POITIERS
La municipalité veut réinvestir le palais des ducs d’Aquitaine, laissé vacant après le départ de la cité judiciaire. La réflexion s’étend à l’inscription dans la ville de ce joyau du patrimoine.
Poitiers. C’est une enclave dans le centre historique de Poitiers, bien connue des justiciables poitevins, moins du grand public, totalisant 6 000 mètres en partie classés monument historique dès 1862. L’ancien palais médiéval des comtes du Poitou et ducs d’Aquitaine, devenu Parlement royal [cour de justice] au XVe siècle puis tribunal à la Révolution, va, pour la première fois de son histoire moderne, perdre son occupant historique. En effet, l’institution judiciaire déménage ses locaux dans un autre quartier de Poitiers. L’occasion de libérer la réflexion autour du bâtiment et, plus largement, de la place du quartier judiciaire dans la ville.
« C’est une opportunité sans précédent pour développer un projet patrimonial, culturel et urbain » : Alain Claeys, le maire (PS) de Poitiers depuis 2008, défend avec enthousiasme l’idée que la Ville s’engage dans une restructuration des lieux. Accompagné d’une partie de ses élus mais aussi d’Henri Loyrette, ancien président-directeur du Musée du Louvre, il est venu à Paris fin janvier exposer sa vision.
Ce joyau de l’architecture civile du Moyen Âge, dont la partie la plus connue est la salle des pas perdus construite à l’initiative d’Aliénor d’Aquitaine entre 1192 et 1204, est « un édifice majeur au regard de l’histoire de l’architecture en France, puisqu’il précède le palais [Jacques-Cœur] à Bourges ou le palais des Papes à Avignon », indique Jean-Marie Compte, adjoint délégué au patrimoine historique et à l’archéologie. Depuis 2016, l’équipe municipale planche sur la manière d’envisager le retour de l’édifice dans la ville.
Enclavé en raison des contraintes liées à sa fonction judiciaire, le palais a depuis longtemps été subtilisé au regard des habitants et sorti de l’espace public et urbain. « Le lieu n’est plus structurant pour la ville : il faut restructurer le parcours, créer des traversées, et pourquoi pas une troisième grande place dans le centre de Poitiers… », lance Bernard Cornu, adjoint délégué à l’urbanisme.
Pour épauler les élus, une personnalité de choix est invitée à présider le comité de pilotage aux côtés du maire : Henri Loyrette. « Pour moi, Poitiers est une histoire ancienne. On dit souvent que tout Parisien a sa province : Poitiers est ma province, explique l’ancien directeur du Louvre. C’est surtout une ville méconnue, un palimpseste de la mémoire au renouveau récent. »
Au premier semestre de cette année, la Ville procédera à l’acquisition définitive des lieux auprès de l’État et du Département de la Vienne. Dans la foulée, un appel à projets va être lancé dans le cadre d’un dialogue compétitif. Avec sa très grande surface d’espaces disponibles, l’idée d’une pluralité d’usages devrait s’imposer, comportant une majeure culturelle. D’ici à la fin de l’année, la municipalité espère que le comité aura sélectionné quatre projets finalistes.
Entre-temps, la Ville lance en octobre « Traversées », une manifestation d’art contemporain dont le commissariat a été confié conjointement à Emma Lavigne, directrice du Centre Pompidou-Metz, et à l’historienne de l’art Emmanuelle de Montgazon. Pour cette première édition, carte blanche est donnée à l’artiste sud-coréenne Kimsooja pour qu’elle s’empare du palais et de son quartier. Après les élections municipales, « l’équipe municipale retenue en 2020 choisira une équipe », précise le maire, lequel se représente pour un troisième mandat et fait ainsi du projet du palais un élément majeur de son programme électoral.
À Poitiers, la manœuvre (*) n’est pas passée inaperçue auprès des opposants à l’équipe municipale. Le chiffre de 65 millions d’euros, qui circule actuellement autour du projet de restructuration du palais et du centre historique, suscite déjà la polémique. Au sein du conseil municipal, l’opposition (LRM, centre) estime que le projet est trop onéreux et évoque d’autres urgences : les maisons de quartier, les musées, l’attractivité commerciale du centre-ville. Le collectif d’opposition « Osons Poitiers » (écologistes et extrême gauche) pose, lui, la question du choix artistique de « Traversées » : « Dans le domaine choisi de l’art contemporain, une affiche connue des initiés [Kimsooja] vaut-elle mieux que l’exploration, la dynamisation, la sollicitation des ressources locales ? »
Le projet des palais des ducs d’Aquitaine a lancé le début de la campagne municipale.
Poitiers, ville de culture
À Poitiers, la culture ne ronronne plus. La belle endormie dont Henri Loyrette signale « le renouveau récent» s’est réveillée il y a une dizaine d’années avec l’inauguration du Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP), labellisé « Scène nationale ». Le TAP fête cette saison ses 10 ans dans un bâtiment emblématique conçu par l’architecte portugais João Luís Carrilho da Graça. La Ville a réhabilité en 2017 les locaux accueillant le Confort moderne ; cette structure associative dévolue aux musiques et à l’art contemporain « rayonne bien au-delà de Poitiers grâce à sa friche culturelle », souligne le maire, Alain Claeys. La « villa Bloch », inaugurée le 9 février dans l’ancienne maison de l’écrivain communiste Jean-Richard Bloch (1884-1947), est appelée à devenir une résidence-refuge pour les artistes et écrivains internationaux en danger. Plus tard dans l’année, le Musée Sainte-Croix inaugurera ses réserves externalisées, libérant 1 000 mètres carrés au sein du Musée.
Francine Guillou
(*) Le mot « manœuvre » ne figurait pas dans le texte remis par l’auteur qui était le suivant : « A Poitiers, cela n’est pas passé … » Nous regrettons cette modification qui n’aurait pas dû être faite.
La rédaction du JdA.
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Poitiers, une révolution de Palais ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Poitiers, une révolution de Palais ?