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Quand les chiens pointent leur museau au musée

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 15 août 2023 - 1018 mots

Les vacanciers doivent souvent choisir entre séjours culturels et sorties à partager avec leur animal de compagnie, en l’occurrence leur chien. Quelques initiatives récentes permettent de concilier les deux activités.

Des chiens et leur maître visitent l'exposition « Paris Animal » au Pavillon de l'Arsenal. © Camille Gharbi.
Des chiens et leur maître visitent l'exposition « Paris Animal » au Pavillon de l'Arsenal
© Camille Gharbi.

Sur les murs du Pavillon de l’Arsenal, un parcours en textes et en images retrace l’histoire de la place des animaux dans Paris, de l’époque gallo-romaine à nos jours. Mais au sol, c’est à une visite de nature olfactive, composée des traces d’odeurs laissées par les visiteurs précédents – et imperceptibles pour les humains – qu’Enid se livre. Exceptionnellement, cette petite podenca espagnole âgée de 9 mois a pu accompagner son maître dans l’une de ses nombreuses visites muséales : « Vos animaux de compagnie sont les bienvenus ! », annonce fièrement le Pavillon de l’Arsenal dès l’entrée. « Quand on fait une exposition, l’institution doit s’engager, ce ne doit pas être juste de l’affichage, explique Marion Waller, directrice de l’institution parisienne. Avec l’exposition “Paris Animal”, notre message c’est qu’il faut mieux intégrer les animaux dans la ville. La première chose que l’on pouvait faire, c’est aller au bout de l’idée et permettre aux animaux de venir ici ! »

Une première sans doute dans le paysage des expositions parisiennes, si l’on met de côté le cas particulier des chiens guides aidant les personnes malvoyantes, mais aussi les chiens d’assistance des personnes en situation de handicap psychique, des animaux toujours acceptés. Accessible jusqu’au 3 septembre aux humains comme à leurs compagnons animaux (excepté les serpents et les chiens dits « d’attaque », précise le règlement de visite allongé pour l’occasion), « Paris Animal » attire un visitorat nouveau au Pavillon de l’Arsenal, d’ordinaire prisé par les professionnels de l’architecture. Relayée par les réseaux et associations de propriétaires d’animaux, cette initiative amène dans le Centre d’urbanisme et d’architecture des visiteurs plus âgés et d’autres beaucoup plus jeunes que le public ordinaire des lieux…, et surtout, des dizaines de canidés qui n’avaient jamais auparavant mis les pattes dans une exposition. Un coup gagnant pour le Pavillon, qui souhaite conquérir de nouvelles franges de visiteurs.

Des services de garderie

Si certains maîtres de chiens ont sauté sur l’occasion pour découvrir avec leur compagnon une institution a priori éloignée de leurs préoccupations, c’est certainement parce que le spectre des activités culturelles accessibles avec son chien est réduit. « Il y a des régions plus accueillantes que d’autres, relève Alexandra Estève, fondatrice du site “Tourisme avec mon chien”. Les châteaux du Périgord sont très accessibles, ceux de la Loire aussi. Les sites du tourisme de mémoire en Normandie font également des efforts. Mais dès que l’on est en intérieur, avec un grand chien, l’accès est plus difficile. » La visite parfaite avec son chien ? « Les écomusées ! L’humain apprend plein de choses et le chien a la truffe à l’air, dehors ! »

En Italie où les chiens sont rois, les musées vénitiens ont identifié l’interdiction d’accès aux chiens comme un véritable frein à la visite pour une partie des vacanciers : une question sociétale, et un manque à gagner pour la billeterie des musées de la lagune. Depuis ce printemps, un service de garderie permet à ce public plus nombreux qu’on ne l’imagine de visiter tranquillement le palais des Doges, Ca’ Pesaro ou le Museo Correr, pendant qu’un dog sitter balade toutou le long des canaux.

En France, l’idée fait son chemin : c’est à l’été 2021 que Laëtitia Lacote s’installe devant la Cité de l’automobile à Mulhouse (Alsace)pour proposer un service de gardiennage canin. « Au début de la saison, le directeur n’y croyait pas du tout », se souvient celle qui, dans une autre vie, organisait un salon de peinture. « Mais au mois de septembre, il m’a dit : “Vous êtes devenue indispensable”. »

Ce premier test ayant été concluant, l’entrepreneuse s’installe rue de la Douane à Strasbourg, sur les bords de l’Ill : un emplacement stratégique, tout près du palais Rohan et de la cathédrale, avec pour voisins directs le Musée alsacien et le Musée historique de la Ville de Strasbourg. Pour 10 euros l’heure, et 45 euros la journée, les maîtres de chien confient temporairement leur compagnon à un professionnel diplômé. Avant l’ouverture de la saison estivale, Laëtitia Lacote a fait le tour des institutions culturelles pour faire connaître son service : « Les musées sont enchantés, rapporte-t-elle. La Ville me soutient également. À la cathédrale, on m’a assuré que l’on m’enverrait des chiens durant tout l’été ! »

La barrière des musées

Pour les musées, cette initiative dénoue des situations frustrantes, parfois conflictuelles entre maîtres de chien ne comprenant pas l’interdiction, et personnel de musée désemparé. « Nous nous sommes rendu compte que notre politique d’interdiction des chiens créait du mécontentement, relate Catherine Quintal, gestionnaire du Centre Juno Beach, le mémorial canadien des plages normandes du Débarquement. Autour de nous, des sites commençaient à changer sur le sujet, on s’est dit “pourquoi ne pas proposer quelque chose ?”. » Le lieu de mémoire réserve désormais une plage horaire aux maîtres accompagnés de leur chien, de 13 à 14 heures. Comme au Pavillon de l’Arsenal, la gestionnaire du mémorial se félicite de cette politique : « Nous sommes au service de la transmission de la mémoire, notre mission est de rendre le site accessible à tous les visiteurs », rappelle-t-elle.

Mais le musée reste une frontière difficilement franchissable pour les canidés : sans collection ni objets de grande valeur dans leur parcours, les centres d’interprétation peuvent se permettre d’accueillir les chiens. Dans un parcours beaux-arts, les conditions de conservation et les polices d’assurance rendent une présence animale inenvisageable. Ainsi que l’a compris Sandrine Maerten, initiatrice du « Toutourisme » à l’office de tourisme de Troyes (Aube), une démarche permettant de mieux accueillir les touristes accompagnés de chien en ville : « Au début de l’opération, nous avons contacté le monde des musées, et nous nous sommes tout de suite heurtés à des règles… que l’on comprend tout à fait. Qu’est-ce qui va empêcher un chien de lever la patte sur une statue ? » Depuis le mois de mars, aucun incident de ce type n’est à déplorer au Pavillon de l’Arsenal : l’expérience est « hyperpositive », se félicite Marion Waller… qui envisage même de la prolonger à l’issue de l’exposition « Paris Animal ». « Tout le monde ne pourra pas s’y mettre, mais notre expérience montre que c’est faisable dans beaucoup de lieux », assure-t-elle.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Quand les chiens pointent leur museau au musée

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