanta environ 10 millions de dollars. On ne saurait donc parler de location d’œuvres. Ce projet, qui a reçu l’approbation du conseil d’administration du Louvre et de la directrice des Musées de France, laquelle l’a qualifié de « déontologiquement irréprochable », est très intéressant pour les conservateurs des deux musées. Je ne connais pas de projet équivalent ; c’est un très lourd investissement pour nous. Nous le portons sur trois ans, mais il n’y a pas d’autres projets de ce type en gestation. En parallèle, nous développons des partenariats privilégiés avec les musées de Nantes, Lyon et Strasbourg. Autant concentrer notre action territoriale et réfléchir sur un temps long avec ces différentes institutions plutôt que de s’éparpiller.
La nouvelle politique tarifaire du Louvre suscite de nombreuses réactions, notamment de la part des artistes et des enseignants, qui ne disposent plus de la gratuité. Comment allez-vous réagir ?
La tarification du Louvre telle qu’elle a été remaniée récemment vise à donner la gratuité aux plus défavorisés et aux publics cibles. Sur les 6 millions de visiteurs annuels, plus de 2 millions (soit 100 000 de plus qu’en 2003) n’acquitteront aucun droit d’entrée : les moins de 18 ans, les visiteurs du premier dimanche du mois, les personnes en difficulté sociale (Rmistes, chômeurs…), les moins de 26 ans tous les vendredis soir, les étudiants en art... Il y a une importante extension du champ de la gratuité. Mais nous avons besoin de ressources. On ne peut pas parler de dérive commerciale quand un musée comme le Louvre programme cet automne des expositions consacrées à Primatice et à Rosso Fiorentino, ainsi que des manifestations pour les jeunes. Ces manifestations ont un coût élevé et ne dégagent que des ressources relativement faibles ; mais il est de notre devoir de poursuivre cette politique exigeante. Depuis le 1er janvier 2004, 20 % du droit d’entrée est par ailleurs consacré aux acquisitions. Il y a un juste partage entre nos ressources propres et l’effort considérable que fait toujours l’État. Nous avons voulu que la gratuité soit incitative pour les enseignants, qui bénéficiaient jusqu’à présent d’une gratuité totale : ils l’ont aujourd’hui pour un an renouvelable, s’ils amènent une classe au musée. Nous avons aussi créé une carte dite « professionnelle » à 30 euros par an, qui donne un accès illimité aux collections mais aussi à toutes les expositions temporaires dont la gratuité n’était auparavant pas acquise. En trois visites au Louvre, la carte est amortie.
Nous nous sommes donné aussi la possibilité de nouer des partenariats avec des institutions qui, en échange de leur participation active à notre politique vis-à-vis des publics défavorisés, bénéficieront de la gratuité. Je souhaite que cela soit possible avec la Maison des artistes dont l’apport pourrait être essentiel.
Vous faites rentrer l’art contemporain au Louvre. Quelle est votre ambition dans ce domaine ?
Mes prédécesseurs avaient déjà introduit l’art contemporain au Louvre à l’occasion d’expositions temporaires. C’est là une des grandes traditions de cette maison, et l’on pense à tous les artistes qui y ont travaillé, ce « grand livre » où Cézanne apprit à lire ; mais aussi aux interventions successives d’artistes, alors contemporains, dans des décors existants, Delacroix à la galerie d’Apollon ou Braque, en 1953, dans la salle Henri II. Nous avons, dans cette ligne, identifié de nouveaux lieux qui permettraient à des artistes de réaliser des œuvres pérennes. Ce projet me tient à cœur, mais manque encore pour l’instant son financement. L’intérêt de « Contrepoint » est de porter sur les collections permanentes, d’où des réactions contrastées, enthousiasme d’une part et réticences de l’autre. Beaucoup considèrent encore que l’art contemporain doit être à part et limité aux seules expositions temporaires.
L’art contemporain permet aussi d’attirer un nouveau public...
Nous réfléchissons beaucoup avec les conservateurs sur le fait qu’un grand nombre de visiteurs de proximité courent les événements et négligent les collections permanentes. Les faire revenir dans le musée est important tout comme leur faire redécouvrir les collections. De ce point de vue, « Contrepoint » marche de façon remarquable.
De nombreuses expositions importantes, comme « Le Greco » l’hiver 2003-2004, tournent dans les grands musées du monde sans venir au Louvre. Quelles en sont les raisons ?
Le Grand Palais a essayé de reprendre « Le Greco », mais trop tard. Le Louvre a été pendant un temps et dans certains domaines, comme celui des peintures, un peu en retrait par rapport aux grandes manifestations internationales. Il est temps de revenir sur le devant de la scène. On le montrera dès 2005 avec la grande exposition Girodet qui s’inscrit dans un circuit international, puisqu’elle ira ensuite à Cleveland, au Metropolitan Museum of Art à New York, et à Montréal. Le printemps 2006 sera marqué par la rétrospective Ingres alors que la remarquable exposition consacrée à Londres, Washington et New York aux « Portraits d’Ingres » n’était pas venue à Paris, ce que j’avais personnellement regretté. Ce sera la première grande rétrospective de l’artiste depuis celle du Petit Palais en 1967. Les projets suivants montrent que le Louvre reprend sa place dans le circuit des grandes expositions internationales.
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Henri Loyrette Président-directeur de l’établissement public du Musée du Louvre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°205 du 17 décembre 2004, avec le titre suivant : Henri Loyrette Président-directeur de l’établissement public du Musée du Louvre