De par leur nature évolutive, ces institutions arriveront-elles à suivre les bouleversements socio-économiques des territoires dont elles dépendent ?
Nés dans les années 1970 pour sauvegarder le patrimoine rural menacé par une urbanisation galopante, les écomusées ont aussi été créés en opposition au musée des beaux-arts et à une conception élitiste de la culture. Ses inventeurs, Georges-Henri Rivière, fondateur du Musée national des arts et traditions populaires (ATP), et Hugues de Varine, ancien directeur de l’ICOM (International Council of Museums, Unesco), y introduisirent la notion d’objet témoin, avec pour toile de fond le développement durable et les débuts de l’écologie – d’où le nom d’« écomusée ». Peu à peu ouvert au monde industriel et citadin (afin toujours de préserver un patrimoine en danger), les écomusées, tout en étant de véritables lieux d’expérimentation pour l’ethnologie française, ont été conçus pour et avec le public. Lors de l’inauguration de l’un des premiers, au Creusot-Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), Hugues de Varine lança en 1974 sa célèbre formule : « La communauté tout entière constitue un musée vivant dont le public se trouve en permanence à l’intérieur. Le musée n’a pas de visiteur, il a des habitants. »
Aujourd’hui, si la notion d’écomusée connaît un véritable engouement en Europe (notamment en Italie ou au Portugal) et commence à intéresser des pays comme la Chine et le Brésil, elle souffre en France d’une image poussiéreuse, voire nostalgique. « Nous ne sommes pas un écomusée : nous ne sommes pas passéistes, mais bien en phase avec le monde contemporain », déclarait récemment un conservateur préférant qualifier son établissement de « musée de société » – apparu il y a une dizaine d’années, ce terme regroupe les musées plus attachés à la constitution d’une collection qu’à un espace géographique précis. Ancienne directrice du Centre d’ethnologie française rattaché au Musée des ATP, Martine Segalen (lire le JdA no 217, 10 juin 2005) considère pour sa part que « la grande période du patrimoine ethnologique, que l’on peut situer entre 1985 et 1996, étant désormais refermée », la plupart des « musées de société ou autres écomusées » sont aujourd’hui en crise. Des propos aujourd’hui communément partagés, auxquels s’oppose Julie Guiyot-Corteville, présidente de la Fédération des écomusées et des musées de société (FEMS), réseau national de ce type d’établissements, née en 1989. « S’il est de bon ton dans l’intelligentsia parisienne de dire que les écomusées sont en crise, la situation est, de fait, beaucoup plus complexe. Nous sommes plutôt dans une deuxième révolution culturelle. Si les écomusées ont l’air nostalgiques, c’est parce qu’ils ne sont plus novateurs, explique-t-elle. Mais il ne faut oublier tout ce qu’ils ont apporté : la nouvelle scénographie, le musée hors les murs, la présence de la photographie... Tous les musées ont repris à leur compte ces concepts ! Les écomusées doivent entamer une seconde vie, mais c’est très difficile de suivre une société toujours en mouvement. » Quitte à s’interroger sur le vocable d’« écomusée ». Plus que l’institution, protéiforme par nature, c’est son appellation qui apparaît plutôt aujourd’hui en crise.
En pleine redéfinition
La qualification d’« écomusée » n’étant pas protégée, il est délicat de précisément les définir et les dénombrer. La FEMS, qui regroupe 140 adhérents correspondant à 220 établissements, estime leur nombre à environ 300 en France. Parmi eux, la moitié sont des institutions associatives – composées d’un noyau de professionnels avec des bénévoles –, l’autre moitié dépendant des collectivités territoriales, avec seulement deux institutions nationales, le futur Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, ex-ATP), à Marseille, et le Musée du sport au Parc des Princes, à Paris. Parmi ces 220 établissements, 48 % sont labellisés « Musées de France ». Édith Orlando-Kosik, directrice de la FEMS, reconnaît que « les écomusées sont en pleine redéfinition », mais souligne le fait qu’« ils attirent toujours autant de visiteurs », soit 4 millions de personnes par an – avec une moyenne de 15 000 visiteurs annuels par établissement – , des chiffres stabilisés depuis 2002. Conscients des bouleversements socio-économiques des territoires dont ils dépendent, un certain nombre d’entre eux ont déjà entamé une réflexion sur leur identité. Ainsi du Musée de l’histoire du fer, à Nancy, né en 1966 dans le contexte de la Lorraine sidérurgique, ou de l’Écomusée du pays de la Roudoule à Puget-Rostang (Alpes-Maritimes), un lieu associatif créé il y a vingt ans en plein exode rural, qui vient de lancer une grande étude sur les nouvelles populations. D’autres établissements traversent, à n’en pas douter, une crise réelle, à l’image de l’Écomusée du Creusot-Montceau-les-Mines. « Le musée paye son caractère évolutif et expérimental. Son système d’autogestion s’est essoufflé », admet Julie Guiyot-Corteville. Pris dans la tourmente d’affrontements politiques locaux, le musée a dû licencier plusieurs salariés et s’apprête à se séparer très prochainement de son directeur, tandis qu’un audit sur l’institution et un rapport de la direction des Musées de France (DMF) devaient être bouclés d’ici à la fin juin.
La professionnalisation de ces établissements militants, conçus souvent par des acteurs locaux bénévoles, a aussi posé problème. L’association fondatrice de l’Écomusée du Marais breton a ainsi abandonné le site en 1999. « Nous avons décidé de concentrer nos activités autour, d’une part, de la valorisation de l’architecture traditionnelle, avec l’ouverture d’un centre de ressources et de formation, et, d’autre part, de l’environnement, de concert avec des agriculteurs et universitaires qui peuvent travailler sur notre site. Nous respectons les principes de l’écomusée mais sous une forme plus professionnelle », estime sa directrice Caroline Lethuillier. D’autres établissements, comme l’Écomusée d’Alsace, qui vient de fêter ses vingt ans, le Musée de la Bresse (Ain) (lire l’encadré) ou le Musée dauphinois à Grenoble (Isère) affichent une santé de fer. Mais ces institutions sont soutenues par des collectivités actives (l’Alsace, le Nord-Pas-de-Calais, la Bretagne et le Dauphiné) ; certaines, moins chanceuses, risquent de disparaître faute de moyens. Pourtant, les écomusées représentent un fort potentiel pour développer le tourisme, comme l’ont compris certains élus. « Finalement, aujourd’hui, les écomusées sont enfin pris pour ce qu’ils sont vraiment : un outil au service du développement du territoire, note Édith Orlando-Kosik. Pour donner un sens à des structures comme les communautés de communes (nées dans une logique purement technique et économique), les élus doivent passer par la culture et le patrimoine. C’est tout l’enjeu des écomusées : donner une cohérence à ces nouvelles échelles. » La directrice de la FEMS admet cependant qu’il faut se méfier de toute tentative d’instrumentalisation. « Les écomusées pourraient accompagner les politiques dans la réflexion sur l’évolution du territoire et de la société », renchérit Julie Guiyot-Corteville.
Il faudrait que les crédits suivent… « Le désengagement croissant de l’État a un effet de vases communicants : les collectivités sont obligées de faire des choix, et pas toujours en faveur de la culture », déplore un conservateur. À la direction des Musées de France (DMF), on conseille aux écomusées de se tourner vers l’Europe et le mécénat. Bref, pas de crédits supplémentaires à l’horizon pour ces institutions dont le renouvellement est pourtant la condition sine qua non de leur survie
Implanté sur l’ancien domaine des Planons, à Saint-Cyr-sur-Menthon (Ain), le Musée de la Bresse a ouvert ses portes en 1995, après la restauration de l’ensemble classé de cinq corps de ferme témoignant de l’évolution de la construction rurale bressane entre les XVe et XIXe siècles. Inaugurée le 25 juin, une extension contemporaine va permettre à l’institution d’exposer l’ensemble de ses collections, parmi lesquelles figurent d’importants émaux bressans. Démarrés en 2002, les travaux, pour un montant de 6 millions d’euros, offrent 1 300 m2 de surface d’exposition supplémentaire. Le bâtiment épouse au mieux son environnement grâce à des volumes partiellement enterrés et à une toiture en-tièrement végétalisée. La scénographie, particulièrement vivante avec ses multiples vitrines, bornes multimédia, vidéos, jeux de lumière et structures amovibles, permet aux visiteurs de s’approprier le musée et de choisir leur propre parcours. Le Musée de la Bresse offre un bel exemple de musée de société moderne et attractif, en phase avec son époque, mais qui n’a pas souhaité opter pour l’appellation d’« écomusée »... Musée de la Bresse, domaine des Planons, Hameau de la Mulatière, 01380 Saint-Cyr-sur-Menthon, tél. 03 85 36 31 22.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Écomusée, une appellation en crise
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Fédération des écomusées et des musées de sociétés (FEMS), 2 avenue Arthur Gaulard, 25000 Besançon, tél. 03 81 83 22 55, www.fems.asso.fr
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°218 du 24 juin 2005, avec le titre suivant : Écomusée, une appellation en crise