Bruno Julliard, premier adjoint à la Maire de Paris, défend une politique culturelle de gauche à travers les priorités de la municipalité.
Ancien président du syndicat étudiant Unef, Bruno Julliard rejoint le Parti socialiste puis est nommé en 2008 adjoint à la jeunesse dans l’équipe municipale de Bertrand Delanoë, à Paris. En 2012, il remplace Christophe Girard à la culture. Porte-parole d’Anne Hidalgo lors de la dernière campagne municipale, il est depuis avril 2014 premier adjoint à la Mairie de Paris, notamment en charge de la culture. Il est également président de l’établissement public ParisMusées.
Comment devient-on premier adjoint du Maire de Paris, chargé des affaires culturelles, à 33 ans ?
Tout vient de Bertrand Delanoë, dont je partage la vision : il faut sur ce poste un profil politique, parce qu’il existe (encore) une politique culturelle de gauche. Ensuite, il faut évidemment des appétences, d’autant plus importantes que, dans ce milieu, peut-être plus qu’ailleurs, le rapport aux artistes, aux programmateurs et aux directeurs est fondamental. « Ce n’est pas facile de succéder à Christophe Girard, disait-il », mais il voulait un changement de génération tranché.
Pourquoi avoir choisi la culture ?
En tant qu’adjoint à la jeunesse, j’ai travaillé sur l’accès des jeunes – toutes origines sociales et culturelles confondues – à la culture. Nous parlions beaucoup, avec Christophe Girard et Bertrand Delanoë, de politique des publics et de diversité. C’est cette sensibilité qui m’a commandé de prendre le portefeuille culturel, et d’y ramener des disciplines comme le hip-hop ou des sujets comme les pratiques artistiques amateurs. Mais j’ai aussi souhaité rapatrier dans le giron culturel le patrimoine, ainsi que tout un pan de l’économie culturelle : la mode, le design et les métiers d’art. Enfin, il faut des compétences budgétaires, juridiques, techniques. La mise à niveau technique, dans une économie culturelle en profonde mutation, est importante. Auprès d’Anne Hidalgo, le fait d’être premier adjoint était moins important que le fait d’être adjoint à la culture.
Qu’avez-vous retenu des propositions de campagne de Nathalie Kosciusko-Morizet ?
Pas grand-chose dont je me souvienne. Mais sa critique du [centre culturel du] 104 illustrait bien l’idée que la politique culturelle peut être de gauche ou de droite. Elle demandait peu ou prou que les habitants aient davantage voix au chapitre sur la programmation des lieux et souhaitait créer un schéma de financement du type « 1 euro privé, voté par les habitants, est doublé d’1 euro municipal ». Pour moi, c’est antinomique du rôle de décision de la puissance publique.
Allez-vous augmenter le budget de l’établissement public Paris Musées (EPPM) en 2015 ?
Le budget de fonctionnement de l’EPPM doit augmenter, et notamment les moyens d’acquisition, pour un plus grand rayonnement. Mais plus que la subvention de la Ville, c’est l’autofinancement qui doit croître. Or l’équipe de l’EPPM est sensible à ces questions : les dons et legs, les collaborations entre musées, le mécénat mais aussi les recettes, sont la clef de ce développement. Il faut par exemple mener une réflexion sur la politique tarifaire, où une autocritique est nécessaire : avec la gratuité, nous avons créé une politique très favorable aux classes populaires. C’est bien. Mais cela crée un effet d’aubaine important, pour un public qui aurait les moyens de contribuer à financer l’offre culturelle de la ville – en premier lieu les touristes.
Avant même que la question des horaires d’ouverture soit évoquée par l’État, Anne Hidalgo disait : « Paris doit s’adapter aux rythmes de la vie des Parisiens, les comprendre et y répondre. » Qu’en est-il ?
Nous avons effectué un test de trois heures supplémentaires par jour pour les Catacombes. C’est un succès de fréquentation largement autofinancé. Pour un MAMVP [Musée d’art moderne de la Ville de Paris] qui ferme dès 18 heures le dimanche, c’est une piste sérieuse. Ma priorité n’est pas l’ouverture sept jours sur sept, mais plutôt, a priori, une ouverture plus tardive. Ce sont les syndicats avec qui ce débat doit s’ouvrir en premier.
La Gaîté-Lyrique passe un premier cap en 2015 : pour quel bilan ?
À la suite du retard initial pris par le chantier, il nous a semblé légitime de prolonger de six mois la délégation de service public, jusqu’à juin 2016 donc. Le bilan est globalement bon, avec deux nuances. La fréquentation est bonne en valeur absolue mais le public n’est pas assez diversifié. Nous devons conquérir davantage au-delà de notre cœur de cible des 25-40 ans branchés, très « hipsters ». Si l’identité numérique du lieu est indéniablement réussie, il faut en revanche parvenir à diminuer des frais de fonctionnement annuels trop élevés – autour de 6 millions d’euros. Nous parlerons de l’avenir début 2015.
Le « plan églises » est-il lancé ?
En cours de mise en place, ce plan sera détaillé en décembre par la Maire de Paris. Sur six ans la Ville alloue 80 millions d’euros aux églises. C’est un effort sans précédent dans ce domaine, mais on peut encore l’accroître. Soit par un financement public d’Etat (pour les sites classés) soit, là aussi côté privé, par un mécénat d’entreprise ou participatif (à l’exemple de l’appel aux dons pour la restauration de trois œuvres de Delacroix à l’église Saint-Sulpice, dans le 6e). Un objectif très ambitieux serait d’augmenter cette somme de 50 %, en collaboration avec le diocèse. Depuis six mois, nous définissons nos priorités partagées, tandis que la fondation du diocèse est la mieux placée pour cibler les chantiers pouvant susciter du mécénat privé.
Budget participatif : pourquoi soumettre au vote des Parisiens l’art dans la rue et la numérisation des collections, qui sont déjà des compétences municipales ?
La Mairie a bien sûr prévu des commandes publiques d’œuvres d’art pour les années qui viennent. Les 3 millions d’euros votés viendront simplement financer de nouveaux projets hors enveloppe. Sur la numérisation, il faut différencier deux éléments. D’abord, numériser toutes les collections des musées parisiens est un travail de longue haleine, coûteux et complexe, qui est en cours et va durer. D’ici à la fin de la mandature, nous aurons achevé un catalogue déjà important, mis gratuite à disposition pour les utilisations non commerciales. D’un autre côté, le projet soumis au vote – non choisi – était l’accès numérique du grand public aux collections, par une plateforme dédiée. Ce développement important et coûteux n’est pas abandonné, mais devrons trouver un cofinancement.
La « tour Triangle » est-elle condamnée ?
Nous pensons toujours que c’est un bon projet : complémentaire de l’aménagement de la porte de Versailles, avec des équipements publics et un geste architectural bénéfique pour le rayonnement de Paris. Le Conseil de Paris sera saisi dans quelques jours, avec un groupe UMP qui a changé d’opinion pour des raisons politiciennes, à la suite de la dernière campagne électorale – notamment le maire du 15e arrondissement, qui soutenait le projet initialement. L’opposition des Verts peut faire basculer la majorité. Si tel est le cas, alors nous risquons d’annuler le projet, sûrement à deux ou trois voix près. C’est le charme de la démocratie et les élus de Paris décideront, je l’espère, en conscience, pour l’intérêt général.
Le modèle souple du projet « Réinventer.Paris » est-il dicté par la crise ?
Non, c’est un projet relativement indépendant de la question budgétaire. Dans la mandature qui vient, nous n’aurons jamais investi autant d’argent public en achat ou réhabilitation de patrimoine, notamment dans le domaine culturel. On parle de 8,4 milliards d’euros sur six ans. C’est massif et nous l’assumons, c’est le socle du dynamisme que nous souhaitons pour Paris.
Pour un certain nombre d’endroits vides ou bientôt vides, nous voulons un appel à projet innovant, aussi ouvert que possible : vente, baux classique ou emphytéotique, les choix se feront en fonction des projets présentés par des groupements d’architectes et d’investisseurs. Nos critères seront la viabilité économique, l’intérêt général et le gain pour la municipalité.
Où en est le Grand Paris ? Quel pourrait être son apport sur le plan de la politique culturelle ?
La balle est dans le camp du gouvernement puisque que les élus locaux se sont mis d’accord sur un schéma institutionnel, mais qui nécessite une modification de la loi votée l’année dernière par le parlement ; sur les compétences du Grand Paris (logement et transport en priorité) et sur l’existence ou la persistance des intercommunalités.
Or, certaines compétences non prioritaires seraient pertinentes pour des défis que nous ne pouvons pas relever seuls. Par exemple, pour un soutien accru à la création contemporaine dans toutes les disciplines, par l’offre de lieux. Je pense aux artistes plasticiens et à leur besoin d’ateliers, dans un marché foncier très coûteux et en situation de pénurie à Paris. L’échelle du Grand Paris serait plus légitime pour agir sur l’accès des plasticiens aux logements et aux ateliers.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Bruno Julliard : « Il existe encore une politique culturelle de gauche »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Bruno Julliard. © Photo : Mathieu Delmestre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Bruno Julliard : « Il existe encore une politique culturelle de gauche »