PARIS
Capitale incontestée du tourisme, Paris compte aujourd’hui près de 2 500 hôtels. Une exposition au Pavillon de l’Arsenal raconte ces lieux de passage.
Paris. S’il est une typologie d’habitat temporaire enraciné depuis des lustres dans le paysage urbain, c’est bien l’hôtel. Son histoire est décortiquée de long en large dans cette riche présentation intitulée « Hôtel Métropole, depuis 1818 », déployée au Pavillon de l’Arsenal, laquelle se concentre, structure municipale oblige, sur la capitale française.
D’emblée, quelques chiffres : la région parisienne compte aujourd’hui 2 465 hôtels, soit près de 157 000 chambres. L’an passé, ces établissements ont assuré 52 millions de nuitées. Avec en point de mire, notamment, les J.O. de 2024, plus de 150 nouveaux projets sont aujourd’hui à l’étude ou déjà en construction. Un sujet en vogue donc, et un parcours qui réunit photographies d’archives ou contemporaines, plans et dessins, maquettes et films, ainsi que quatre prototypes à l’échelle 1.
Dans le domaine de l’architecture, un hôtel, actif 24h/24 et 365 jours par an, est, on s’en doute peu, une « mécanique » sacrément complexe. Ici, un graphique stupéfiant s’intitule Cycle de rénovation des équipements hôteliers. Si la piscine – lorsqu’il y en a une – n’est restaurée que tous les vingt ans, sols, murs et plafonds, ainsi que les matelas sont, eux, renouvelés tous les cinq ans. Rideaux, luminaires et meubles tous les sept ans. Éclairage ou équipements sanitaires tous les quinze ans. Ceci ne prend pas en compte, bien sûr, les travaux plus conséquents, telles une extension ou une profonde rénovation. En clair, un hôtel, pour chasser l’usure ou, à tout le moins, rester au goût du jour, se doit d’être (quasiment) un chantier permanent.
À Paris, le premier hôtel, ouvert il y a plus de deux siècles, est Le Meurice, en 1818. Destiné à séduire la clientèle britannique aisée, il fut érigé par un certain Charles-Augustin Meurice au point d’arrivée des diligences en provenance de Calais. On peut admirer une ribambelle de clichés de palaces et autres établissements moins capés, laquelle décline un historique jusqu’à nos jours avec, par exemple, l’incontournable Novotel de la Porte de Bagnolet, ou l’hôtel Nikko, sur le quai de Grenelle, construit, en 1976, par Julien Penven et Jean-Claude Le Bail, et aménagé par le designer Pierre Paulin.
Une variété de lieux qui n’a pas tardé à devenir le terrain de jeu de nombre de cinéastes – de Marcel Carné (Hôtel du Nord, 1938) à Pascale Ferrand (Bird People, 2014) –, comme l’évoque la sélection d’extraits de films projetée.
À y regarder de près, l’hôtellerie offre une grande « souplesse » de conception, aussi bien dans le neuf comme en témoigne l’hôtel The Originals Montmartre livré en 2018, avenue de la Porte de Montmartre, avec son volume franchement déhanché signé par l’agence Combarel et Marrec, que dans l’ancien, tant celle-ci recèle une capacité à s’immiscer dans les lieux les plus atypiques. Ainsi en est-il de l’hôtel Paris Bastille Boutet, dans le XIe arrondissement (voir ill.), logé dans un splendide édifice qui fut d’abord fabrique de contreplaqué, puis chocolaterie, enfin bureaux.
Plusieurs photographies ainsi qu’une vidéo sur les quelque cent cinquante projets à venir montrent la diversité des réalisations : depuis l’hôtel-installation éphémère Everland (une chambre unique temporairement juchée sur le toit du Palais de Tokyo), jusqu’au concept « coopératif » MOB, ouvert en 2017, à Saint-Ouen, à mi-chemin entre « monastère, kibboutz et hôtel urbain 4 étoiles », avec potager sur le toit, également accessible aux habitants du quartier. Une centaine de chambres « dépourvues du superflu » : pas de télévision, mais du Wi-Fi à haut débit, pas d’armoire, mais un bureau, plus un lit de camp « pour inviter un ami à dormir sans majoration de prix ».
L’hôtel, de fait, est un laboratoire technique et social. D’un côté, ceux qui les fabriquent y « testent » techniques constructives – la préfabrication en particulier –, matériaux nouveaux et technologies innovantes. De l’autre, ceux qui les pensent redoublent d’imagination : lit-capsule ou chambre familiale, dortoir ou suite XXL, lobby multifonctions, toiture habitée ou cour végétalisée, etc.
L’atout de cette exposition est d’exhiber l’expérimentation, en l’occurrence, quatre propositions grandeur nature. Hormis une marquise « connectée » un brin anecdotique, les trois autres projets explorent les questions de confort et d’urgence climatique. Ainsi, le trio Nicolas Dorval-Bory, Clément Talbot et Sammy Vormus réinvente-t-il le couloir, usant davantage de bois pour réduire l’empreinte carbone et limitant les luminaires grâce à quelques « alcôves suréclairées ». À l’instar de la résidence d’artiste du Palais de Tokyo que l’agence Freaks a livré en début d’année, Lina Ghotmeh, elle, propose une chambre de 24 m2 façon « pièce à composer ». Le lit, la douche, les WC, les chaises, les tables se dissimulent dans des « placards » et l’occupant compose sa « chambre » comme il l’entend dans l’espace vide attenant. L’agence Ciguë, enfin, s’attaque, elle, à l’un des points noirs de l’hôtellerie : le gaspillage de l’eau. Son projet permettrait d’« économiser 70 % de l’eau habituellement consommée dans une chambre d’hôtel standard », avec, entre autres, réservoir à eau de pluie, bac de phyto-épuration et filtres à charbon actifs, circuit d’eau retraitée fonctionnant en boucle et WC producteur d’engrais et de biomasse. En route vers l’hôtellerie du futur ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°534 du 29 novembre 2019, avec le titre suivant : Un hôtel pas si particulier