Didier Grumbach vient de publier Histoires de la mode aux éditions du Regard, une saga de la mode au XXe siècle. Président de la Fédération française de la Couture et du Festival international de mode et de photographie de Hyères, dont les expositions se prolongent jusqu’au 1er juin, il commente l’actualité.
Lors du dernier Festival international de mode et de photographie à la Villa Noailles, n’avez-vous pas senti un décrochage entre la sélection mode, très pointue, et celle de photographie, plus décevante ?
Cela dépend des saisons, l’an dernier vous auriez pensé le contraire. Vous m’auriez dit : « comment se fait-il que la photographie soit à ce point aboutie et la mode aussi irrégulière ? » C’est imprévisible, et c’est la force de la Villa Noailles. Certaines années, il n’y a pas beaucoup de talents et d’autres saisons sont extraordinairement prolifiques. Pour dire la vérité, j’étais moins présent sur la section photo, car il y a énormément d’événements à Hyères, et j’ai assisté à toutes les tables rondes.
Comment expliquez-vous aussi le décalage, cette année, entre la qualité des stylistes français et celle des créateurs étrangers ?
Là encore, c’est une coïncidence. L’an dernier, ce sont des Français qui étaient en pointe. On ne peut pas penser qu’il y aura des Français chaque saison. En 2008, les Italiens n’étaient pas présents, ce sont des choses qui arrivent. Là, il y avait un Belge, il arrive qu’il y en ait deux. Trois Français peu spectaculaires avaient été aussi sélectionnés. Mais je ne pense pas qu’on puisse en tirer des conclusions. On est dans un monde sans frontières, il n’y a pas de nationalisme dans la mode.
Cela ne dépend-il pas aussi de la qualité des écoles ?
Évidemment pas, car certains Français font leurs études en Belgique. Et puis même nos écoles ont eu des candidats qui ont gagné l’an dernier et il y a deux ans.
À propos d’école, comment voyez-vous le projet de développement de l’Institut français de la mode (IFM) ?
L’école n’est pas ouverte qu’on dit que l’on a besoin d’une école de la création. C’est très français, se battre la coulpe en disant que l’on est les meilleurs, la capitale de la création. La grande réussite de l’IFM c’est d’avoir associé sous un même toit des managers bien formés et des créateurs très sélectionnés, ce qui est vital. Car l’un des problèmes de notre industrie française, c’est que les créatifs ont tendance à considérer que les autres spécialités sont secondaires. On a en ce moment beaucoup de créateurs de mode qui n’ont pas d’emploi et très peu de bons managers.
Comment suivez-vous le projet de la Cité de la mode et du design dans lequel l’IFM est intégré ?
Je le suis en tant que doyen du corps professoral. Grâce à Dieu, il y a une équipe de managers absolument exceptionnels. C’est vraiment une chance. Le projet de Bercy est magnifique. Je crains qu’il ne prenne du retard, mais il n’y a pas d’équivalent au monde. Je suis de fait stupéfait qu’on fasse des études pour savoir ce qu’il faut faire pour avoir une école de création alors que la nôtre n’est pas encore inaugurée !
Dans votre livre, Histoires de la mode (éditions du Regard), vous n’abordez pas les relations entre art contemporain et mode. Celles-ci sont-elles cycliques, profondes, liées par des procédés communs de création ?
Il y a forcément des relations, mais il ne faut pas se tromper. La mode n’est pas un art majeur, mais quelques créateurs de mode sont des artistes. Ce qu’il y a de difficile et de particulier dans la mode, c’est que la qualité des artistes est essentielle quand l’entreprise s’installe, mais ensuite le management doit l’emporter. Si les créateurs gardent le pouvoir, la maison est constamment secouée. Un créateur agit normalement par impulsion et intuition. Si le créateur reste le patron, l’entreprise est ballottée. La relation qui doit exister entre le directeur général et le créateur est sensible et difficile car, à un moment, le créateur doit se refréner et avoir une attitude d’analyste. La création n’est pas totalement libre, on est dans une industrie. Ce qui n’est pas le cas des arts majeurs où l’on est dans l’impulsion permanente. Je crois qu’on ne peut pas totalement associer les deux. Peu de créateurs de mode sont des grands connaisseurs d’art contemporain comme l’étaient Poiret ou Doucet.
On sent quand même avec l’intérêt des marques de luxe comme Vuitton, Chanel ou Hermès que cette promiscuité revient, du moins en termes de communication.
L’art est, en effet, devenu un moyen de communication. GFT, un empire industriel italien, en a fait son image de marque. En Belgique, le plus gros fabricant au monde de chaux en a fait le lien entre ses différentes filiales. La maison Chanel, ou plutôt les Wertheimer se sont intéressés de génération en génération à l’art contemporain. Je crois que ce lien entre l’art et la mode n’est ni cyclique, ni automatique. Il semble plus patent aujourd’hui car les créateurs doivent être très érudits, ouverts. Des gens comme Karl Lagerfeld sont très informés sur la société contemporaine, mais je ne pense pas qu’on puisse en tirer des conclusions. Il y a des créateurs artistes, des créateurs qui aiment ou n’aiment pas l’art contemporain et d’autres qui n’apprécient que ce qu’ils font !
Comment jugez-vous les projets Hermès et Chanel ? Ces marques servent-elles ou instrumentalisent-elles l’art contemporain ?
Instrumentaliser, je ne le pense pas. Ce n’est pas non plus du mécénat, c’est pour affirmer leur image et leurs différences. Chez Hermès, que ce soit à Bruxelles ou New York, ils font leurs expositions dans des espaces réservés pour cela, tout comme Vuitton. Chez Hermès, ils choisissent des artistes inconnus qui leur plaisent. Il y a une plus grande liberté et peut-être moins de stratégie. Si Jean-Louis Dumas adore tel artiste, il aura une exposition. Chez Chanel, c’est une démarche très étudiée, très organisée, un moyen intelligent de déplacer l’événement et de démultiplier son impact. Mais je ne pense pas qu’on puisse dire que toutes ces marques vont continuer constamment dans la même direction. En ce moment, l’art contemporain est extrêmement porté, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. Ce qui me semble intéressant finalement, ce n’est pas que la mode s’intéresse à l’art, mais que l’art accepte la mode. Ce qui est étrange, c’est que des grands artistes trouvent valorisant d’exposer chez Vuitton ou Hermès alors qu’il y a dix ans, ils auraient refusé par crainte d’être récupérés. Aujourd’hui, on trouve naturel d’exposer dans des magasins autant ou plus que dans des galeries. L’art n’est pas contestataire.
Dans votre livre, vous évoquez le cas d’Issey Miyake, qui pour rester dans le flux de la mode, soutient le travail et la carrière de ses assistants. Ce qui rappelle l’exemple de l’artiste Takashi Murakami.
Un créateur qui s’associe à son premier assistant, puis choisit le successeur de son successeur, gère la marque tout en se mettant de côté, c’est unique dans notre métier. C’est accepter de rentrer dans le cycle, de vieillir, et peu de gens dans notre métier savent le faire.
Comment expliquez-vous que plusieurs personnes liées à la mode comme Pierre Bergé et Pierre Cardin se soient lancées dans les ventes publiques ?
Ce n’est pas lié à leurs métiers. Pierre Bergé a un sens incroyable des opportunités. Après tout qu’il se soit mis dans le caviar est tout aussi exceptionnel que son arrivée dans les enchères. Il s’est dit que c’était un domaine porteur comme le caviar, et il a très bien joué dans les deux cas. Et puis, peut-être a-t-il voulu rester au rang de Bernard Arnault ou François Pinault, dont il avait été un concurrent.
Vous êtes vous-même collectionneur. Quelle est votre démarche ?
Je n’ai pas de système, je n’achète pas énormément, mais constamment. J’ai commencé en 1965 avec Robert Malaval chez Yvon Lambert et j’ai continué à acheter chez lui. Je pense que le galeriste est très important, je m’attache à une ou deux galeries nouvelles et je leur fais confiance. L’artiste est choisi par une galerie, ça ne peut pas se faire par hasard. Je n’ai jamais rencontré un très bon artiste dans une mauvaise galerie. J’achète ensuite de manière immédiate. Parfois je me trompe. Quand Yvon Lambert dans les années 1960 me mettait un Twombly entre les mains et que je lui ramenais en disant que je n’y comprenais rien, j’ai été à côté de la plaque. En général, j’achète quand, sur le moment, il y a une fulgurance. Ainsi, récemment chez Michel Rein, je suis entré et je n’ai pas pu résister à une œuvre de Didier Marcel. Je n’ai pas une très grande collection, mais elle est étrange, très diverse, qui va de Fabrice Hyber à Garouste, Hantaï, Degottex, Bishop. J’ai beaucoup aimé les galeries Jean Fournier, Froment-Putman, Durand-Dessert, Michel Rein. En ce moment, j’apprécie beaucoup le travail de Laurent Godin qui est très professionnel et désintéressé. Chez Frédéric Giroux, j’aime beaucoup l’œuvre de Vincent Beaurin. Godin et Giroux ont un petit côté pasteur, très sérieux.
Est-il plus difficile de collectionner aujourd’hui qu’il y a quarante ans ?
Il y a infiniment plus d’artistes intéressants, africains, indiens, brésiliens. On est un peu comme dans la mode où les marques se mondialisent, les collections aussi. J’ai des artistes que j’ai toujours collectionnés et qui ne valent pas grand-chose sur le plan financier. Quand je commence à acheter un créateur, je continue, quoiqu’il arrive. Rien ne vous oblige à acheter comme tout le monde. J’ai commencé à faire l’acquisition d’œuvres russes voilà quelques années avec la Galerie de France lorsque Catherine Thieck et José Alvarez avaient organisé un voyage à Moscou au début de la Perestroïka. J’ai alors découvert Kabakov, Vassiliev, Chuikov.
Une exposition vous a-t-elle récemment marqué ?
J’ai trouvé que l’exposition d’Anselm Kiefer au Grand Palais était sensationnelle. La mise en perspective de l’œuvre, la manière avec laquelle l’artiste est parvenu à prendre possession d’un volume aussi colossal, était stupéfiante. « Louise Bourgeois » à Beaubourg était aussi une très belle exposition. Dieu sait qu’en ce moment à Paris, on est plus que gâté. Je pense que le fait d’avoir ramené les expositions et salons, notamment la FIAC, au Grand Palais a changé complètement l’image de Paris.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Didier Grumbach, président du Festival de Hyères
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°281 du 9 mai 2008, avec le titre suivant : Didier Grumbach, président du Festival de Hyères