Confrontée à la légitimation grandissante du marché, la critique d’art peine à se renouveler.
Où en est la critique d’art aujourd’hui en France ? Pour Michel Gauthier, la situation n’est pas la même pour toutes les critiques, qui vont du petit compte rendu d’exposition au grand essai sur un artiste. « Du côté des formats brefs, beaucoup de choses se créent, relève-t-il. Dans les textes longs, la situation est nettement plus difficile pour des raisons objectives qui expliquent la pauvreté des publications en nombre et en qualité. » Même si la place de l’art a beaucoup diminué au sein des grands quotidiens, la presse spécialisée est riche de nombreux titres. Selon Bénédicte Ramade, « sur ce créneau, il existe de nombreux supports, mais beaucoup d’entre eux se ressemblent, notamment dans la presse magazine mensuelle. Il n’y a pas beaucoup d’alternatives, si ce n’est des gratuits comme Particules ou 02, qui ont des sorties trimestrielles ». Par ailleurs, ajoute Jean-Pierre Criqui, « les supports spécialisés sont toujours fragilisés. Et il ne [lui] semble pas que l’Internet ait beaucoup suppléé à cette relative modestie des comptes rendus d’exposition ».
La fonction de la critique pose aussi question. Son lectorat est formé par les amateurs d’art, les collectionneurs et les professionnels. Frédérique Valentin constate souvent une augmentation des visiteurs après la parution d’un article dans la presse. Paradoxalement, avoue-t-elle, « quand on donne des catalogues à des collectionneurs, on n’est jamais sûr de ce qui est lu ». L’écrit a sans doute perdu une partie de son impact dans un monde de l’art où les instances de légitimation se sont déplacées vers le marché.
Critique paupérisée
D’après Gaël Charbau, « la critique d’art est dans une parenthèse depuis que s’est raccourci l’espace entre le producteur et l’acheteur. Est révolu le temps du critique d’art médiateur, avec une notoriété, un charisme qui désignait des artistes comme représentatifs de leur époque et qui fondait ou soudait un mouvement ». « Aujourd’hui, le critique d’art est de moins en moins quelqu’un qui va désigner », poursuit-il, même si, tempère l’artiste Xavier Veilhan, « la critique permet de définir les choses ». Actuellement, il semble pourtant que « ce qui importe, c’est d’être présent. Entre un article publié dans [la revue américaine] Artforum et une page de publicité, on se demande ce qui est le plus important ! », ironise l’artiste un brin provocateur. Gaël Charbau acquiesce : « Le texte critique pourrait être écrit en latin, c’est pareil. L’essentiel, c’est qu’y figurent le nom de l’artiste en gros, le courtesy de la galerie, une photo de l’œuvre et voilà ! » Christophe Domino est plus nuancé : « La visibilité marchande est une toute petite planète de la production artistique. La critique ne doit pas servir uniquement ce cercle-là. C’est là aussi où il y a des vitesses plus variées, et où le poids de la critique est autre et non quantitatif. » Et Michel Gauthier de s’exclamer : « Quand Genette écrivait sur Robbe-Grillet, on ne se demandait pas si cela faisait vendre Robbe-Grillet. Réveillons-nous ! »
Cependant, le poids du marché est en train de changer la donne pour une critique de plus en plus paupérisée et dont les membres ne peuvent pas vivre de leur travail. « Une institution donnera 4 000 euros à un graphiste pour réaliser un catalogue, mais seulement 500 ou 1 000 euros au critique », déplore Michel Gauthier. Du coup, les auteurs répondent positivement aux sollicitations de puissantes enseignes qui publient régulièrement des catalogues, telle la galerie Gagosian. En France, la galerie Perrotin (lire p. 5) a lancé sa propre revue, Bing. Le choix des auteurs n’y est jamais laissé au hasard. « Ce qui est important, c’est le choix d’un critique pour un catalogue, souligne Xavier Veilhan. C’est très important que ce soient des noms qui puissent avoir un impact à l’étranger ». Cette stratégie, à laquelle les éditeurs souscrivent, conduit parfois à des catastrophes, selon Jean-Pierre Criqui, parce que les critiques en question ne connaissent rien au travail des artistes sur lesquels on leur demande d’écrire.
La « novlangue » de la critique
Comment la critique française est-elle perçue à l’étranger ? Le premier obstacle est constitué par la langue, peu de textes étant traduits en anglais. Ensuite, ce corps n’apparaît pas uni, l’esprit français n’étant pas au consensus. « J’ai construit mon travail sur une situation où les seules choses françaises que l’on voyait à l’étranger n’étaient pas de la musique ou de l’art, mais de la pensée, rappelle Xavier Veilhan. Nos penseurs – Deleuze, Foucault, Derrida… – ont complètement noyé toutes les pensées internationales. Les artistes français n’ont pas réussi à être plus présents pour autant au niveau international tandis que la pensée française, dans le même temps, a disparu ou n’a pas été renouvelée. » « Si la critique d’art en France n’a pas bénéficié du mouvement de reconnaissance internationale de la French Theory, renchérit Michel Gauthier, c’est aussi que les choses étaient [maintenues] à distance. On paye maintenant au prix fort les conséquences de cette critique très littéraire française qui ne parlait jamais des œuvres. On avait fini de lire un texte et on ne savait pas s’il s’agissait d’une peinture ou d’une sculpture. On voulait à tout prix se préserver de toute influence des sciences sociales. » « La critique d’art ne s’est-elle pas mise elle-même dans le mur ? », se demande quant à lui Gaël Charbau. Globalement, dans la critique, on s’ennuie assez profondément. Beaucoup de papiers sont des comptes rendus peu opérants, utilisant la “novlangue” de la critique d’art. La critique d’art n’a pas joué ce rôle de renouveau. » Un chantier à ouvrir.
Cette table ronde s’est déroulée le 16 juillet 2008 au siège des Galeries Lafayette, à Paris, et a réuni Jean-Pierre Criqui ; rédacteur en chef des Cahiers du Musée national d’art moderne ; Gaël Charbau, rédacteur en chef de Particules ; Christophe Domino, président de la section française de l’AICA (Association internationale des critiques d’art) et critique pour le Journal des Arts ; Michel Gauthier, inspecteur de la création artistique à la délégation aux Arts Plastiques (ministère de la Culture et de la Communication) et critique d’art ; Bénédicte Ramade, critique d’art pour la revue L’Œil ; Frédérique Valentin, codirectrice de la galerie Chez Valentin, Paris ; Xavier Veilhan, artiste. Débat animé par Roxana Azimi et Philippe Régnier.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Position critique