Bronzes redorés, vernis trop épais, ponçages abrasifs, les antiquaires sont souvent critiqués pour des restaurations outrancières ou hasardeuses. Les écarts abondent chez les marchands peu soucieux de fidéliser leur clientèle. Les plus grands de la profession se déclarent attachés à une conservation veillant à ne pas dénaturer l’objet. Une querelle oppose pourtant les ébénistes restaurateurs, qui travaillent pour les marchands et les restaurateurs issus des filières universitaires. Avec une question en filigrane : jusqu’où peut-on aller ?
Sujet hautement glissant, la question de la restauration chatouille les susceptibilités des antiquaires. Celle qu’ils pratiquent se distingue selon que le marchand axe son activité sur le long terme ou sur une clientèle de passage. “Les marchands qui veulent remettre à niveau sans souci de conservation du meuble font une restauration à la va-vite qui va durer trois ou six mois. Le marchand qui souhaite fidéliser sa clientèle fait en sorte que le meuble soit vraiment remis à niveau, affirme l’antiquaire Jacques Perrin. Sur une petite table de RVLC, là où un marchand peu scrupuleux tenterait de redonner un liant à l’ancienne colle avec des plaques chauffantes, on a décollé la marqueterie, gratté l’ancienne colle, vérifié la qualité du bâti et renforcé les fentes. S’il y a des manques dans la marqueterie, on tolère 5 à 10 % de rajout”. Le coût moyen d’une restauration sur un meuble de grande qualité s’échelonne entre 7 500 euros et 15 000 euros pour des opérations complexes. Une restauration poussée ne peut du coup être envisagée que sur des meubles rares. Sur une commode achetée 3 000 euros, il est évident qu’un marchand rechignera devant une restauration à 7 500 euros et optera vraisemblablement pour un cache-misère.
La plupart des antiquaires confient leurs restaurations à des ébénistes restaurateurs. Certains, comme Jacques Perrin et Hervé Aaron, ont développé des ateliers en interne pour une rapidité d’intervention et un contrôle plus assidu des opérations. D’aucuns jugent ce fonctionnement en vase clos peu propice à la transparence. Le démontage intégral des meubles et des sièges ainsi que le déplacage systématique des marqueteries, régulièrement pratiqué dans certains ateliers, sont fortement critiqués par une nouvelle génération de restaurateurs de meubles, formés par l’Institut de formation des restaurateurs d’œuvres d’art (Ifroa), englobé aujourd’hui dans l’Institut national du patrimoine. Ces nouveaux restaurateurs privilégient la notion de conservation à celle de restauration et préconisent une intervention minimale.
Outre le démontage et le déplacage, la question de la dorure soulève des différends. “On peut tolérer une redorure sur les bronzes des meubles mais pas sur des objets, assure Jacques Perrin. Entre un miroir redoré et un miroir dans sa dorure d’origine, il y a 40 % d’écart de prix. Parfois, on s’étonne de voir chez les antiquaires des pendules ou des vases montés avec des dorures éclatantes. Pourtant, elles sont dans 90 % des cas dans leur état d’origine. Les objets de qualité se trouvaient dans les pièces de réception, recouverts, avec les volets fermés. On ne les ressortait de leur housse que trois à quatre fois par an. D’où leur état…” Les redorures intempestives sont pourtant légion. Les restaurateurs adeptes de l’intervention minimale prêchent pour la retouche. “Il faut nettoyer les bronzes et les protéger avec une cire. On fait des raccords de dorure, des retouches, plutôt qu’une redorure. Il faut veiller à faire des interventions partielles et réversibles”, insiste l’ébéniste restaurateur, enseignant à l’Ifroa. Les reparures sur bois sont encore plus fréquentes. “On a chez les antiquaires un nombre marginal de sièges qui ont conservé leur dorure d’origine”, reconnaît ainsi Hervé Aaron.
Les critères de fonctionnalité et d’esthétique priment chez les particuliers. Les marchands rendent les meubles “ergonomiques” pour une clientèle avide d’objets beaux, mais non moins utilitaires. “Les clients veulent de l’ancien dans un état neuf”, concède Jacques Perrin. La pose de languettes visibles sur les tiroirs pour leur permettre de coulisser facilement, ou celle d’un intercalaire entre le bâti et la marqueterie pour éviter que le bois ne joue avec les variations hygrométriques, sont dès lors fréquentes. “Si l’on veut rendre un meuble fonctionnel dans son état d’origine, cela suppose des adaptations, des interventions plus ou moins drastiques qui nuisent à l’intégrité des œuvres”, estime Jean Perfettini, restaurateur et enseignant à l’Ifroa.
La restauration des antiquaires s’adapte souvent aux goûts tapageurs de leur clientèle. Voilà cinquante ans, les acheteurs semblaient moins attachés à la brillance des vernis. Depuis une trentaine d’années, les clients exigent une qualité miroir, donnant lieu à des meubles presque plastifiés, interchangeables d’une galerie à une autre. L’utilisation faite par les antiquaires du vernis au tampon, pratique qui date du XIXe siècle, est aussi décriée. “Un vernis au tampon ne peut s’apposer que sur une surface lisse. Cela suppose de poncer et de réduire encore ce qui reste du placage. Le vernis en lui-même n’est pas nocif, mais le travail en amont l’est”, insiste Jean Perfettini. “On ne peut pas retrouver une planéité qui, à l’origine, n’existait pas. La surface d’un meuble comportait toujours des imperfections. Il ne faut pas faire du vernis un exercice de style”, estime le restaurateur Michel Jamet. L’esbroufe des meubles clinquants n’est pas du goût de tous les professionnels. “Il faut que les meubles anciens aient l’air ancien et non pas neuf”, insiste l’antiquaire Nicolas Kugel qui travaille avec Michel Jamet. “Ma clientèle souhaite que l’on conserve le velouté du temps”, renchérit l’antiquaire Pierre Lévy, dont la famille confie depuis longtemps ses restaurations à l’atelier Serode. Ces déclarations ne seraient que d’aimables truismes, n’était la pléiade de meubles trop lustrés. La démarche empruntée un temps par l’antiquaire Yves Mikaeloff de ne restaurer qu’avec les techniques pratiquées au XVIIIe siècle lui avait valu l’étonnement de ses confrères, lors de la Biennale des antiquaires de 1996.
Jusqu’à présent, les musées nationaux ne voyaient sans doute rien à redire aux restaurations pratiquées par les antiquaires puisque 40 % de leurs acquisitions s’opèrent chez les marchands. Ces derniers leur présentent les meubles dans leur jus. “Quand on pense qu’une tapisserie peut intéresser un musée, on fait juste un nettoyage et on la montre telle quelle au conservateur pour qu’il la voie dans son état initial, explique Nicole de Pazzis-Chevalier. S’il souhaite l’acheter, on fait la restauration en concertation avec lui. On peut alors mélanger conservation et restauration. Que ce soit pour un particulier ou pour un musée, il faut que la restauration soit stable, lisible et réversible.” Un adage qui justifie le prestige des ateliers Chevalier Conservation auprès des musées. D’autres antiquaires ont participé à des restaurations de meubles de musées, qu’il s’agisse de Claude Lévy au Musée Nissim de Camondo ou, plus récemment, d’Hervé Aaron pour le Musée Jacquemart-André, tous deux à Paris. Une génération de conservateurs, imprégnée des préceptes de restauration de l’Ifroa, sera sans doute amenée à imposer ses conceptions à toute la profession antiquaire. La Serode a dû récemment s’adapter au point de vue des conservateurs du Musée Nissim de Camondo pour la restauration d’un meuble à mécanisme de Roentgen. Une restauration distincte de ce qu’aurait pu envisager un antiquaire.
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"De l’ancien dans un état neuf"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : "De l’ancien dans un état neuf"