Chef-d’œuvre de la Renaissance, initialement conçu par François Ier pour abriter les séjours de chasse de ses familiers, Chambord est aussi une création d’avant-garde dont la conception reste mystérieuse. En se référant largement aux travaux de ses confrères, historiens et archéologues, Monique Chatenet propose de nouveaux éléments sur les origines du château. Outre de précieux renseignements architecturaux, l’ouvrage nous entraîne au cœur de la recherche historique, de l’écriture même d’une histoire qui, loin d’être figée, ne cesse d’évoluer au fil des siècles.
“Dans une petite vallée fort basse, entre des marais fangeux et un bois de grands chênes, loin de toutes les routes, on rencontre tout à coup un château royal, ou plutôt magique. On dirait que, contraint par quelque lampe merveilleuse, un génie de l’Orient l’a enlevé pendant une des mille et une nuits et l’a dérobé au pays du soleil, pour le cacher dans ceux du brouillard avec les amours d’un beau prince”, s’émerveillait Alfred de Vigny en 1826 en évoquant le château de Chambord. Moins féerique, la construction de l’édifice n’en reste pas moins auréolée de mystère. Comment a-t-il été conçu ? Quelle a été la part de Léonard de Vinci ? Celle de François Ier, de Dominique de Cortone et des maîtres français ? À travers un ouvrage passionnant, Monique Chatenet suit au fil du temps l’histoire du château des bords du Cosson, en reprenant et analysant les différentes recherches menées jusqu’alors par des historiens et archéologues, notamment Jean-Martin Demézil dont la monographie publiée en 1986 reste un ouvrage de référence. Chambord est à l’origine un château de chasse pour les loisirs du roi et une création architecturale d’une très haute ambition destinée à immortaliser son constructeur. Les imposantes tours d’angle circulaires du donjon lui confèrent une impression de force et de puissance, renforcée par l’ordonnance des élévations. La simplicité des parties basses contraste avec le foisonnement des terrasses, qu’animent quantité de tourelles, toits coniques, lucarnes ornées de sculptures et d’incrustations, tandis que la lanterne centrale, couronnant le célèbre escalier à double révolution, donne au bâtiment une silhouette pyramidale. Si le plan général correspond au modèle de la forteresse féodale, avec une enceinte extérieure et un donjon cantonné de tours, la conception architecturale et la décoration subissent des influences italiennes.
Un laboratoire d’idées
Après avoir été attribuée à des Italiens – Palladio, Rosso et Primatice –, la conception de Chambord a été accordée aux maîtres maçons français par les défenseurs de l’art national au XIXe siècle. Ce n’est qu’en 1913 que le nom de Léonard de Vinci est avancé, hypothèse reprise dans les années 1950 par Frédéric Lesueur et François Gobelin, avant que Jean Guillaume ne lui apporte sa pleine crédibilité. En réalisant la synthèse des deux sujets qui divisaient jusqu’alors les historiens – la paternité de l’escalier central à double révolution, prévu initialement à quatre révolutions, et le plan original du donjon, conçu d’abord isolément –, Monique Chatenet nous éclaire un peu plus sur Chambord. L’escalier serait le fruit du célèbre dessin de Léonard de Vinci, venu à la cour de François Ier en 1516, et de la structure ouverte de la grande vis construite par Jacques Sourdeau au château de Blois. Si Dominique de Cortone n’est pas l’auteur du projet final, il est certain qu’il a réalisé l’une des maquettes commandées par le roi. Ultime étape du projet, le schéma en svastika du donjon, très probablement tiré de croquis de Léonard de Vinci, a pris une tout autre tournure lorsqu’il a fallu passer aux travaux : le plan a été modifié pour permettre la liaison avec l’enceinte et nul n’a cherché à camoufler l’asymétrie visible en façade. Le chantier étant dirigé par des maîtres maçons du Val de Loire, la manière de bâtir typiquement française n’a rien d’étonnant. Même s’il est impossible de suivre avec précision la progression de l’œuvre, les nouveaux apports de l’archéologie, les analyses microscopiques et la dendrochronologie (méthode de datation à partir des anneaux de croissance de l’arbre), présentés en annexe, révèlent que la construction a commencé dès le début 1519 et que le donjon était quasiment achevé en 1540-1541. En définitive, Chambord semble avoir été un laboratoire d’idées. “Plus que tout autre, François Ier est l’auteur de Chambord. Il n’est certes pas le seul : Léonard de Vinci a très certainement fourni des idées et Dominique de Cortone a eu vraisemblablement une part non négligeable dans la mise au point des projets [...]. Les maîtres d’œuvre chargés de traduire en pierre les projets du roi y introduisirent leurs suggestions”, conclut Monique Chatenet. Elle s’intéresse ensuite à ceux qui ont restauré et transformé le château. Successivement sauvé par Gaston d’Orléans, Maurice de Saxe et, après la Révolution, par René-Honoré Marie, il devint propriété de l’État en 1930.
- Monique Chatenet, Chambord, Monum, éditions du Patrimoine, 280 p., 452,61 F (69 euros). ISBN 2-85822-660-1.
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Chambord de fond en comble
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Chambord de fond en comble