La France compte de plus en plus de jeunes collectionneurs. Ceux-ci s’étonnent des prix du marché.
On connaît la cantilène : la France serait chiche en collectionneurs. Une image à réviser car la situation a nettement évolué. Lorsque, voilà dix ans, l’Adiaf prenait ses marques, le premier socle d’adhérents se limitait à une dizaine de personnes. « Nous sommes aujourd’hui 227 à payer la cotisation, souligne le collectionneur Michel Poitevin, secrétaire général de l’association. Un nombre plus important de gens s’intéressent à l’art contemporain. Qu’ils soient tous collectionneurs réguliers, avérés, prêts à se battre dans le temps, ça, on le verra à la première difficulté… » Malgré la peur panique du contrôle fiscal, les collectionneurs français sortent plus facilement du bois. « L’idée du “on se cache”, c’est vrai dans seulement 25 % des cas », affirme Michel Poitevin, en pointant l’empressement des membres de l’Adiaf à participer aux expositions « De leur temps » à Tourcoing et à Grenoble (respectivement en 2004 et 2007). Un essor de la collectionnite se perçoit aussi en régions. Autre signe positif, le nombre des donateurs du Projet pour l’art contemporain (PAC) conçu par le Centre Pompidou est passé de 15 en 2002 à 53 en 2008. Le galeriste parisien Michel Rein constate pour sa part une recrudescence des jeunes collectionneurs. Cet intérêt se mesure à l’aune du groupe Perspective pour l’art contemporain, réservé aux 25-35 ans, et lancé par la Société des amis du Musée national d’art moderne. Celui-ci a vu le nombre de ses adhérents doubler en deux ans. D’autres milieux, jusque-là imperméables, se laissent aussi séduire par l’art actuel. « On vend depuis quelque temps à des gens [à qui l’on] n’aurait jamais soupçonné [pouvoir le faire], comme des membres du Conseil d’État », observe ainsi Michel Rein.
Pour Jean-Olivier Després, spécialiste chez Christie’s, les nouveaux amateurs s’attachent trop à quelques galeries qui les flattent et les protègent, évitant ainsi d’aller explorer d’autres territoires. « La collection est un processus d’étape, défend le collectionneur Hubert Jouffrai. Quand on commence, on arrive sur un marché difficile à appréhender, on ne sait pas quel est le bon ; il y a une période d’observation. » Cette phase d’acclimatation pourrait s’effectuer en groupe. Le collectionneur Charles Guyot a ainsi initié le « Contemporary Art Club », un cénacle réunissant environ 150 jeunes amateurs. « Le club est un bon moyen de débuter. Les gens parlent entre eux, se recommandent des œuvres », explique le jeune homme. Désireux d’être mieux informés et guidés dans l’océan de la création, les intervenants jugent la presse artistique française tantôt trop généraliste, tantôt trop absconse. Ils appellent de leurs vœux la création d’une revue francophone équivalente de la Suisse Parkett.
Œuvres difficiles d’accès
Tous s’accordent sur l’obstacle financier de plus en plus important. « Lorsque j’ai acheté ma première œuvre, je l’ai payée avec le quart de mon salaire. Aujourd’hui, le quart du salaire d’une personne qui aurait le poste que j’occupais voilà trente ans ne permettrait pas d’acheter une œuvre originale », indique Michel Poitevin. Charles Guyot évoque aussi le frein économique de ses membres, dont le budget fluctue entre 1 000 et 10 000 euros. « Beaucoup de collectionneurs du club commencent avec la photographie, c’est un bon moyen de sauter le pas », explique-t-il. Sans refréner l’appétit, la récession a modifié les habitudes. « J’ai tendance à saucissonner mes achats et à ne plus les concentrer sur de plus grandes pièces », témoigne Hubert Jouffrai. D’après Charles Guyot, « la récession n’a pas coupé l’envie, mais elle n’a pas facilité pour autant l’accès aux œuvres. On pensait que les prix seraient plus bas et qu’il y aurait moins de collectionneurs en lice. Ce n’est pas le cas. »
Prix forts
Cette moisson de nouveaux amateurs achète-t-elle des artistes français ? Oui, même s’ils s’étonnent de leurs prix, jugés trop forts par rapport à ceux pratiqués par leurs homologues étrangers, alors même que leur marché est essentiellement hexagonal. « Les artistes préfèrent se draper dans un système où ils vendent peu mais à des prix importants, regrette Jean-Olivier Després. Ils pensent défendre une position, mais ce n’est pas forcément la bonne chapelle. » Les prix élevés s’expliquent surtout par des coûts de production prohibitifs. Le créateur Didier Marcel l’admet : « Beaucoup d’artistes vivent à Paris, une ville chère. Ils ont des difficultés pour avoir un atelier, sont incapables de produire sans l’appui des centres d’art, qui étaient pendant longtemps une aubaine. Cela donnait des œuvres énormes, invendables, coûteuses. » Ce système arrive pourtant en bout de course. Un Fonds régional d’art contemporain peut difficilement acheter au-delà de 15 000-20 000 euros, remarque Didier Marcel.
Des tarifs onéreux et une absence totale de second marché pourraient conduire les acheteurs à réfléchir à deux fois avant de miser sur un poulain français. « Un set de 122 photos de la “Fiancée du pirate” de Paul McCarthy à 120 000 dollars, soit environ 70 000 euros, vaut à peu près le prix d’une sculpture de Xavier Veilhan, indique Jean-Olivier Després. Si vous souhaitez vendre le set aux enchères, vous avez une grande chance d’en récupérer la valeur vénale. Si vous voulez céder le Veilhan, vous avez intérêt à tomber sur quelqu’un qui souhaite l’acheter coûte que coûte. » Et d’ajouter : « En France, il existe un tabou gigantesque sur la revente. Vous pouvez par intuition acheter quelque chose, et ne plus en vouloir au bout d’un an. Le hasard aura fait que l’œuvre vaut de l’argent. Alors pourquoi ne pas s’en défaire pour acheter autre chose ? »
Jet-set de l’art
Encore rétifs vis-à-vis de certaines mécaniques du marché, les amateurs hexagonaux ont néanmoins élargi le périmètre de leurs interventions. Bien que des goûts plutôt classiques leur soient prêtés, ils se sont révélés parfois très prospectifs en Chine et en Inde. « Dans les galeries allemandes et anglaises, on commence à reconnaître le poids des collectionneurs français », soutient Hubert Jouffrai. Pour preuve, l’empressement des marchands américains à exposer cette année à la Foire internationale d’art contemporain (FIAC). Même si certains jouissent d’une priorité d’accès aux œuvres, les Français ne figurent pas nécessairement dans la jet-set internationale. « Ils se mélangent un tout petit peu aux collectionneurs étrangers mais pas beaucoup. On les voit plus en Belgique car il n’y a pas le barrage de la langue, précise Michel Poitevin. Ceci étant dit, on ne voit pas beaucoup les Belges se mêler aux Allemands ou aux Anglais. La notion de pays joue encore beaucoup. »
S’il y a du nouveau du côté des collectionneurs, l’approche des instances publiques à leur égard n’évolue, elle, que timidement. « Le rapport aux institutions est décevant, déplore Michel Poitevin. À la commission du FNAC [Fonds national d’art contemporain], en tant que collectionneur, on peut venir avec des artistes nouveaux. On est écouté. Entendu, je ne suis pas sûr. Dès qu’on doit mélanger nos expériences, ce n’est pas simple. »
Cette table ronde s’est déroulée le 15 juillet 2008 au siège des Galeries Lafayette, à Paris, et a réuni Jean-Olivier Després, spécialiste senior dans le département d’art d’après guerre et contemporain, Christie’s France ; Charles Guyot, collectionneur et membre du Projet pour l’art contemporain créé par la Société des amis du Musée national d’art moderne ; Hubert Jouffrai, collectionneur ; Didier Marcel, artiste ; Michel Poitevin, collectionneur et secrétaire général de l’Adiaf ; Michel Rein, galeriste à Paris. Débat animé par Roxana Azimi, Guillaume Houzé et Philippe Régnier.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Collectionner