Éric Turquin est expert en tableaux à Paris. Spécialisé dans la peinture française, il exerce son activité depuis ses bureaux de la rue Sainte-Anne et travaille notamment pour de nombreux commissaires-priseurs, à Paris et en province. Il commente l’actualité.
Avec la réforme des ventes publiques en France a été mis en place un nouveau statut des experts. Que pensez-vous de l’agrément du Conseil des ventes ?
J’y suis très favorable dans la mesure où cela répond à de vieilles demandes. Nous souhaitions revenir à un statut assez proche de celui qui été supprimé par le décret de 1985. Jusqu’à cette date, il y avait des listes d’experts agréés par la Compagnie des commissaires-priseurs avec un code de déontologie qui nous interdisait d’acheter ou de vendre dans nos ventes. Nous étions tous un peu inquiets de voir une mainmise de l’État, ce qui est toujours un danger en France. En fait, la composition du Conseil des ventes, avec une minorité de fonctionnaires, nous encourage plutôt. Mais, je ne comprends pas pourquoi il y aurait une véritable taxe parafiscale pour les experts. On nous dit que 0,75 % des honoraires, ce n’est pas beaucoup, mais cela me paraît énorme. Et nous n’en voyons pas la justification, d’autant plus que les membres du Conseil font leur travail bénévolement. Tant que ce problème n’aura pas été revu, je ne demanderai pas à être agréé par le Conseil des ventes. La plupart des grands cabinets ne l’ont pas fait non plus. Et au fond, cela fonctionnera plutôt pas mal, puisque le Conseil des ventes sera là pour surveiller et sanctionner les francs-tireurs.
N’y a-t-il pas un paradoxe à créer un statut qui n’est pas obligatoire ?
Cela fait partie d’un contexte politique au sens large de gestion de la cité. Le courage manque de plus en plus et la façon dont ce dossier d’ouverture du marché français a été gérée est terriblement révélatrice. Dans un premier temps, il n’y avait pas de place pour les experts. Il faut rappeler que le système de l’expertise indépendante est la colonne vertébrale du système français. Elle existe depuis le XVIIIe siècle. Ce sont les experts qui ont été l’âme des ventes publiques, ils ont fait la notoriété du marché parisien. On se souvent tous aujourd’hui des Mariette, des Lebrun, des Paillet... Le fait que ces experts étaient indépendants, avec un statut de profession libérale, avec une obligation automatique d’assurance, était une des gloires du marché français. Dans la première mouture de la loi, on ne parlait pas des experts. Nous avons eu la chance que la présidente Annette Vinchon-Guyonnet nous ait défendus très efficacement. Dans toute cette histoire, la France a été à contre-courant. Elle a fait de la résistance, mais il n’y a jamais eu une capacité de proposer quelque chose de précis et d’efficace qui nous permette de concurrencer les Anglais. Les maisons de vente étrangères se sont engouffrées dans la brèche et n’ont joué que leur rôle.
Une étude sur le marché de l’art européen vient d’être rendue publique à Tefaf Maastricht. Les auteurs de ce rapport pointent le droit de suite et la TVA à l’importation comme freins du marché européen. Qu’en pensez-vous ?
Nous retombons sur ce problème de courage. Tout le monde dit qu’il faut encourager le marché de l’art, qu’il fait vivre de nombreux artisans, des encadreurs, des transporteurs, des assureurs… C’est le prestige de Paris, de Londres. Mais en réalité, on a créé cette usine à gaz invraisemblable qu’est le droit de suite des artistes, qui fait vivre les percepteurs de cette quasi-taxe. Les seuls qui en profitent vraiment sont les héritiers de grands artistes comme Picasso. L’enfer est pavé de bonnes intentions et l’idée que l’artiste puisse vendre son tableau deux fois est formidable dans le principe, mais son application est une catastrophe pour le marché.
Ce rapport se termine sur Unidroit.
Je m’intéresse à Unidroit comme tous les acteurs du marché de l’art. Je suis terrifié à l’idée que la France puisse ratifier Unidroit et surtout qu’elle puisse le faire avant tout le monde. On va mettre un boulet sous les pieds des commerçants français. Quelle va en être l’application pratique ? Elle va renverser la charge de la preuve et déstabiliser un peu plus les rares collectionneurs qui veulent rester en Europe et qui affrontent la TVA à l’importation, le droit de suite, les plus-values... Si cela continue, ce sera nous qu’il faudra protéger, et c’est le marché de l’art tout entier qui va se délocaliser. C’est d’ailleurs ce qui se passe. On le pousse à grands renforts vers les États-Unis. Nous avons même réussi à faire accepter aux Anglais notre système. Le marché est en train de glisser de Londres à New York. Je ne vois pas très bien l’intérêt patrimonial dans tout cela, ou en tout cas, il est vraiment à très court terme. Unidroit vient d’une idée formidable, qu’il faut rendre aux pays africains leur patrimoine. Mais on se rend compte que quand nos autorités culturelles sont en face d’un véritable problème, elles concluent des accords pas très courageux, comme avec le Nigeria. Nous allons garder les statues pendant vingt-cinq ans. Et après, on les renverra là-bas sans aucune garantie sur la façon dont elles vont être stockées. Nous cachons notre mauvaise conscience, nous Français, héritiers de Napoléon et du Muséum, par des actions tonitruantes très brillantes sur le papier, mais qui sur place créeront vraiment des obstacles supplémentaires aux pauvres collectionneurs.
Il reste que la plus grande foire d’antiquités au monde a lieu en Europe, à Maastricht. Vous y êtes allé. Quelles sont les œuvres présentées qui vont ont marqué ?
Je dirais d’abord qu’elle est en Europe, mais dans un des pays les plus libéraux en matière de circulation des objets d’art, la Hollande. C’est grâce à cela que Maastricht s’est développée, mais aussi grâce au marchand Robert Noortman qui porte cette foire depuis vingt-cinq ans sur ses larges épaules. Tous les ans, Tefaf s’améliore. C’est devenu la foire de référence en Europe par une organisation impeccable. Mais aussi, ce qui lui a donné cette force, c’est l’expertise. La commission d’expertise de Maastricht est l’une des plus difficiles au monde et c’est ce que les acheteurs recherchent. Ce ne sont pas les marchands de Maastricht qui font l’expertise de leurs propres objets. Ce sont des gens indépendants et il n’y a pas d’expertise sans indépendance. J’ai trouvé l’édition 2002 formidable. Il y avait plusieurs tableaux français admirables, un paysage de Boucher avec des lavandières, un paysage de Fragonard, une petite nature morte de Linard, un Philippe de Champaigne... Il faut encourager Maastricht si l’on veut vraiment enrichir le patrimoine.
Le Salon du dessin vient de s’ouvrir. Est-ce un événement que vous fréquentez ?
J’y vais en tant qu’amateur parce que je ne suis pas spécialiste de dessin. Le Salon du dessin est aussi l’exemple de ce que l’on peut faire. C’est peut-être plus facile dans le dessin qui est un milieu plus feutré, où les gens sont plus entre eux, où les échanges économiques sont moins importants. Dans les tableaux, il ne serait pas facile de faire la même manifestation, avec ce niveau de qualité, avec cette exigence. Beaucoup de gens vont découvrir le dessin, l’art, le fait que l’on peut acheter une œuvre avec 3 ou 4 000 euros, c’est ce qu’il faut encourager. En plus, cela ne coûte rien à l’État mais, au contraire, lui rapporte.
Une exposition vous a-t-elle particulièrement marqué dernièrement ?
J’ai beaucoup aimé “Chassériau”. J’ai trouvé l’exposition du Grand-Palais bouleversante, avec un artiste très peu connu et qui mériterait de l’être, dans un accrochage extraordinaire avec ces jeux de velours. Un véritable effort a été fait pour resituer ces tableaux non pas dans un contexte moderniste, mais en cherchant à faire comprendre dans quels milieux ils avaient été faits. L’accrochage, surtout au rez-de-chaussée, a fait revivre des tableaux comme la Suzanne au bain que nous avions tous vue au Louvre. Nous l’aimions, mais ici nous l’admirons. De pouvoir voir la Naissance de Vénus à côté de la petite esquisse, comparer l’œuvre finie à cette petite composition liquide, comme une aquarelle, c’est une fête pour les yeux. J’ai beaucoup aimé “Chassériau”.
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Éric Turquin - Expert en tableaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°145 du 22 mars 2002, avec le titre suivant : Éric Turquin - Expert en tableaux