Les galeries de Hongkong, installées pour certaines dans les quartiers luxueux du centre-ville, pour d’autres dans des secteurs alternatifs en périphérie, offrent des programmes très variés. Elles développent aussi une attention différente au contexte
Ce sont les derniers arrivés, et force est de constater que c’est sans tambours ni trompettes qu’ils ont ouvert leurs portes, semblant avoir compris que Hongkong est une ville complexe et pas nécessairement synonyme d’argent rapide et facile. Le belge Axel Vervoordt et la puissante américaine Pace Gallery ont profité de la tenue de la deuxième édition d’Art Basel Hong Kong [lire p. 34]pour s’arrimer à la cité asiatique, nouveaux venus d’une vague qui certainement ne sera pas la dernière. Strictement voisins, logés à côté d’un cabinet dentaire au 15e étage d’une tour de bureau du centre répondant au nom de « Entertainment Building », les deux espaces n’affichent nulle flamboyance mais au contraire une modestie extrême. C’est surprenant pour Vervoordt, dont l’espace mouchoir de poche et bas de plafond écrasait littéralement les trois œuvres d’El Anatsui déployées sur autant de murs disponibles. C’est encore plus étonnant et presque honteux pour Pace, guère plus vaste quoique bénéficiant d’une meilleure lumière, une enseigne qui, outre qu’elle jouit d’une ample assise financière, représente de longue date des artistes chinois bien implantés sur le marché ; pour l’occasion, elle donnait à voir quelques aquarelles de Zhang Xiaogang.
Chai Wan, « zone vibrante »
Si le marché de l’art hongkongais apparaît être en expansion, il est aussi en pleine mutation et les galeries qui le composent, en nombre toujours croissant, adoptent des profils et perspectives variés ; de même, les clients auxquels elles s’adressent vont des expatriés souvent ouverts à l’international aux locaux plus conservateurs et enclins à défendre des productions asiatiques.
Naturellement c’est en centre-ville, sur des artères bordées par des boutiques de luxe, que s’installent ceux qui veulent retenir les visiteurs pressés et hommes d’affaires de passage. Le Pedder Building, sis dans la rue du même nom, fait d’ores et déjà office de point de convergence : il ne regroupe rien de moins que Ben Brown Fine Arts, soit le premier des galeristes occidentaux à avoir ouvert une antenne à Hongkong ; Gagosian ; Simon Lee ; ou Lehmann Maupin, qui pendant la foire présentait de nouvelles peintures de l’Américain Hernan Bas. Mais il abrite aussi les marchands locaux Pearl Lam et Hanart TZ, laquelle célèbre cette année ses trente ans d’existence et présentait un vaste accrochage d’œuvres de Gu Wenda. Non loin de là s’est installé Édouard Malingue, dans un élégant espace réaménagé par Rem Koolhaas, tandis que White Cube et Perrotin partagent une adresse sur Connaught Road, avec avantage pour ce dernier dont l’espace s’ouvre sur la ville vue du 17e étage.
Mais comme dans toute grande ville, Hongkong connaît désormais une expansion de ses territoires artistiques et voit poindre des galeries dans des quartiers plus industriels. À Chai Wan, un même vaste édifice a vu arriver 10 Chancery Lane, qui a ainsi augmenté son espace du centre-ville et développe là de plus amples projets, et Platform China, installée à Hongkong en 2012 après avoir ouvert à Pékin, en 2005, un espace d’abord non commercial devenu galerie en 2009. Sa directrice, Claudia Albertini, justifie ce choix : « Chai Wan est une zone très vibrante où se côtoient des designers et des photographes, des artistes, des créateurs de vêtements, des entrepôts et des garages. Nous avons retrouvé ici des saveurs de Pékin, en n’étant pas situés dans une zone commerciale. Les espaces sont en outre plus grands et moins chers que dans le centre », un argument massue dans une ville où le prix du mètre carré atteint des sommets. L’endroit n’est pourtant pas d’un accès particulièrement aisé, à quelque vingt minutes de marche de la station de métro la plus proche.
Un autre secteur, Wong Chuk Hang, industriel lui aussi et situé au sud de l’île de Hongkong, semble promis à un beau développement puisque devant être relié au métro l’an prochain. S’y sont déjà installés un centre d’art tel le Spring Workshop ainsi que quelques solides galeries à l’exemple de Blindspot, spécialisée dans la photographie, ou d’Exit, qui dispose là d’une surface de près de 500 mètres carrés.
Si certaines enseignes telles Platform China, Hanart TZ ou 10 Chancery Lane restent pour l’essentiel axées sur des artistes chinois et asiatiques, nombre d’autres défendent des programmes mêlant Asie et Occident. Ainsi Édouard Malingue montre-t-il Janaina Tschäpe ou Los Carpinteros avec Sun Xun ou João Vasco Paiva, tentant là de « refléter la diversité de Hongkong ». Tandis que Pearl Lam, qui représente des artistes comme Jim Lambie, Michael Wilkinson et Jenny Holzer aux côtés de Su Xiaobai ou Zhu Jinshi, affirme que « ce que toute galerie ici devrait faire, c’est célébrer les différences ».
L’action et le positionnement des galeries posent en outre la question du comportement des galeristes étrangers. « Lehmann Maupin a toujours défendu des artistes asiatiques, Perrotin a des Japonais et entame doucement des collaborations avec des locaux, mais certains se fichent complètement du contexte et n’ont aucun échange. Des galeries comme Gagosian ou White Cube viennent en Asie commercialiser un produit mais n’ont aucun programme local », grince un observateur. Poursuivant : « Avec un taux d’impôt sur les sociétés très avantageux [qui s’élève à 15,5 %], il n’est pas impossible qu’elles considèrent Hongkong essentiellement comme un lieu de facturation. »
Conseiller artistique disposant d’un bureau dans le complexe de Chai Wan, où il a ouvert également un « café loft » dans un secteur peu pourvu en offres de restauration, Jehan Chu estime pour sa part que « l’arrivée des marchands internationaux contribue à éduquer les collectionneurs tout en les aidant à étendre leur réseau, ce qui est plutôt positif ».
« En revanche, ils ont accru la compétition avec les galeries locales et leur rendent certainement la tâche un peu plus difficile. Mais la compétition est parfois bénéfique, et de jeunes galeries locales ont ainsi beaucoup appris », poursuit-il. Hongkong, ville ouverte…
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Des stratégies diversifiées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : Des stratégies diversifiées