Photographie

Entretien

Clara Bouveresse : « Entrer chez Magnum représente une consécration »

Historienne de la photographie

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2017 - 1095 mots

Auteure d'un ouvrage inédit sur l'histoire de Magnum, l'historienne raconte les coulisses de la naissance de la prestigieuse agence de photos et ses combats pour faire exister un modèle unique en son genre.

Qu’est-ce qui prévaut le 26 mai 1947 à New York à la création de Magnum ? Le projet d’une coopérative née dans l’entre-deux-guerres : Robert Capa envisage dès 1938 de créer une nouvelle agence, avec quelques amis photographes, dont Henri Cartier-Bresson et David Seymour, dit Chim, qui deviendront cofondateurs. George Rodger, autre fondateur, se souvient de discussions à ce propos avec Capa en 1943, lorsqu’ils couvrent la campagne alliée en Tunisie et en Italie. Magnum est une enfant de la guerre. Ses fondateurs sont engagés pour la reconstruction d’un monde de paix et marqués par l’esprit de la Libération.

En quoi Magnum se distingue-t-elle des autres agences qui se créent au même moment ?
Elle est l’agence qui place en son cœur les photographes, et non leurs photographies, et qui estime que ces derniers doivent être vus et reconnus comme des auteurs, voire comme des artistes, des célébrités. Son fonctionnement coopératif permet leur émancipation économique, journalistique et artistique. En 1950, le projet de fusion entre Magnum et Scope, autre agence new-yorkaise fonctionnant sur le modèle de la coopérative, échoue, car justement ces photographes plus habitués au cadre de la commande s’adaptent mal à la culture free-lance de Magnum. Le principe de lancer des sujets sans avoir l’assurance de trouver un commanditaire prêt à les publier leur paraît trop risqué. Comme il fut périlleux pour William Vandivert, co-créateur de Magnum avec sa femme Rita, première présidente. Après avoir œuvré au lancement de l’agence, cette dernière la quitte, épuisée, au bout d’une année. William Vandivert, lui, préfère la sécurité de Life plutôt que la précarité de Magnum. Personne ne peut savoir alors si l’agence peut durer tant les difficultés financières sont importantes.

Votre livre offre une nouvel éclairage sur le rôle des époux Vandivert comme sur celui de la photographe Maria Eisner, autre membre fondateur. La construction du mythe Magnum à partir des grandes figures n’est-elle pas la cause de leur omission régulière dans la création de l’agence, y compris dans le communiqué de l’exposition « Manifesto Magnum » à l’ICP à New York ?
Dans les récits publiés ils sont présents, mais certes bien moins que Robert Capa ou Henri Cartier-Bresson. La filiation de Magnum avec Alliance-Photo est importante : David Seymour et Robert Capa ont travaillé pour cette agence, qui a vu naître la spécialisation dans le genre de l’essai photographique et leurs efforts pour numéroter les négatifs. Sa fondatrice, Maria Eisner, est devenue en 1947 chef du bureau de Magnum à Paris. Mais Magnum a été plus loin qu’Alliance-Photo dans la reconnaissance du métier de photographe, de ses droits et de sa notoriété. Henri Cartier-Bresson est le fer de lance des revendications sur la propriété du photographe sur ses négatifs. Connu et reconnu (en février 1947, le MoMA lui consacre sa première grande rétrospective muséale), il fait figure d’autorité à l’instar du célèbre et très charismatique Robert Capa, qui met son panache et son réseau au service de Magnum. La lecture du certificat de constitution de Magnum Photos au registre du commerce de l’État de New York, le 22 mai 1947, dévoile les multiples projets qu’il envisage pour elle en dehors de son activité d’agence, de la production de films ou de comédies musicales à la représentation d’artistes peintres et à la fabrication d’appareils photographiques.

Votre livre le présente en effet comme un redoutable entrepreneur et rédacteur en chef… Le personnage était si rude ?
Capa passe son temps à réprimander ceux qui travaillent sur des sujets sans valeur commerciale. Il cherche à consolider le modèle économique de l’agence. Dès 1952, il encourage le développement des commandes pour les entreprises, un marché prometteur dont il souhaite tirer parti. Très tôt, le bureau de New York développe ce secteur et se diversifie, tandis que Paris se concentre sur le journalisme. Ce qui n’est pas sans créer des tensions entre eux, car les revenus engrangés par ces commandes sont beaucoup plus importants que ceux du journalisme. En 1970, les tensions sont telles qu’une séparation menace les deux bureaux, tension alimentée aussi par le fait qu’administrativement le bureau de Paris appartient à celui de New York.

Pourquoi Magnum devient-elle rapidement pour les photographes, comme pour les magazines ou les commanditaires, le nec plus ultra des agences ?
En raison de l’aura de ses photographes fondateurs et de leurs ambitions. Dès sa naissance, Magnum entend se positionner comme une référence sur le long terme par ses photographies, qui doivent marquer l’histoire et devenir de véritables icônes de la mémoire. Cette ambition différencie encore Magnum aujourd’hui de nombreux collectifs. Sur le terrain du reportage photo, il s’agit dès les années 1950 de faire des images qui, à la fois, se revendent et ont un intérêt pour l’histoire. Capa, Seymour et Cartier-Bresson ont photographié la guerre en Espagne, Capa et Rodger ont couvert la Seconde Guerre mondiale. Ils savent la valeur du document historique. Ils ont été au cœur de l’événement. Quand ils créent Magnum, ils travaillent sur les traces de cette guerre, exploitent cette mémoire du conflit. Cela participe à leur vision de la photographie et au positionnement de l’agence, qui se situe à la croisée du temps court du scoop et du temps long de la postérité. L’ambition de Magnum est de représenter l’excellence absolue, trait caractéristique de l’Académie.

Pourquoi employer ce terme d’Académie pour Magnum ?
Le terme permet d’ouvrir d’autres perspectives, celle notamment d’une agence prescriptrice, qui définit le meilleur de la photographie et ce qu’est un bon photographe. Entrer chez Magnum représente une consécration. Le choix des nouveaux membres donne lieu à une procédure spécifique, ritualisée. Ce sont les photographes qui cooptent leurs pairs sans règles fixes, si ce n’est celle de l’excellence renouvelée par des critères de sélection extrêmement flous depuis le début, non sans provoquer au sein de la réunion annuelle de vifs débats. Dans les années 1980, l’arrivée d’Harry Gruyaert donne lieu à des discussions vives, car elle marque l’avènement d’une approche coloriste qui ne fait pas l’unanimité. De la même façon, celle de Martin Parr fait débat en raison de son regard ironique, voire acide, sur la société britannique.

Magnum n’est-elle pas devenue toutefois plus une marque qu’une Académie ?
Magnum a toujours été une marque. Dès 1947, le nom de l’agence doit affirmer son aura et son rôle de référence sur le marché de la photographie : en latin, Magnum renvoie à la grandeur, à l’importance, à la noblesse. Ce nom rappelle aussi le champagne, boisson favorite de Robert Capa, il donne à la jeune agence une image festive et élégante.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°480 du 26 mai 2017, avec le titre suivant : Clara Bouveresse : « Entrer chez Magnum représente une consécration »

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