FRANCE
Si la situation semble jusqu’à présent relativement maîtrisée, l’aggravation de l’épidémie pourrait engendrer le chaos.
Lorsque, le 11 janvier, le coronavirus a provoqué un premier décès en Chine, l’opinion publique française en général et le monde de la culture en particulier se sont sentis peu concernés. Mais lorsque le 24 janvier les trois premiers cas de contamination ont été révélés en France, l’inquiétude a grandi de façon exponentielle au rythme du nombre de personnes infectées et des mesures gouvernementales.
Comme tous les lieux accueillant du public, les musées ont dû s’adapter très vite aux consignes des autorités. « J’ai l’impression de ne faire que cela en ce moment », soupire Delphine Lévy, la directrice des quatorze musées de la Ville de Paris. Priorité a été donnée à la formation et l’information des agents après le coup de semonce d’une partie des agents du Louvre qui ont exercé leur droit de retrait tout début mars, provoquant la fermeture temporaire des lieux. Des consignes leur ont été données, des gels hydroalcooliques mis à leur disposition, et « ceux qui le veulent » peuvent porter un masque, comme au château de Versailles. Les équipes de nettoyage ont été invitées à utiliser plus de désinfectant sur les parties sensibles (sanitaires, poignées de porte..). Les mesures barrières (« éternuer dans son coude… ») ont été rappelées et portées à l’attention du public par des affichettes.
Les déplacements à l’étranger pour les conservateurs sont limités, et bien entendu interdits dans les zones à risque comme l’Italie, ce qui n’est pas toujours simple compte tenu des liens étroits avec la Péninsule. Les procédures de convoiement d’œuvres ont été allégées, s’agissant notamment de l’accompagnement des œuvres par un membre de l’équipe de conservation.
Le problème principal du moment est la gestion des visiteurs. Hormis la situation particulière des musées de Mulhouse, fermés depuis le week-end dernier en raison des restrictions affectant ce « cluster » local, la plupart des musées sont ouverts. L’interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes en espace clos, décrétée par le gouvernement le 29 février, a eu peu d’impact étant donné la fréquentation habituelle à l’instant T, en dessous de cette limite. Mais l’abaissement de la barre à 1 000 personnes annoncée le 8 mars change la donne. À Paris, le Musée du Louvre a dû réserver l’accès aux visiteurs munis de billets électroniques et aux bénéficiaires de la gratuité. Même dispositif à Versailles où ne sont dorénavant accueillis que les individuels ou groupes avec une réservation horodatée. Un comptage manuel est effectué par les gardiens qui gèrent les flux entre le château et le parc. Au Musée Picasso, « nous allons sans doute dépasser notre jauge habituelle de 700 personnes lors du vernissage de la prochaine exposition “Picasso et la bande dessinée”, qui ouvre au public le 24 mars », signale Laurent Le Bon, son directeur. Les entrées vont donc devoir être filtrées, tandis que les réceptions et cocktails pour ce vernissage ont été annulés. Même problème de comptage au vernissage de la prochaine exposition « Picasso » au Musée des beaux-arts de Lyon.
Pour autant, en dehors d’une poignée de musées, le problème n’est pas tant la limitation des entrées que, à l’inverse, la chute du nombre de visiteurs. Cette baisse est de l’ordre de 20 à 30 % ces derniers jours. Elle est plus le fait des touristes que des Parisiens. Ainsi les nouvelles expositions du Musée de la Vie romantique ou du Musée Bourdelle affichent des fréquentations honorables. Mais Versailles, qui dépend à 80 % des touristes étrangers, voit arriver le début de la haute saison (le 1er avril) avec inquiétude. Au Louvre-Lens (Pas-de-Calais), Magalie Vernet, la directrice de la communication, pointe la défection des groupes scolaires, en particulier ceux venant de l’Oise toute proche, un des « clusters ». Tous s’inquiètent de la baisse des recettes de billetterie, dont ils dépendent fortement, si l’épidémie devait durer. Recettes de billetterie mais aussi menaces sur les recettes de privatisation. Le Louvre-Lens a reçu quatre annulations de locations d’espace en une semaine.
L’impact économique est plus immédiat et brutal pour les foires. De nombreux salons prévus en mars et avril ont pu reporter leurs éditions dans les mêmes lieux en mai ou juin, escomptant la fin de l’épidémie avec l’arrivée des beaux jours. C’est le cas d’Art Up ! à Lille (reprogrammée du 25 au 28 juin), d’Art Paris (du 28 au 31 mai), ou du PAD, Art+ Design (du 12 au 17 mai). Certains ont annulé l’édition du printemps, invitant les exposants à participer à celle d’automne, comme c’est le cas pour Art Shopping (23-25 octobre). D’autres ont purement et simplement annulé l’édition 2020 à l’instar d’Art Monte-Carlo. Enfin il y a ceux qui n’ont pas pu reporter faute de disponibilités ultérieures. Drawing Now ou Urban Art Fair, s’ils se maintiennent, vont limiter les entrées pour rester sous la barre des 1 000 tandis que certains savent qu’ils sont sous cette barre et ont foi dans la venue des marchands et visiteurs, à l’exemple du Salon du dessin. Quel que soit le scénario, l’impact commercial et donc financier sera d’autant plus violent pour les musées, foires et galeries si l’épidémie paralyse la vie sociale et économique.
Confinement. En Europe, les conséquences les plus graves concernent dorénavant l’Italie dans son ensemble où les mesures très rigoureuses adoptées dans le Nord ont été étendues à l’ensemble du pays le 10 mars. Tous les musées, bibliothèques, théâtres et cinémas sont fermés jusqu’au 3 avril prochain. Les musées du Vatican (un État indépendant) ont également annoncé que leurs portes resteraient closes, se conformant aux indications en vigueur dans toute la Péninsule. Idem pour les Scuderie del Quirinale à Rome qui venaient tout juste d’inaugurer la plus grande exposition jamais réalisée en hommage à Raphaël. Le gouvernement a procédé en outre à l’interdiction de tous les événements publics, à commencer par ceux culturels. Mesure déjà en vigueur dans le nord du pays. L’annulation et le report de près de 8 000 spectacles, avec obligation de rembourser les billets vendus, ont coûté au secteur 10,5 millions d’euros pour la seule première semaine de mars. Avant même la mise en quarantaine de toute l’Italie, le monde de la culture avait déjà enregistré des pertes économiques substantielles à cause du coronavirus. Outre l’annulation du Carnaval de Venise et la fermeture exceptionnelle de la Scala de Milan, la foire des antiquaires de Parme, l’une des plus importantes du pays, a été décalée de février à juin. La fréquentation dans les musées a chuté de 80 %. Les recettes dans les salles de cinéma se sont effondrées de 75 %, les ventes de livres ont reculé de 25 % avec des pointes de 50 % dans les régions les plus touchées : la Lombardie, l’Émilie-Romagne et la Vénétie.
Olivier Tosseri, correspondant à Rome
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Comment les musées et foires affrontent le Covid-19
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Comment les musées et foires affrontent le Covid-19