BAGDAD / IRAK
S'offrir une tablette en argile vieille de plus de 3 000 ans avant notre ère est relativement facile et bon marché via Internet, au risque d'alimenter le trafic d'antiquités dans un Irak miné par l'insécurité et la corruption.
Sur liveauctioneers.com, un site de vente aux enchères, la « tablette sumérienne en terre cuite » est mise à prix à environ 550 livres (645 euros) et appartiendrait « à un gentleman du Sussex », dans le sud-est de l'Angleterre. La pièce, qui comporte des traces d'écriture cunéiforme - l'écriture la plus vieille du monde -, « faisait partie d'une collection appartenant à un résident de Londres », avant 1992, toujours selon le site.
Il est toutefois difficile d'avoir la certitude que le petit objet d'à peine 70 grammes n'a pas été dérobé dans l'Irak actuel, là où s'élevait l'empire de Sumer au IVe millénaire av. J.-C. Chez le Britannique TimeLine Auctions, maison-mère du site liveauctioneers.com, on dit être conscient du « problème de la contrebande » de biens culturels. Mais « nous investissons beaucoup d'argent et d'efforts pour éliminer les risques », indique à l'AFP Chris Wren, un responsable.
L'Irak, qu'ont foulé Sumériens, Assyriens et Babyloniens, est une terre de choix pour les contrebandiers. Les sites archéologiques y fourmillent et avec eux « les exhumations aléatoires » menés par les trafiquants, comme l'explique Laïth Majid, directeur du Conseil irakien des Antiquités et du Patrimoine, un organisme étatique.
« Nous n'avons pas de statistiques sur le nombre d'antiquités qui ont fait l'objet de contrebande » en provenance d'Irak, précise M. Majid. Mais la corruption et l'avènement de groupes armés aux obédiences diverses ont favorisé ce juteux trafic. Prenez ce site du sud de l'Irak, où les civilisations sumérienne et babylonienne ont prospéré. Son gardien, dont l'identité et le lieu de travail ne peuvent être révélés par crainte pour sa sécurité, dit avoir surpris à de multiples reprises des trafiquants. « Un jour, j'ai vu un camion arriver avec trois hommes armés. Ils ont commencé à creuser et quand je les ai interpellés, ils ont tiré en l'air et m'ont crié : "tu te crois chez toi, ici ?" », raconte-t-il.
Le manque de moyens mis en place par les autorités pour la protection des sites archéologiques est criant en Irak, où 40 % des 40 millions d'habitants vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Par l'Iran, vers le Golfe
Les sites se concentrent autour de Kout, Samawa et Nassiriya, dans le sud du pays. De là, les contrebandiers acheminent leur butin vers les marais du sud et Amara, ville située non loin de l'Iran qui est devenue la « plaque tournante du trafic d'antiquités », explique un archéologue irakien qui souhaite rester anonyme.
La plupart des antiquités volées traversent la frontière vers l'Iran avant de prendre la route de la mer, à bord de « bateaux de pêche vers les pays du Golfe », dit-il. Un autre itinéraire traverse le désert de l'ouest de l'Irak jusqu'aux frontières jordanienne, syrienne et turque. Une source gouvernementale irakienne assure que le trafic alimente les réseaux criminels dans un pays où les groupes armés, dont certains sont proches de l'Iran, ont fortement gagné en influence. La corruption des agents de l'Etat, mal payés, joue aussi un rôle. Selon le classement de l'ONG Transparency International, l'Irak est l'un des pays les plus corrompus au monde.
Lorsqu'il occupait de larges pans du territoire irakien entre 2014 et 2017, le groupe Etat islamique a, lui, saccagé des dizaines de trésors pré-islamiques au bulldozer, à la pioche ou à l'explosif. A l'instar du site de Nimrod, joyau de l'empire assyrien fondé au XIIIe siècle avant J.-C., situé en dehors de Mossoul, dans le nord de l'Irak.
Les jihadistes « ont aussi pratiqué la contrebande. Cela leur a rapporté de l'argent, mais cela a davantage affecté les régions de Syrie », où l'EI était présent, fait valoir un expert européen en sécurité sous couvert d'anonymat.
Selon un rapport publié en 2020 par l'ONG Global Initiative Against Transnational Organized Crime, « sur les revenus annuels de l'EI, estimés à entre 2,35 et 2,68 milliards de dollars, 20 millions de dollars provenaient du trafic d'antiquités et de la taxation » des contrebandiers, en 2015.
Il y a quelques semaines, les Etats-Unis ont rendu à l'Irak 17 000 pièces archéologiques datant de près de 4 000 ans et pillées au cours des dernières décennies. S'il salue cet effort, le responsable gouvernemental interrogé par l'AFP estime que le problème « se situe dans les pays voisins » de l'Irak, complices de ce trafic, selon lui. « L'Etat irakien est faible. Les pièces archéologiques ne sont pas une priorité pour lui », conclut-il.
Cet article a été publié par l'AFP le 23 août 2021.
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En Irak, un juteux trafic d'antiquités, alimenté par la corruption et l'insécurité
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