Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie rejoignent l’Union européenne le 1er mai. État des lieux de leur scène culturelle.
BRUXELLES - Le 1er mai, dix nouvelles nations rejoignent officiellement les quinze États membres de l’Union européenne (UE) : Chypre, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne, la Slovénie, Malte, la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie.
À l’exception de Chypre et de Malte, tous ces pays ont en commun un passé communiste et, depuis la chute du bloc soviétique, ont connu des mutations radicales en termes politiques, économiques et sociaux.
Cet élargissement a de multiples conséquences pour ces pays : naissance d’un libre marché, liberté de mouvement et possibilité de travailler à l’étranger. Mais, selon la revue hebdomadaire britannique The Economist, cet élargissement pourrait engendrer la plus grande période d’incertitude depuis la fondation de l’Union en 1993. Une plus grande Europe est également synonyme d’une Europe plus fragmentée, qui devra composer avec des intérêts locaux. Alors que l’unification de l’Europe relève d’un processus bureaucratique, la culture et l’art occupent un rôle non officiel mais perceptible dans l’occidentalisation de l’ex-bloc soviétique et le renforcement de l’identité européenne. Telle est la théorie sous-jacente des programmes culturels européens comme Cultura 2000, qui fait la promotion de la coopération internationale entre les États membres et gère le projet de « Capitale européenne de la culture ». Comme de nombreux programmes financés par l’Union européenne, ce projet se prolongera sous sa forme actuelle pendant encore un an avant de subir une restructuration.
Aides publiques et privées
Étant donné le besoin vital d’investissements dans les infrastructures et la création d’une industrie et de services rentables, l’éducation, l’art et la culture n’apparaissent pas comme des priorités pour les pays de l’ex-bloc communiste – à l’exception notable toutefois de la Slovénie. Les fondations culturelles occidentales et les divers instituts culturels jouent alors un rôle non négligeable d’encouragement. Mais leur action a été proportionnelle aux intérêts économiques et politiques des pays investisseurs. Basée à Amsterdam, la Fondation européenne de la culture constitue un exemple d’organisme privé actif dans le domaine de la politique culturelle européenne et le soutien de projets innovants, favorisant une mobilité internationale et des échanges artistiques et culturels entre l’Est et l’Ouest (lire l’encadré). D’un point de vue général, les pays baltes sont sous l’influence allemande et scandinave, tandis que les Balkans représentent un intérêt stratégique aux yeux de l’Allemagne et de l’Autriche, dont la fondation culturelle Kulturkontakt se concentre sur l’Europe du Sud-Est. Les anciens pays communistes d’Europe centrale continuent de bénéficier de programmes initiés par des institutions culturelles allemandes, tels le Goethe-Institut, le Kulturstiftung des Bundes (Fondation fédérale pour la culture), mais aussi françaises comme l’AFAA (Association française d’action artistique) ou l’association strasbourgeoise Apollonia. Enfin, les fondations culturelles et philanthropiques établies par le financier américain d’origine hongroise, George Soros, ont joué un rôle fondamental dans le soutien aux arts et à la culture en Europe de l’Est (lire ci-contre).
Les programmes de mécénat et les donations privées, de leurs côtés, en sont à leurs premiers balbutiements. Plusieurs banques donnent l’exemple, notamment les suédoises – la banque Hansa vient de créer un prix récompensant un artiste –, mais aussi les allemandes, autrichiennes et, parmi celles extra-communautaires, les suisses avec la banque Raiffeisen ou Erste Bank. En Hongrie, le centre pour l’art contemporain KogArt vient d’ouvrir ses portes à Budapest. Tirant son nom du banquier hongrois Gabor Kovacs, qui y a investi plus de onze millions d’euros, le centre va au-delà du financement aux artistes locaux : « Nous souhaitons exporter l’art contemporain hongrois en Europe et importer l’art européen en Hongrie », explique Gabor Kovacs. Le Ludwig Museum est une autre institution privée de Budapest établie au début des années 1990 et née de l’accord entre le magnat allemand du chocolat, feu Peter Ludwig, et le ministre hongrois de la Culture. Les expositions temporaires du musée se concentrent sur les pays d’Europe de l’Est, et sont présentées à côté de la collection Ludwig.
Vitalité étonnante
Que laisse augurer l’élargissement pour la vie culturelle dans l’Union ? Avant tout, les spécialistes s’attendent à une augmentation du tourisme. Pour Katrin Klingan, directrice du Kulturstiftung des Bundes, à Berlin, la première manifestation viendra de la comparaison entre les nouveaux pays et les États membres et vice versa : « La transformation est un lent processus, cela prendra au moins dix ou vingt ans. »
De manière générale, la scène culturelle et artistique dans l’ex-bloc soviétique démontre aujourd’hui une vitalité étonnante et de grands efforts ont été faits pour l’internationaliser, même s’il faudra des années avant que les scènes propres à chacun de ces pays ne se suffisent à elles-mêmes. Pour les artistes, handicapés par le manque de collectionneurs locaux, la possibilité de vivre de leur art est encore utopique. Cette « indépendance » commerciale a donné lieu à un type de production artistique particulièrement tournée vers les performances et les installations publiques.
Dans ces pays, les institutions à but non lucratif sont les plus répandues. Parmi les plus actives et les plus reconnues figurent la Zacheta Galerie (Varsovie) ; la Galerie d’art Kapelika (Ljubljana) ; NOASS (Riga) ; la Maison des arts contemporains Trafo, C3 et le centre de recherche en art Artpool, à Budapest ; les Futura Gallery et Display Gallery (Prague) ; le réseau Ars Baltica dans les pays baltes et le réseau des anciens centres Soros. Les dix pays possèdent leur lot de galeries commerciales tournées vers les marchés à la fois local et international, présentes aux foires d’art et encourageant la mobilité des artistes. Parmi les plus actives : la Galerie-Fondation Foksal (Varsovie), la galerie Jiri Svestka (Prague), la Galerie 56, les galeries Hans Knoll et Erika Deak (Budapest), la galerie Priestor (Bratislava), Galerija Skuc et Galerija Gregor Podnar (Slovénie) et Ibid Projects, basé à Vilnius et Londres. Pour Gregor Podnar, propriétaire de sa galerie à Ljubljana et ancien directeur du centre culturel Skuc Gallery, « la différence entre les centres artistiques de l’Europe de l’Est et ceux de l’Ouest est un manque chronique d’initiatives et d’investissements privés, desquels dépend l’existence même d’un marché de l’art. Il n’existe pas assez de galeries à Ljubljana. Le marché de l’art contemporain n’est pas suffisamment développé pour permettre d’établir des cotes, ce qui a eu une mauvaise influence sur les institutions publiques concernant la conservation et la valorisation de leurs propres collections ainsi que leurs méthodes d’acquisition. » À Vilnius, Vita Zaman, d’Ibid Projects, a observé la naissance d’un nouveau groupe de collectionneurs potentiels : « La Lituanie est un petit pays sans grande tradition d’achat d’art contemporain. Le marché local est très modeste et provincial. Aussi, cela va prendre du temps avant que les changements fondamentaux ne deviennent apparents dans le paysage de l’art contemporain. D’ici là, nous essayons de rester optimiste et patient. »
La Fondation européenne de la culture (FEC) fête cette année ces 50 ans. Fondée en 1954 à Genève par le philosophe suisse et visionnaire européen, Denis de Rougemont, cette fondation indépendante, non gouvernementale et paneuropéenne, œuvre pour le développement et la promotion d’une politique culturelle européenne. Basée à Amsterdam, la FEC bénéficie d’un budget annuel d’environ 4 millions d’euros, financé en majeure partie par deux loteries néerlandaises, De Lotto et BankGiroLoterij. L’institution se consacre à deux grands domaines d’activité : le soutien financier – bourses d’études, projets d’expositions, de recherche et de mobilité internationale – et le plaidoyer en faveur d’une politique culturelle européenne. Plusieurs projets de la FEC sont devenus des labels, tels « Art for social change » (L’art pour le changement social qui vient en aide aux artistes) et « Policies for culture » (Mesures pour la culture en Europe du Sud-Est). D’une manière générale, les programmes de la fondation tentent d’élaborer une politique culturelle capable de rapprocher les États membres de l’Union européenne. À ce sujet, sont actuellement en préparation un forum sur les politiques culturelles applicables aux régions méditerranéennes ainsi qu’une conférence intitulée « Le partage des cultures », laquelle se tiendra du 12 au 14 juillet à Rotterdam. - FEC : www.eurocult.org
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Dix pays aux portes de l’Europe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Dix pays aux portes de l’Europe