L’artiste américain au minimalisme « baroque » s’est éteint à l’âge de 87 ans.
New York.« You see what you see » (« ce que vous voyez est ce que vous voyez »). Cette formule percutante est devenue le mantra de l’art de la seconde moitié du XXe siècle. Cette courte phrase, prononcée par Frank Stella en 1961, est pratiquement le manifeste du minimalisme, dont Stella fut l’un des précurseurs. Cette forme radicale de l’abstraction géométrique, cherche à éviter toute interprétation métaphorique de l’œuvre.
L’artiste, mort le 4 mai à New York, est né en 1936 dans le Massachusetts. C’est encore dans cet État, à la Phillips Academy à Andover, qu’il commence ses études avant de les poursuivre à l’université de Princeton (New Jersey). Nous sommes dans les années 1950, au cours desquelles le paysage artistique américain est dominé par l’expressionnisme abstrait. Si, à ses débuts, Stella n’est pas indifférent à la peinture de Willem De Kooning ou de Franz Kline, rapidement il prend ses distances avec cette forme d’expression, la remplaçant par un détachement dépourvu de toute émotion. Il faut aussi mentionner Jasper Johns, dont l’œuvre a eu un impact important sur le tournant de Frank Stella.
En 1959, dans son atelier new-yorkais, il se met à peindre des toiles noires, ses « black paintings », des surfaces recouvertes de noir laissant apparaître des lignes de toile laissées vierges. Difficile de trouver une meilleure explication à ces œuvres que celle fournie par Carl Andre, un autre artiste minimaliste : « L’art exclut le superflu, ce qui n’est pas nécessaire. Pour Frank Stella, il s’est avéré nécessaire de peindre des bandes. […] Frank Stella n’est pas symboliste. Ses bandes sont les chemins qu’emprunte le pinceau sur la toile. Ces chemins ne conduisent qu’à la peinture. » (1)
Ces chemins, incontestablement, mènent Stella à la reconnaisance. Repéré par le MoMA, il participe déjà en 1959 à l’exposition « Sixteen Americans ». Le musée new-yorkais achète d’ailleurs The Marriage of Reason and Squalor, une toile de cette année-là. Puis Stella fait son entrée dans la toute-puissante galerie Leo Castelli. Si son style ne varie pas, la principale nouveauté réside dans la technique du « shaped canvas », qui consiste à peindre sur des toiles dont le châssis présente une forme autre que celle du rectangle conventionnel. Les différents formats géométriques – cercles, demi-cercles, étoiles – ainsi que l’épaisseur inhabituelle de ces châssis en font des objets tridimensionnels, reliefs ou sculptures. Ainsi, il est impossible de comprendre l’œuvre d’Ellsworth Kelly, entre autres, si l’on ignore l’approche de Stella.
À partir des années 1970, sa production artistique s’éloigne de l’esthétique sévère du minimalisme et devient de plus en plus décorative. Qui plus est, l’artiste renonce au principe de la planéité et réalise des assemblages dits « baroques », composés de bandes d’aluminium polychromes entrelacées avec des plaques de métal découpées, le tout placé sur une grille ou un autre type de support. Rétrospectivement, on peut parler de postmodernité avant l’heure ou de liberté extrême. Il n’en reste pas moins que ces œuvres évitent difficilement d’être qualifiées de « kitsch ». Mais Frank Stella se permettait tout ; il savait que sa place dans le panthéon artistique était assurée.
(1) In catalogue de l’exposition collective « Sixteen Americans », MoMA, New York, 1959.
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Frank Stella (1936-2024)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : Frank Stella (1936-2024)