ANGOULÊME
À la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, une exposition revient sur l’histoire de Futuropolis. Créée en 1974 par Étienne Robial et Florence Cestac, cette maison d’édition a donné ses lettres de noblesse à la bande dessinée.
Angoulême. Dans la salle principale de l’exposition « Futuropolis 1972-1994 : un éditeur aux avant-gardes de la bande dessinée », présentée à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, des portraits photographiques en noir et blanc alternent avec des planches originales. Leur succession a de quoi donner le tournis. Tardi, Enki Bilal, Edmond Baudoin, Martin Veyron, Loustal, Jean-Christophe Menu, Willem, Joost Swarte et d’autres s’y affichent comme autant de trophées, et soulignent par leur seule présence l’ampleur de l’aventure qu’a été Futuropolis.
Créée en 1974, la maison d’édition parisienne a en effet marqué d’une empreinte décisive la bande dessinée, en contribuant à la faire passer du rang de sous-genre pour enfants et collectionneurs à celui de 9e art. Une évolution liée en grande partie à l’engagement et l’(hyper)activité de ses fondateurs, Étienne Robial et Florence Cestac. Ce couple à la ville disposait sans doute de solides atouts pour mener à bien une telle entreprise : lui est diplômé des Beaux-Arts de Rouen et a complété sa formation de graphiste à l’École des arts et métiers de Vevey (Suisse) ; elle a fait les Beaux-Arts et les Arts déco avant de commencer une carrière d’illustratrice. Pour boucler les fins de mois après leurs études, ils chinent. C’est d’ailleurs aux Puces qu’ils tombent par hasard sur Denis Ozanne, un ami d’enfance. Ensemble ils reprennent une librairie spécialisée dans la bande dessinée. Nommée Futuropolis d’après un album de René Pellos, elle est située rue du Théâtre dans le 15e arrondissement de Paris.
À part Tintin, les trois associés ignorent à peu près tout du secteur. Ils se forment auprès de Robert Roquemartine, ancien propriétaire des lieux, mais aussi sur les marchés aux puces et au festival de Lucca en Italie. Nantie d’un nouveau logo conçu par Étienne Robial et d’une mascotte à gros nez, Harry Mickson, signée Florence Cestac, la librairie draine bientôt un nombre croissant de collectionneurs et d’auteurs, auxquels se joignent même quelques stars : Eddy Mitchell en est un client régulier, tout comme Pierre Lescure, qui associera par la suite Étienne Robial au lancement de la chaîne Canal+.
Il faut dire que Futuropolis se singularise d’emblée par la diversité de son offre : « C’était le paradis, se souvient Jean-Pierre Mercier, co-commissaire de l’exposition angoumoisine avec Catherine Ferreyrolle. Les ouvrages venaient de partout, même des pays les plus inimaginables. C’était aussi le seul endroit où l’on pouvait trouver des comics en édition originale. » En plein bouillonnement culturel post-68, Futuropolis reflète aussi l’évolution de la bande dessinée vers un lectorat adulte – évolution dont atteste la création au cours des années 1970 des revues L’Écho des Savanes, Fluide glacial et Métal hurlant, ou encore la publication des planches de Gilbert Shelton, Robert Crumb ou Art Spiegelman dans le magazine Actuel. « On est sortis des rayons pue-la-pisse des gamins, où les livres étaient classés par superhéros alors que les nôtres étaient rangés par auteur », confirme Étienne Robial avec sa gouaille habituelle.
Bientôt, cette volonté de donner à la bande dessinée ses lettres de noblesse insuffle au trio le désir d’éditer quelques classiques du genre. En 1974, il s’attelle à la publication de trois épisodes de « Patamousse » par Calvo, illustrateur génial disparu en 1957, et un peu oublié depuis. Afin de rester au plus près de la série originale, l’équipe de Futuropolis opte pour un format très inhabituel à l’époque : le 30 x 40cm. Entre autres ruptures avec les conventions d’usage, l’ouvrage met en relief le nom de l’auteur plutôt que celui du héros et choisit le noir et blanc. « Alors que la bédé ne se concevait qu’en 48 pages, cartonnée, couleur, nous venions de créer un ovni », résume Florence Cestac dans La Véritable Histoire de Futuropolis (éd. Dargaud, 2007).
La publication de Calvo marque l’acte de naissance de la maison d’édition, et avec elle de la collection « 30/40 », où s’illustreront bientôt Tardi, Jean Giraud, Vaughn Bodé, Crumb ou Bazooka. Ce virage signe le départ de Denis Ozanne, mais voit Futuropolis s’agrandir. D’autant plus que pour mieux maîtriser toute la chaîne du livre, ses fondateurs se font diffuseurs/distributeurs, attachés de presse et, à l’occasion, commissaires d’exposition et organisateurs de matchs de foot. « On a été jusqu’à 29 salariés », note Étienne Robial. À la collection « 30 x 40 » viennent d’ailleurs bientôt s’ajouter « Copyright », qui réédite des classiques en format à l’italienne, « X », consacrée aux jeunes espoirs, ou encore « Futuropolice », axée sur le polar. Outre sa politique d’auteurs, Futuropolis porte un grand soin à la réalisation et à la fabrication, et manifeste l’ambition de publier de « beaux livres ». Cette particularité joue au moins autant que son catalogue dans son succès.
Parallèlement, Étienne Robial développe son activité de graphiste et cofonde la société On/Off. Il conçoit l’habillage visuel de Canal+, du Centre national du cinéma, du PSG et le logo de M6. Florence Cestac gère de plus en plus seule l’activité éditoriale, malgré la naissance de son fils. Jusqu’à ce qu’un double coup de massue ne précipite la fin de l’aventure. En 1988, Étienne Robial ne peut plus faire face aux créances de la maison d’édition. Il est contraint de la céder à Gallimard, ce qui vaudra au moins à Futuropolis de publier son best-seller : Le Voyage au bout de la nuit de Céline illustré par Tardi. Mais les déboires conjugaux remplacent bientôt les problèmes financiers : en proie au « démon de midi » (selon le titre d’un album signé Florence Cestac), Étienne quitte Florence. « La cassure de notre couple a mis fin à l’histoire de la maison d’édition », raconte-t-il. Son ex-compagne continue quelque temps à travailler pour Futuropolis, mais le cœur n’y est plus. Elle quitte la société, suivie par Étienne Robial en 1994.
À la fin de La Véritable Histoire de Futuropolis, elle rapporte une anecdote révélatrice, qui a lieu alors qu’elle a donné sa démission : « Avant de partir, j’ai croisé la bande à “Menu” dont quelques membres avaient déjà été publiés en collection “X”. Ils bricolaient avec Étienne une nouvelle revue, Labo. » Ce qu’elle décrit n’est rien moins qu’un passage de relais : dans la foulée, Jean-Christophe Menu et sa bande fonderont la maison d’édition L’Association, véritable bol d’air frais dans la dessinée française. La grande époque de « Futuro » peut prendre fin, la relève est assurée.
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Futuropolis : histoire d’une bande décidée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : Futuropolis : histoire d’une bande décidée