Politique. Les élections européennes ne passionnent pas les Français : le taux d’abstention pour celles programmées le 26 mai serait le même que celui des précédentes.
Prévision regrettable, car ce scrutin est particulier. Il est, en effet, le seul – ou le premier – à être organisé alors qu’un membre de l’Union européenne veut la quitter. Et non le moindre, celui dont la langue est la plus parlée au monde, à travers le globish qui a dépassé l’idiome de Sa Gracieuse Majesté et qui est le véhicule le plus puissant de la diffusion culturelle. La Grande-Bretagne, bien qu’elle ait toujours eu au sein de l’Union un pied dedans et un pied dehors, va donc quitter le navire et les Français semblent s’en moquer. Leur manque d’enthousiasme pour l’Europe ne peut guère l’encourager à vouloir y rester. D’élargissement en élargissement, de six États membres à vingt-huit, la construction européenne paraissait irréversible. Tel n’est plus le cas.
Cette absence d’empathie des Français peut s’expliquer par la confusion entretenue lors d’élections au Parlement européen entre l’idéal européen et la froide réalité d’une Union européenne, construction avant tout économique. N’est-elle pas née d’une Communauté du charbon et de l’acier, d’un marché commun et d’une monnaie unique ? Tout cela manque d’imaginaire et est bien loin des mythes ayant nourri la construction d’une Europe politique. Il a fallu attendre le traité de Maastricht (1992) pour que l’Union y inscrive le mot « culture », sans que l’Europe et son administration à Bruxelles ne s’entourent de plus d’enchantement pour autant.
Néanmoins, afin de recréer de l’empathie, il serait erroné d’affirmer l’existence d’une histoire trop linéaire depuis Athènes et Rome, d’une histoire unificatrice, celle d’une civilisation seulement blanche et chrétienne. L’incendie de Notre-Dame de Paris a fait ressurgir des discours sur l’essence vraie de l’Europe, sur une civilisation bâtie uniquement autour des cathédrales. C’est aussi l’absence de sens, politique, géographique, de l’Europe aujourd’hui qui les a motivés, la nostalgie d’une Europe puissante, coloniale, alors qu’elle est devenue un Vieux Continent qui ne peut plus s’autosatisfaire d’être le centre de gravité de la planète. Comme aujourd’hui, l’Occident ne peut plus se penser comme étant le monde à lui tout seul. Il est périlleux également de mettre en avant l’existence d’une identité culturelle européenne, sauf si celle-ci désigne la richesse de la diversité, de la circulation des idées et des pratiques artistiques d’un pays à l’autre.
Défendre l’Europe comme enceinte identitaire ne peut répondre non plus aux aspirations des artistes contemporains qui n’effectuent plus le « Grand Tour », ce rite magnifié de connaissance grâce à un voyage à travers le continent, l’Italie notamment, pratiqué à l’origine par les Anglais. L’Europe est devenue trop exiguë. L’horizon des artistes, leurs centres d’intérêt, leurs sources d’inspiration sont le monde qu’ils découvrent physiquement ou virtuellement en glanant des images sur Internet. Ils en ont un besoin vital et en font leur miel pour créer de nouvelles images. Les États ont beau renforcer les frontières, l’imaginaire des artistes les traverse.
L’Europe est en crise et l’idée d’Europe n’a jamais été aussi complexe à définir, surtout si on l’accepte comme fondée sur la pluralité et l’échange, le refus des égoïsmes nationaux, dans un espace devenu modeste. Complexité qui peut rendre son avenir illusoire car il est bien difficile de formuler des perspectives exaltantes et un projet crédible aux yeux des électeurs. L’Europe ne peut plus être « surjouée », mais cela ne m’empêchera pas d’aller voter le 26 mai.
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Croire à l’Europe, au-delà de l’Union
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : Croire à l’Europe, au-delà de l’Union